Logo Epoch Times

Opinion

plus-icon

La Chine imagine un « canal sec » pour rivaliser avec le canal de Panama

Pékin cherche à capter les revenus du trafic canalier, à contester la présence américaine et à gagner en influence avec un nouveau projet de chemin de fer transcontinental.

top-article-image

Le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva (à g.) s’entretient avec l’ambassadeur de Chine au Brésil, Zhu Qingqiao, au palais du Planalto à Brasilia, le 3 février 2023.

Photo: Sergio Lima/AFP via Getty Images

author-image
Partager un article

Durée de lecture: 7 Min.

En réponse à la nouvelle politique américaine de l’administration Trump visant à réaffirmer le contrôle sur le canal de Panama, la Chine et le Brésil étudient la possibilité de construire un chemin de fer transcontinental afin d’offrir une alternative avantageuse au canal. Le tracé envisagé relierait potentiellement la côte atlantique du Brésil, peut-être Ilhéus, en Bahia, à la côte pacifique du Pérou, à Chancay.
Le projet, connu sous le nom de Corridor ferroviaire bi-océanique central (CRBC), est à l’étude au moins depuis 2017. D’autres propositions similaires, poursuivant des objectifs proches, remontent à 2013. Les appellations varient, mais l’idée reste la même : une ligne traversant la forêt amazonienne et franchissant — voire perçant — la cordillère des Andes, pour relier des installations portuaires atlantiques et pacifiques.

De nombreux obstacles et risques

Entre la planification d’un projet et sa réalisation, l’écart est souvent considérable. Les obstacles à surmonter pour mener à bien l’ouvrage sont nombreux. Les défis géographiques et topographiques sont de taille. Ouvrir une voie dans l’Amazonie ou forer sous les Andes n’a rien de trivial sur le plan de l’ingénierie.
Des litiges fonciers et une opposition environnementale se dresseraient également sur la route du projet et du développement des infrastructures d’accompagnement. Les coûts initiaux à la charge de chaque pays seraient substantiels, tout comme l’exigence d’assurer un service de la dette soutenable et de maintenir, dans la durée, la volonté politique face à ces embûches.

Des atouts commerciaux majeurs

Aussi complexe et pluriannuel soit-il, avec des coûts élevés et des défis techniques, le projet présenterait des avantages notables. Ses promoteurs estiment, entre autres, qu’il réduirait de 10 à 12 jours le temps d’acheminement vers l’Asie. À l’heure de la hausse des coûts maritimes et des économies chahutées, l’argument pèse.

Vue du « mégaport » de Chancay, dans la petite ville de Chancay, à 78 km au nord de Lima, le 29 octobre 2024. Le port a été inauguré le 14 novembre 2024 par la présidente péruvienne Dina Boluarte et le dirigeant chinois Xi Jinping, en marge du sommet de l’APEC à Lima. (Cris Bouroncle/AFP via Getty Images)

Il ne s’agirait pas seulement d’un chemin de fer. L’axe viendrait s’adosser au port en eaux profondes que la Chine construit à Chancay, au Pérou, sur le Pacifique. De tels ports permettent aux plus grands porte-conteneurs d’accoster et de décharger rapidement, sans les complications des écluses et chenaux d’un canal de Panama saturé et lent.
Un port en eaux profondes similaire serait édifié sur la côte atlantique brésilienne, les deux terminaux offrant un mode de circulation des marchandises plus fluide et économique à l’échelle mondiale.

Bien plus qu’une ligne ferroviaire

Les planificateurs chinois conçoivent le CRBC comme un dispositif intégral couvrant l’ensemble de la chaîne commerciale et logistique. Ce corridor « bi-polaire » — associant infrastructures portuaires, liaisons ferroviaires, hubs logistiques et zones industrielles pour permettre le transit du Pacifique à l’Atlantique (et inversement) — pourrait reconfigurer les flux commerciaux régionaux et mondiaux.
Le système réduirait aussi les dépendances et vulnérabilités liées aux goulets d’étranglement des canaux. À l’aune des bénéfices attendus du rail, le canal de Panama apparaîtrait davantage comme un facteur de lourdeur — non de fluidité — du commerce, devenant une option plus coûteuse et plus chronophage.
Le potentiel transformateur du CRBC ne saurait être minimisé. Il s’inscrirait dans la continuité de l’entremise de la Chine dans les ports, barrages, infrastructures énergétiques et autres ouvrages structurants de la région.

Gagner de l’influence tout en contournant Washington

Du point de vue de Pékin, ce transcontinental est un moyen de réduire, voire d’éliminer, la domination américaine sur les échanges interocéaniques régionaux. Une route terrestre diminuerait sensiblement la vulnérabilité de la Chine au contrôle des États-Unis, aux blocus et au levier du passage par le canal.
Cet argument suffit à lui seul à justifier l’ambition.
Proposer une alternative économiquement supérieure au canal de Panama donnerait aussi à Pékin un levier accru sur ses partenaires latino‑américains. Ce gain d’influence se ferait largement au détriment de l’influence américaine, amoindrissant la puissance des États‑Unis dans l’hémisphère. Le projet viendrait renforcer l’initiative chinoise envers le « Sud global » et étayer l’internationalisation de la monnaie des BRICS dans les Amériques.
L’ensemble de ces facteurs offrirait à la Chine un surcroît de prise sur ses partenaires latino‑américains. Les pays impliqués dans la construction et l’accueil des tronçons du réseau gagneraient en importance stratégique. Dans le même temps, leur dépendance au capital, aux produits et à l’assistance technique chinois s’approfondirait, facilitant l’ancrage de Pékin dans leurs économies et leurs gouvernances.
Par ailleurs, l’aménagement de ports en eaux profondes au Brésil comme au Pérou fournirait au régime chinois des havres sûrs pour sa marine en plein essor, ainsi que le prétexte pour établir et maintenir une présence navale de guerre substantielle et potentiellement hostile dans le voisinage immédiat des États‑Unis. Une menace régionale d’une telle ampleur eût paru impensable il y a peu, au point d’évoquer une forme de re‑colonisation.

Un impact multidimensionnel et durable

Les ambitions chinoises pour le CRBC sont à la mesure de la menace qu’elles représentent pour l’hégémonie régionale américaine, et au‑delà. Les effets seraient multidimensionnels et s’inscriraient dans la durée. Pékin pourrait, de fait, façonner les modalités des échanges, les standards maritimes, les pratiques douanières et les normes logistiques dans la région, et bien au‑delà.
Si Pékin parvenait à concrétiser le CRBC, l’initiative des Nouvelles Routes de la soie, en perte de souffle, retrouverait un nouvel élan, hissant la Chine au sommet de la puissance mondiale. Les États‑Unis, à l’inverse, se verraient supplantés — en vitesse, en commerce, en financement et en moyens — par la Chine dans les Amériques.
Reste à espérer que les États‑Unis disposent d’un plan pour prévenir ou contrecarrer ce grand dessein chinois dans leur arrière‑cour.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.