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La gastronomie française face aux accusations de violences

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Les chefs français récompensés par deux étoiles Michelin, dont Philippe Etchebest (6e à g.), Diego Delbecq (3e à g.), Thomas Prod'homme (2e à dr.), Yannick Alleno (2e à g.), Yasunari Okazaki (à g.), Guillaume Roget (à dr.), Fanny Rey (4e à g.) et Johnathan Wahid (5e à g.), posent sur scène lors de la cérémonie de remise des prix du Guide Michelin pour la France 2025 à Metz, dans l'est de la France, le 31 mars 2025.

Photo: JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN/AFP via Getty Images

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Durée de lecture: 6 Min.

Faut-il souffrir pour faire partie du cercle très fermé de la gastronomie française? Un ouvrage publié cette semaine dénonce une violence généralisée en cuisine, ce que contestent de grands noms du milieu.
À travers une cinquantaine de témoignages anonymes de professionnels, la journaliste Nora Bouazzouni s’attaque dans son livre « Violences en cuisine, une omerta à la française » (Éditions Stock), sorti mercredi, à ce qu’elle appelle « le mythe de la gastronomie française ».
« C’est normal de souffrir »
Horaires à rallonge, insultes et humiliations répétées, violences physiques et sexuelles… « Le mythe, c’est : ‘la haute cuisine exige ça’. Donc c’est normal de souffrir », déplore-t-elle dans un entretien à l’AFP.
Parmi ces témoignages, Ambre, 29 ans, a travaillé dans un deux étoiles parisien et raconte que « le chef pâtissier essayait régulièrement de (lui) refermer le frigo sur les mains ».
De son côté, Grâce, 27 ans, était employée par un établissement trois étoiles dans le sud. Elle travaillait de 7h à 1h du matin avec une heure de pause, le tout avec un contrat de 39 heures pour 1.322 euros net par mois.
Parfois des étoilés très médiatiques
La plupart des témoins n’ont jamais porté plainte – certains n’en avaient même jamais parlé -, illustrant la culture du silence du secteur, même si les choses ont un peu évolué ces dernières années, avec le compte Instagram « Je dis non chef ! » (2019) ou l’association Bondir.e (2021), qui lutte contre ces violences via des formations.
Les chefs ciblés sont parfois des étoilés très médiatiques mais aucun nom ne figure dans l’ouvrage. « C’est trop facile de sacrifier deux ou trois personnes » pour faire « semblant de faire le ménage », estime l’autrice, qui appelle notamment à la création d’une commission parlementaire, comme pour les violences dans la culture.
Opération « cuisines ouvertes »
Hasard du calendrier, un collectif de chefs et cheffes a lancé mardi l’opération « cuisines ouvertes » assortie d’un manifeste pour présenter au public les « mesures concrètes qui favorisent la qualité de vie au travail ».
Il s’agit de faire « passer le message que les choses sont en train d’évoluer », explique à l’AFP le chef triplement étoilé Arnaud Lallement, parmi la soixantaine de signataires de ce manifeste.

Arnaud Lallement (au premier plan) pose avec les nouveaux lauréats du guide, le 24 février 2014 à Paris. Arnaud Lallement a reçu une troisième étoile pour son restaurant « L’Assiette champenoise » à Reims, dans l’est de la France. (MARTIN BUREAU/AFP via Getty Images)

« Il y a eu des soucis à une époque, je ne dis pas le contraire, mais de moins en moins aujourd’hui. On est tous quand même assez évolués pour comprendre que la vie a changé », assure le quinquagénaire, qui reconnaît faire partie de la génération ayant « travaillé dans la difficulté ».
« Respect de la hiérarchie » et « rigueur bienveillante »
Également signataire de ce manifeste, la cheffe doublement étoilée Fanny Rey assure de son côté n’avoir « jamais vu, ni subi » de violences en cuisine.

La chef étoilée Fanny Rey opère dans son restaurant « L’auberge Saint Remy », le 20 février 2017, à Saint-Remy-de-Provence (ANNE-CHRISTINE POUJOULAT/AFP via Getty Images).

« Pour moi, le travail est beaucoup mieux fait dans une ambiance détendue, mais c’est vrai qu’il y a toujours le respect de la hiérarchie qui est en place », poursuit la quadragénaire.
« Ce n’est pas un non-sens. C’est un métier difficile qui demande de la discipline. Mais ça ne veut pas dire de la violence ou de l’agressivité », insiste-t-elle, parlant de « rigueur bienveillante ».
« On est quand même garants d’une excellence »
« Ceux qui veulent venir chez nous savent que, dans un trois étoiles, ça va être dur, qu’il va y avoir une pression. Mais ce sera une pression positive », renchérit Arnaud Lallement. « On est quand même garants d’une excellence », insiste-t-il.
Si, aujourd’hui, « de plus en plus de restaurants font des cuisines ouvertes », c’est « justement parce qu’on n’a rien à cacher. C’est un signe de l’évolution de notre métier », fait valoir Fanny Rey.
« Drôle de coïncidence » la sortie de ce manifeste à la veille de la commercialisation de son livre
« Ouvrir ses cuisines au public, c’est comme ouvrir ses cuisines aux caméras. Ça ne garantit en rien une forme de transparence sur les conditions de travail des gens », objecte Nora Bouazzouni, qui qualifie de « drôle de coïncidence » la sortie de ce manifeste à la veille de la commercialisation de son livre.
« Je n’ai pas attendu qu’il y ait des scandales à travers un livre ou la presse pour commencer à bouger les choses », répond Arnaud Lallement.
Un livre qui va semer « la zizanie »
Si elle admet qu’il existe des « problèmes inadmissibles » en cuisine qui « doivent être dénoncés », Fanny Rey déplore de son côté un livre qui va semer « la zizanie ».
« Il ne faut pas que ça fasse peur aux gens », ni « dégoûter les jeunes qui veulent rentrer dans ce métier », estime-t-elle, alors que 200.000 postes sont aujourd’hui vacants dans la restauration française.