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Opinion

La génération Z se soulève contre la corruption et bouscule le pouvoir en Bulgarie

Des dizaines de milliers de Bulgares sont descendus depuis début décembre, et encore hier soir, dans les rues de la capitale Sofia et des autres grandes villes du pays, dans ce qui sont les plus grandes manifestations depuis celles qui ont eu lieu en Bulgarie, il y a plus de trente ans, au moment de la chute du communisme. 

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Cette photographie aérienne prise par un drone montre la foule alors que des dizaines de milliers de manifestants se rassemblent dans le centre de Sofia pour manifester contre le gouvernement bulgare, à Sofia, le 10 décembre 2025.

Photo: Dobrin KASHAVELOV / AFP via Getty Images

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Durée de lecture: 13 Min.

Initiées sur les réseaux sociaux par la génération Z en Bulgarie, les manifestations dénoncent le projet de budget pour l’année 2026, alourdi de hausses d’impôts et charges corporatistes, mais aussi la corruption endémique qui gangrène le pays.
Alors que la Bulgarie doit rejoindre la zone euro le 1ᵉʳ janvier 2026, l’opposition réclame la démission d’un gouvernement soutenu en coulisses par l’oligarque Delyan Peevski qui, avec le leader du parti centre-droit Citoyens pour le développement européen de la Bulgarie (GERB), Boyko Borissov, est à nouveau la cible de la colère des Bulgares.
Boyan Radoykov est docteur en sciences politiques de la Sorbonne, expert en relations internationales et stratégie, ancien diplomate et a travaillé plus de vingt-cinq ans à l’UNESCO. Il répond à nos questions sur le soulèvement de la jeunesse en Bulgarie.
Epoch Times – Quelles sont les causes, selon vous, de ces manifestations en Bulgarie ? Pourquoi la génération Z est-elle en train de soulever? Sommes-nous dans un affrontement entre pro-Européens et pro-Russes, ou est-ce que plus compliqué que cela ?
Boyan Radoykov  – La Bulgarie est un pays patient face au pouvoir, à la base. Trop même. Pour certains, cela résulte de deux siècles de domination byzantine, suivis de 500 ans sous le joug ottoman. D’ailleurs, le folklore national regorge de proverbes tels que « une tête baissée, le sabre ne peut pas la couper ».
Les 45 années passées sous le régime communiste, n’ont rien arrangé pour créer une tradition dans les soulèvements populaires de masse contre les abus du pouvoir. Bien au contraire. En Bulgarie, la population n’a pris conscience que récemment de son pouvoir de changement et de transformation. C’est un pays d’individualistes, dont plus de la moitié ne participe pas aux élections et ne proteste que lorsque le ras-le-bol généralisé prend le dessus.
Il convient de noter que le pays a connu plusieurs manifestations sociales majeures contre le gouvernement, notamment en 2013, puis à nouveau en 2020/2021. Et qui était visé dans les deux cas ? Les deux mêmes personnalités politiques bulgares : Delyan Peevski et Boyko Borissov.
Les années passent, les gouvernements de coalition changent, mais ces deux-là restent en place. En 2020, il a fallu 282 jours consécutifs de manifestations contre le gouvernement de Borissov, à partir du 9 juillet 2020, pour qu’il démissionne finalement de son poste de Premier ministre le 16 avril 2021, après avoir presque terminé son mandat.
Reste à voir à présent si la génération Z aura la même suite dans les idées et surtout la même persévérance, car les déloger définitivement en 2025 serait un bel exploit que leurs parents n’avaient pas réussi. Sinon, il leur faudra compter sur le vieillissement naturel avec sa fin inéluctable pour que quelque chose bouge enfin dans ce pays le plus pauvre de l’Union européenne.
Donc, pour répondre à votre question, c’est beaucoup plus compliqué que cela. Ce ne sont pas les mesures d’austérité qui ont suscité l’ire de la population, mais les hausses d’impôts prévues pour financer l’augmentation des dépenses ciblées en faveur des clans proches du gouvernement et alimenter ainsi davantage la machine assoiffée de corruption. C’est peut-être l’un des seuls sujets sur lesquels les pro-Européens et les pro-Russes se retrouvent.
Il existe une réelle volonté de changement, et depuis hier soir, les jeunes réclament à juste titre le démantèlement du système. C’est là où le bât blesse, car le système est solide et éliminer la corruption dans la politique, la police et la justice est une tâche bien trop ardue pour la jeunesse. Pour ce faire, il faudra une opposition politique structurée, avec l’émergence de nouveaux partis et de nouveaux dirigeants politiques.
Puis, par le biais du vote populaire, une fois les corrompus dégagés, mettre fin à la pseudo-démocratie et au pouvoir arbitraire en créant un État de droit et des institutions fortes et indépendantes. Or, nous en sommes loin. Très loin même.
Les manifestants dénoncent la corruption endémique au sein du gouvernement. Quelles sont les racines de cette corruption en Bulgarie?
Il s’agit là d’une question cruciale. La corruption trouve ses racines dans la continuité des structures sécuritaires communistes, qui ont orchestré la transition dite « démocratique » en transférant une grande partie des actifs financiers du pays à des « hommes d’affaires » de confiance, lesquels ont ensuite consolidé ce système de redistribution des richesses par des moyens criminels. Ce système est toujours en place aujourd’hui, malgré l’adhésion de la Bulgarie à l’Union européenne en janvier 2007.
Il faut dire que l’UE n’a pas joué son rôle pour contrer la perpétuation de cette corruption. Pour des raisons politiques, la Commission européenne a préféré fermer les yeux et permettre aux gouvernements successifs de se servir dans les caisses de l’État, bien remplies par les contribuables européens. En près de 20 ans, les montants détournés sous le nez de la Commission européenne ont été astronomiques.
En Roumanie, la Securitate (l’équivalent de la Sécurité d’État en Bulgarie) a été décapitée dès la chute du régime de Nicolae Ceausescu. En Bulgarie, c’est le contraire qui s’est produit : les héritiers du régime communiste ont prospéré, et leurs enfants prospèrent toujours. C’est cette différence majeure qui a permis à la Roumanie de prendre des mesures de lutte contre la corruption que la Bulgarie n’a même jamais envisagées.
Je ne pense pas que ces manifestations affaibliront l’emprise de la corruption. La plupart des politiciens sont des hommes sans scrupules. Pour jouer le jeu politique en Bulgarie au cours des 36 dernières années « démocratiques », il fallait être prêt à laisser ses convictions, sa morale, son intégrité et surtout sa conscience au vestiaire. Le résultat de cette sélectivité contre nature parmi les dirigeants est aujourd’hui sous nos yeux.
Les jeunes ont donc tout à fait raison de manifester. Rappelez-vous l’un des slogans de mai 1968 : « Soyez réalistes, demandez l’impossible ». Je leur souhaite de réussir et j’espère qu’ils pourront canaliser leur énergie dans l’action politique grâce à une nouvelle génération de dirigeants dotés d’ambition, d’énergie, d’honnêteté, d’intégrité, d’assurance, de confiance, d’intelligence et de la compétence nécessaire pour remettre la Bulgarie sur la voie de la prospérité. Il est temps que la force de la loi l’emporte sur la loi de la force dans la vie politique bulgare.
L’oligarque Delyan Peevski, chef d’un petit parti représentant les minorités turque et rom, est accusé de tirer les ficelles du pouvoir dans un pays miné par la corruption. Pourquoi cristallise-t-il la colère des Bulgares ?
Comme je l’ai dit, ce n’est pas la première fois. En 2013 déjà, la foule scandait sa colère contre lui. Cela prouve que les manifestations ont peu de chances d’aboutir à autre chose qu’à des résultats temporaires, tels que la démission d’un gouvernement, avant de revenir à la case départ avec les mêmes problèmes et avec les mêmes acteurs.
Les gens doivent comprendre l’importance d’appliquer les règles démocratiques : un changement durable ne peut se faire que par les urnes, avec des élections étroitement surveillées par des observateurs européens afin d’empêcher la fraude ou l’achat de votes. Sinon, les jeunes pourraient bien manifester chaque année, mais cela ne serait qu’une perte d’énergie si l’effort ne se traduisait pas par un changement de politique, puis par l’éradication du système corrompu actuel.
Sanctionné pour corruption par les États-Unis et le Royaume-Uni, Delyan Peevski incarne pour les Bulgares le monde du passé et celui du passif. Son avenir politique est donc derrière lui.
Après 45 ans d’un régime communiste contrôlé par l’Union soviétique, la Bulgarie est sortie du communisme en 1990. Est-ce que l’emprise du soviétisme est toujours présente dans le pays, si oui, à quels niveaux ou sous quelles formes ?
Il reste encore quelques nostalgiques du soviétisme, mais ils sont minoritaires. Les générations passent, et pour les nouvelles, cela ne signifie plus grand-chose, si ce n’est une page dans les manuels scolaires. C’est donc une époque de suprématie qui est définitivement révolue.
Néanmoins, l’influence de la Russie, bien que moins palpable, persiste, et certains partis politiques non seulement ne s’en cachent pas, mais vont même jusqu’à revendiquer leur proximité avec Moscou. Politiquement, des liens subsistent donc, alors que la majorité des Bulgares sont tournés vers l’Occident. Pour la Russie, cependant, regagner son emprise, voire sa domination, restera une priorité.
La Bulgarie a rejoint l’UE en 2007 et va rejoindre la zone euro le 1er janvier 2026. Qu’est-ce que l’adhésion à l’Europe a apporté à ce pays de 6,4 millions et qu’est-ce que peut apporter son adhésion à la zone euro ?
Les communistes savaient à l’avance que la chute du régime était imminente et s’y sont préparés activement et méthodiquement avec leur plan de transition vers la « démocratie ». Ainsi, un jour, ils étaient encore communistes, et le lendemain, ils se sont réveillés démocrates. C’était comme un délit d’initié à la bourse, sauf que cela s’est produit en politique, et le pays en paie encore le prix fort aujourd’hui.
Cette transformation factice était connue dans les capitales occidentales, mais aucune mesure n’a été prise contre la mise en place d’un État mafieux dirigé dans l’ombre par d’anciens généraux du KGB bulgare.
L’Europe a failli dans sa mission essentielle qui consistait à établir et à protéger l’État de droit en Bulgarie. Cela aurait dû être l’une des conditions sine qua non de son adhésion à l’UE. Or, les Européens savaient ce qui se passait dans le pays depuis le début et tout au long de ces années, et ils ont laissé faire. C’est l’une des raisons pour lesquelles les opinions sur l’Europe et l’adhésion à la zone euro sont divisées et polarisées. Mais les jeunes savent que les avantages l’emportent sur les inconvénients, et la décision d’adhérer à l’UE est déjà fermement ancrée dans le tissu social.
L’avenir de la Bulgarie dépendra de la rapidité avec laquelle le modèle de gouvernement corrompu sera relégué aux oubliettes de l’histoire.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.