L’effet chinois : la Chine serait-elle le tombeau des multinationales occidentales ?
Depuis des décennies, attirées par le faible coût de la main-d’œuvre et l’immensité du marché de consommateurs, les entreprises occidentales ont délocalisé leurs chaînes de production en Chine. Pendant des années, elles ont engrangé des profits considérables grâce aux salaires de misère pratiqués dans les usines chinoises.
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Une femme passe devant un café Starbucks dans un centre commercial de Pékin, le 5 novembre 2025.
Ce mois-ci, Starbucks a vendu la majorité de ses activités chinoises – 60 % – à Boyu Capital, fonds d’investissement chinois. Valorisé à 4 milliards de dollars, ce contrat figure parmi les plus importantes cessions récentes d’un géant de la consommation étranger à un acteur local. Mais sera-t-il le dernier ?
Une politique d’absorption de l’innovation étrangère
Comme Starbucks l’a appris, les coûts cachés des affaires en Chine s’avèrent considérables, durables et multiples. Deux concurrents locaux, Luckin et Cotti, cassent les prix : leurs cafés lattés coûtent moins du tiers de ceux de Starbucks, s’accaparant ainsi une part croissante de sa clientèle.
Ce schéma ne concerne pas que le secteur du café : il n’est que la partie émergée de l’iceberg.
Depuis des décennies, la Chine vole la propriété intellectuelle : dessins industriels, technologies de microprocesseurs, formules pharmaceutiques, secrets commerciaux et autres savoir-faire issus d’échanges avec ses partenaires avancés. Ce phénomène n’a rien d’accidentel : il traduit une stratégie chinoise réfléchie et systémique, laquelle consiste à absorber l’innovation étrangère, enrichir sa base technologique, puis évincer progressivement les sociétés étrangères au profit de ses propres groupes soutenus par l’État.
Le transfert forcé de technologies, une pratique courante
Les entreprises étrangères désireuses d’entrer sur le marché chinois doivent souvent accepter des coentreprises avec des partenaires locaux. D’après la National Defense University, la Chine exploite ces « obligations de coentreprise et restrictions à l’investissement étranger » pour contraindre ou inciter au transfert technologique depuis les sociétés américaines.
Les entreprises chinoises emploient des coentreprises, des accords de licence, le recrutement de talents, voire l’espionnage informatique – souvent coordonnés par le régime – afin d’acquérir les technologies sensibles.
Cela n’a rien de fortuit : cette pratique s’inscrit au cœur de la politique industrielle de Pékin, et s’avère d’une redoutable efficacité. Pourquoi investir des milliards en R&D (Recherche & Développement), quand on peut exiger le transfert ou voler les technologies mondiales les plus innovantes sans en assumer les coûts ?
Le programme « Made in China 2025 » du Parti communiste chinois cible explicitement plusieurs secteurs clés : semi‑conducteurs, ferroviaire, aéronautique… Les investisseurs étrangers se voient contraints de partager leurs savoirs les plus stratégiques en échange d’un accès au marché. Mais la stratégie chinoise va bien au-delà de ces secteurs technologiques.
Vol de propriété intellectuelle
Prenons l’exemple de Volkswagen.
En novembre 2024, le constructeur allemand a fini par céder ses activités au Xinjiang à la Shanghai Motor Vehicle Inspection Certification (SMVIC), société d’État chinoise. Le partage de ses technologies constituait le sésame à l’entrée sur le marché, au risque pour Volkswagen de se retrouver face à ses propres innovations. Plusieurs médias affirment que la Chine s’empare des secrets industriels du groupe depuis plus de vingt ans.
Des ouvriers de l’automobile dans l’usine FAW-Volkswagen à Chengdu, dans la province du Sichuan, le 6 juillet 2014. (Goh Chai Hin/AFP via Getty Images)
La firme américaine DuPont est un autre cas emblématique. Elle a dû transmettre à ses partenaires chinois ses technologies exclusives de fabrication des pigments afin d’obtenir un agrément réglementaire. DuPont les a ensuite poursuivis en justice, mais n’a reçu qu’une enquête antitrust, pilotée par Pékin. Si celle-ci a été suspendue en 2025, l’affaire montre à quel point la puissance réglementaire est utilisée comme moyen de pression.
Autre affaire de premier plan : le fabricant américain de semi-conducteurs Micron Technology a subi le vol de ses brevets sur les puces DRAM par Fujian Jinhua, société publique chinoise, et des employés de UMC (Taïwan). Les plans dérobés ont permis à la Chine de bâtir sa propre usine de production de puces. Si UMC a écopé d’une amende de 60 millions de dollars en 2024, le tribunal américain a acquitté Fujian Jinhua faute de preuves suffisantes, mais la firme est restée sur la liste des entités frappées de restrictions.
La Chine pratique le vol de propriété intellectuelle à l’échelle industrielle, touchant tous les secteurs et tous les pays, quelle que soit la taille des entreprises. En 2004, Kawasaki (Japon), Siemens (Allemagne) et Bombardier (Canada) ont tous été contraints de céder leurs technologies ferroviaires s’ils voulaient accéder au gigantesque marché du rail chinois. Au fil des ans, les ingénieurs locaux ont réadapté et rebaptisé ces technologies afin de lancer leur propre gamme « Harmony » de trains à grande vitesse. Aujourd’hui, les trains chinois concurrencent ces mêmes sociétés sur la scène internationale.
Au final, l’expérience prouve que le système juridique chinois offre peu, voire aucune protection aux entreprises occidentales.
Un « effet Starbucks inversé »
Ces cas ne sont qu’un échantillon de milliers d’exemples où les sociétés occidentales transfèrent, de gré ou de force, la substance même de leur activité – propriété intellectuelle et procédés industriels – contre l’illusion de profits et l’accès temporaire au marché milliardaire chinois. En vérité, les sociétés étrangères ne profitent du marché chinois que le temps nécessaire : celui qui permet aux groupes locaux de se renforcer et de les remplacer.
Cet effet Starbucks inversé – où l’entreprise finit par perdre ses brevets et ses parts de marché en Chine – n’est pas nouveau, mais il s’accentue. Le nombre de multinationales quittant la Chine croît et concerne de grands noms : Microsoft, Dell, Stanley Black & Decker, Blizzard Entertainment, Airbnb, IBM, et, bien sûr, Starbucks.
Mais n’est-il pas déjà trop tard ? Les chaînes d’approvisionnement construites en Chine rendent-elles les sociétés étrangères vulnérables aux pressions du régime ?
À court terme, c’est une réalité pour les matériaux stratégiques : terres rares, ressources critiques… et pour bien d’autres industries. Qu’on le veuille ou non, « l’effet Starbucks » résume le réveil brutal des entreprises occidentales sur le marché chinois, qui découvrent enfin le prix de leur dépendance.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
James Gorrie est un journaliste basé au Texas. Il est l'auteur de "The China Crisis".