Recommandation
« Les Sept Samouraïs » : le chef-d’œuvre de Kurosawa sur le courage et l’humanité
Le film épique du réalisateur Akira Kurosawa a jeté les bases d’un genre occidental tout en offrant aux spectateurs une expérience cinématographique palpitante

L’impétueux Kikuchiyo (Toshiro Mifune, à g.) se confronte au calme Kambei Shimada (Takashi Shimura), dans "Les Sept Samouraïs".
Photo: Toho
NR | 3 h 27 | Épopée, Action, Drame | 1956
J’ai toujours été connu comme un fervent défenseur du western américain, en particulier des classiques du genre. Pourtant, ma première rencontre avec ce type de récit ne s’est pas faite au milieu des virevoltants ni des revolvers, mais à travers des armures de samouraïs et des champs de riz. C’est Les Sept Samouraïs (1954) d’Akira Kurosawa qui m’a initié à cet univers.
À l’époque, j’étudiais la langue et la culture japonaises et je regardais à peu près tous les genres de films sauf les westerns. Je dévorais les œuvres de science-fiction, les thrillers, les drames de guerre – tout ce qui mêlait la rudesse à la réflexion. En tant qu’ancien militaire, j’ai toujours été attiré par les thèmes de la fraternité et de la survie, et Les Sept Samouraïs en offrait une représentation magistrale.
Ce qui surprend le plus, c’est que Kurosawa lui-même a été influencé, à rebours, par les westerns américains, et plus particulièrement par l’œuvre de John Ford. Les films de Ford partageaient le même rythme narratif, la même attention portée à l’honneur, à la communauté, et à la valeur d’un homme face à l’adversité.
Cet échange culturel ne s’est pas arrêté là. Les Sept Mercenaires de John Sturges (1960) a prouvé qu’une grande histoire pouvait franchir les frontières tout en conservant son identité propre. La version de Sturges n’était pas une simple copie du chef-d’œuvre de Kurosawa, mais une réinterprétation vibrante, empreinte de son propre souffle et de sa personnalité. Elle montrait comment deux cinéastes, parlant des langues et issus de traditions différentes, pouvaient parvenir aux mêmes vérités humaines.

Gisaku (Kokuten Kodo, à dr.) incarne le sage doyen du village dans Les Sept Samouraïs. (Toho)
Il est fascinant d’observer comment l’influence se propage à travers l’histoire du cinéma. George Lucas a d’ailleurs reconnu que La Forteresse cachée (1958) de Kurosawa avait contribué à façonner Star Wars, l’inspirant notamment à raconter son histoire à travers le regard de deux personnages apparemment insignifiants.
Ce que Kurosawa a initié par son objectif, d’autres l’ont poursuivi en donnant naissance à de tout nouveaux genres. Ce dialogue artistique à l’échelle des continents ne vaut pas seulement par ce qu’il montre, mais aussi par la façon dont il relie des idées, des époques et des créateurs qui ne se sont jamais rencontrés.
Le courage à l’époque Sengoku
Le Japon de l’époque Sengoku fut une période tourmentée, marquée par les affrontements entre seigneurs de guerre, dont les villages faisaient souvent les frais. Dans le film, une petite communauté paysanne se retrouve prisonnière d’un cycle cruel. À chaque saison des récoltes, une bande de pillards impitoyables fond sur le village pour dérober les récoltes et briser la tranquillité des habitants.
Acculés, les villageois se tournent vers leur doyen, Gisaku (Kokuten Kodo), qui leur livre une sagesse simple : s’ils ne peuvent acheter une protection, qu’ils cherchent des samouraïs aussi affamés qu’eux. N’ayant à offrir que du riz et un peu d’espoir, quelques villageois partent pour la ville la plus proche afin de recruter des guerriers prêts à se battre pour un bol de riz plutôt que pour de l’or.
Leur quête les conduit à Kambei Shimada (Takashi Shimura), un ronin expérimenté et rusé, reconnaissable à son crâne rasé. Il gagne immédiatement le respect des villageois lorsqu’ils le voient sauver un enfant kidnappé.
Kambei réunit alors une bande de sept guerriers, chacun doté d’un esprit et d’un talent propre : Gorobei (Yoshio Inaba), le stratège posé ; Shichiroji (Daisuke Kato), un vieil ami loyal ; Heihachi (Minoru Chiaki), le boute-en-train qui maintient le moral ; le jeune Katsushiro (Isao Kimura), avide de faire ses preuves ; Kyuzo (Seiji Miyaguchi), le sabreur redoutable qui parle avec son épée ; et enfin Kikuchiyo (Toshiro Mifune), un agitateur imprévisible et bruyant qui se prétend samouraï. Ensemble, cette équipe disparate accepte le défi de défendre un village qui peine à les nourrir.

(De g. à dr.) Kambei Shimada (Takashi Shimura), le jeune Katsushiro (Isao Kimura) et le maître d’épée Kyuzo (Seiji Miyaguchi), dans Les Sept Samouraïs. (Toho)
De retour au village de montagne, l’entraînement commence. Armés de lances de bambou, les paysans s’essaient maladroitement aux exercices pendant que les samouraïs construisent des palissades, creusent des fossés et apprennent peu à peu à connaître ceux qu’ils se sont engagés à défendre.
Des liens se tissent, des rires s’échappent entre deux maniements d’épée, et même les frasques de Kikuchiyo trouvent leur place dans ce joyeux désordre. Lorsque l’inévitable attaque des bandits éclate sous le tonnerre et la boue, ce ne sont pas les sabres qui définissent les samouraïs, mais leur détermination à tenir bon pour quelque chose de plus grand qu’eux-mêmes.
Une mise en scène remarquable
Il est difficile de parler des Sept Samouraïs sans passer pour un passionné de manuels de cinéma, mais il y a une raison pour laquelle ce film reste une référence absolue. Kurosawa n’a pas simplement réalisé un film de samouraïs : il a créé « le » film de samouraïs, celui qui allait façonner le cinéma d’action pendant des décennies.
Sa mise en scène respire la vie. Les séquences alternent sans cesse entre des moments d’intimité et des scènes de bataille grandioses qui paraissent presque artisanales plutôt que chorégraphiées. Malgré ses plus de trois heures de durée, le récit avance avec une étonnante légèreté.

Kikuchiyo (Toshiro Mifune), dans Les Sept Samouraïs. (Toho)
La maîtrise du cadre chez Kurosawa défie toute logique. Chaque goutte de pluie, chaque rafale de vent, chaque éclaboussure de boue semble minutieusement chorégraphiée, et pourtant, rien ne paraît artificiel. Il filme comme un général traçant une stratégie de bataille, mais le résultat est d’une fluidité naturelle. Grâce à ses multiples caméras et à un montage d’une clarté remarquable, l’action reste lisible sans jamais sombrer dans le chaos.
Bien sûr, rien de tout cela ne fonctionnerait sans une distribution parfaitement équilibrée. Takashi Shimura incarne Kambei avec le calme inquiétant d’un homme qui a déjà traversé toutes les catastrophes possibles – deux fois. Son autorité ne repose pas sur la force ou le ton, mais sur cette présence tranquille qui fait taire tout le monde et pousse chacun à réfléchir.
Et puis il y a Kikuchiyo, incarné par Toshiro Mifune, qui traverse le film tel un météore ivre : à la fois guerrier, bouffon et âme égarée. Le voir aux côtés de Shimura, c’est assister à la rencontre de deux faces d’une même pièce. L’un est poli par l’expérience, l’autre cabossé par la colère et l’orgueil blessé. Kurosawa aimait ces deux personnages de la même manière, et cet amour transparaît dans chaque plan.
Ce qui fascine le plus, c’est la manière dont le film renverse le genre. Ces samouraïs ne sont pas des guerriers parfaits, prisonniers d’un code héroïque. Ce sont des hommes qui discutent, plaisantent, doutent, et se demandent parfois ce pour quoi ils se battent vraiment.
Les villageois ne sont pas non plus irréprochables, et Kurosawa ne laisse personne s’en tirer à bon compte. Une fois la poussière retombée, on comprend qu’il ne s’agit pas ici de gloire ou de vengeance, mais plutôt de survie, de travail d’équipe et peut-être d’un peu de dignité dans un monde qui n’a pas beaucoup de sens.
Il est rare qu’un film aussi ancien puisse encore être qualifié de « divertissant », et pourtant, c’est exactement ce qu’il est. Malgré sa profondeur philosophique et sa mise en scène magistrale, Les Sept Samouraïs reste un spectacle captivant. Ce mélange d’intensité, d’humour et d’émotion rappelle pourquoi le cinéma compte encore, et toujours.
Kurosawa voulait sans doute raconter une simple histoire d’aventure. Il a finalement créé une épopée intemporelle, une leçon de courage et d’humanité face à l’épuisement.
Les Sept Samouraïs
Réalisateur : Akira Kurosawa
Avec : Toshiro Mifune, Takashi Shimura, Keiko Tsushima
Durée : 3 h 27
Sortie : 19 novembre 1956
Articles actuels de l’auteur
26 novembre 2025
Cinq principes Jedi pour la vie quotidienne









