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Jeu de pouvoir : le méga-barrage chinois non indispensable à la production d’électricité

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Vue aérienne d'une partie de la rivière Yarlung Zangbo au Tibet, le 7 avril 2025.

Photo: Shutterstock

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Durée de lecture: 18 Min.

Un hydrologue chinois a décrit le nouveau projet de méga-barrage de la Chine dans la région autonome du Tibet comme une entreprise politique du dirigeant communiste Xi Jinping visant à raviver la fierté nationale plutôt qu’à répondre en toute sécurité aux besoins énergétiques du pays.
Connu officiellement sous le nom de centrale hydroélectrique de Motuo, ou Medog pour les Tibétains, le projet de barrage de 167 milliards de dollars (soit plus de 142 milliards d’euros) dans le comté de Motuo (Medog) le long de la rivière Yarlung Tsangpo – les sources de la rivière Siang dans l’État indien d’Assam, qui coule ensuite pour devenir le fleuve Brahmapoutre en Inde et le fleuve Jamuna au Bangladesh – a été officiellement approuvé en décembre 2024, la construction ayant officiellement été lancée le 19 juillet de cette année.
Les autorités chinoises ont présenté le projet comme une source essentielle d’énergie renouvelable pour soutenir les objectifs de neutralité carbone du pays, ainsi qu’un moyen de stimuler la croissance industrielle et de créer des emplois au Tibet.
Le barrage sera le sixième projet chinois le long du fleuve Yarlung Tsangpo, cette fois le long de sa section inférieure près de Nyingchi.
Contrairement au barrage-poids de Zangmu, construit plus en amont, le barrage de Motuo est un système à plusieurs tunnels au fil de l’eau, qui, selon la Chine, répond aux préoccupations de l’Inde quant au risque que la Chine puisse déverser une quantité d’eau considérable sur les habitants en aval. Cependant, l’Inde estime que le barrage devra tout de même stocker suffisamment d’eau pour faire fonctionner les turbines tout au long de l’année.
Une fois achevé, le méga-barrage de Motuo devait revendiquer le titre de plus grand barrage hydroélectrique du monde, avec une production annuelle prévue de 300 térawattheures (TWh), dépassant de loin le record actuel de 112 TWh détenu par le barrage chinois des Trois Gorges.
Ce record était remis en question par le projet de la République démocratique du Congo (RDC) de construire un immense barrage sur le fleuve Congo, aux chutes d’Inga. Encore en phase de planification, ce barrage devrait plus que doubler la capacité installée du barrage des Trois Gorges, avec une production estimée à 250-300 TWh.
La Chine dispose d’un surplus d’électricité
La Chine produit actuellement plus d’électricité que sa population n’en consomme, a déclaré l’hydrologue Wang Weiluo, qui réside actuellement en Allemagne, dans une interview accordée à Epoch Times.
« Il n’est tout simplement pas nécessaire de construire une nouvelle centrale hydroélectrique sur le cours inférieur du Yarlung Tsangpo », a déclaré cet ingénieur hydraulicien réputé, expert en sécurité des barrages, en gestion des réservoirs et en risques d’inondation en Chine. « La Chine dispose actuellement d’un excédent d’électricité. De nombreuses installations solaires sont sous-exploitées. »
Selon le rapport 2024 sur le développement du marché de l’électricité en Chine, le pays a produit un total de 10.090 TWh d’électricité cette année-là, tandis que la consommation totale s’élevait à 9850 TWh billions, soit un excédent d’environ 240 TWh, ce qui représente plus du double de la production annuelle du barrage des Trois Gorges.
« Ces chiffres montrent clairement que la Chine ne souffre pas de pénurie d’électricité. Rien ne justifie le lancement du projet Motuo sur le plan énergétique », a souligné M. Wang à propos des risques élevés liés à l’instabilité tectonique de la région, qui représente un risque structurel considérable pour le projet. « Le barrage n’est pas construit pour pallier les pénuries d’électricité au Tibet, ni pour répondre à la demande nationale d’électricité de la Chine. »
Bien que la Chine dispose d’un excédent d’électricité, elle reste un importateur net de combustibles fossiles, notamment de pétrole et de gaz.
L’intégrité et la sécurité des structures devraient être les principales préoccupations du PCC (le Parti communiste chinois au pouvoir), a indiqué M. Wang, mais celui-ci a pour habitude d’ignorer les avertissements des experts. L’ingénieur expert a publiquement critiqué le bilan du Parti communiste chinois (PCC) en matière de ruptures de barrages dans plusieurs de ses écrits, soulignant que de nombreuses structures chinoises souffrent d’une conception technique déficiente et d’une gestion chaotique et fragmentée.
Selon M. Wang, le PCC a construit un nombre sans précédent de réservoirs et de barrages – environ 90.000 au total en Chine – dont environ 40 % sont classés comme dangereux ou non sécurisés. Nombre d’entre eux sont mal entretenus, voire abandonnés.
« Ce sont des bombes à retardement qui peuvent exploser à tout moment », écrivait-il dans un commentaire en 2019.
Au contraire, a déclaré M. Wang, la principale préoccupation de Xi Jinping en faisant avancer le projet Motuo est de permettre à la Chine de conserver son statut de leader mondial de l’hydroélectricité à grande échelle, une position désormais menacée par le méga-barrage prévu en RDC.
« Sous le PCC, l’hydroélectricité a toujours été développée dans un esprit politique, l’objectif étant de surpasser le reste du monde », a déclaré M. Wang à Epoch Times. « L’obsession du PCC pour les projets hydroélectriques est également motivée par sa mentalité autoritaire, qui vise à contrôler toutes les ressources. »
Dépasser le barrage d’Itaipu
Selon M. Wang, le barrage des Trois Gorges avait été conçu à l’origine pour surpasser le barrage d’Itaipu, situé à la frontière entre le Brésil et le Paraguay, qui a longtemps détenu le record du premier producteur hydroélectrique au monde depuis la mise en service de sa première unité de production en 1984.
La Chine a commencé la construction du barrage des Trois Gorges en décembre 1994. La structure du barrage a été achevée en 2006 et la centrale électrique est devenue pleinement opérationnelle en 2009, avec toutes les unités de production en service.
Depuis lors, les deux barrages se disputent la domination mondiale, les Trois Gorges occupant la première place en termes d’électricité produite depuis 2017.
« Le projet des Trois Gorges a établi plus de 100 records du monde. Le PCC en était extrêmement fier, et de nombreux Chinois ressentaient la même chose », a déclaré M. Wang. « Mais quand on considère l’ampleur des déplacements forcés, le coût total de la construction, les problèmes post-projet et le fardeau du Fonds des Trois Gorges, il n’y a vraiment pas de quoi être fier. »
Alors que de nombreux Chinois se joignent au PCC pour célébrer cette « première mondiale », le projet Grand Inga en Afrique prend tranquillement de l’ampleur. Bénéficiant d’études de faisabilité et d’une planification de développement rigoureuses depuis le début des années 2000, Motuo sera un système de cinq barrages reliés par quatre tunnels de 20 kilomètres de long creusés dans la montagne Namcha Barwa. Selon la plateforme chinoise d’interconnexion énergétique mondiale, il devrait fournir une capacité installée de 40 à 44 gigawatts et une production annuelle de 250 à 300 TWh, surpassant ainsi le barrage des Trois Gorges à tous les niveaux.
Les plans de projets de barrage au Tibet remontent également au début des années 2000. Les autorités régionales tibétaines ont finalement approuvé le développement hydroélectrique de la région de Yarlung Tsangpo en 2020. Les autorités centrales chinoises ont inclus le projet dans le 14plan quinquennal de la Chine en mars 2021. En juillet de cette année-là, Xi Jinping s’est personnellement rendu à Nyingchi au Tibet, inspectant un site potentiel de barrage sur le cours inférieur du fleuve, ont rapporté les médias d’État chinois.
« L’objectif premier de la construction du barrage de Yarlung Tsangpo est de consolider la position de leader mondial de la Chine dans le secteur de l’hydroélectricité », a souligné M. Wang. « Il vise à reconquérir deux titres menacés de ‘numéro un mondial’ de l’hydroélectricité : la plus grande capacité installée et la plus forte production annuelle. »

Le fleuve Yarlung Tsangpo à Linzhi, au Tibet, le 4 juin 2021. (Kevin Frayer/Getty Images)

Motivations économiques
Le chercheur taïwanais Hsu Shih-Jung a indiqué à Epoch Times qu’il restait sceptique quant à l’affirmation de Pékin selon laquelle le projet du barrage de Motuo visait principalement à produire davantage d’électricité ou à contribuer aux objectifs de neutralité carbone de la Chine.
Professeur retraité du département d’économie foncière de l’Université nationale Chengchi, M. Hsu est actuellement professeur adjoint distingué au même département.
Selon lui, au-delà de ses ambitions politiques, le PCC pourrait également considérer le projet de barrage de Motuo comme un moyen d’absorber l’excédent de capacité industrielle de la Chine dans les secteurs de l’acier, du ciment et des machines lourdes.
Il a noté que le secteur immobilier chinois traverse une crise profonde depuis 2020, un ralentissement qui a intensifié les problèmes de surcapacité du pays et créé une pression pour réorienter les ressources vers des projets d’infrastructure massifs.
M. Hsu est particulièrement préoccupé par les potentiels conflits ethniques liés au projet de barrage de Motuo, la population locale étant majoritairement tibétaine. Compte tenu de la répression exercée par le PCC sur le peuple tibétain depuis des décennies, toute réinstallation forcée provoquée par le barrage pourrait aggraver les tensions, surtout si elle entraîne une aggravation du conflit entre la population tibétaine et les migrants chinois Han arrivés dans le cadre du projet.
Préoccupations relatives à la faisabilité, impact écologique et effets transfrontaliers
M. Wang est un critique virulent du projet hydroélectrique de Yarlung Tsangpo depuis que la Chine a officiellement commencé à l’envisager en 2020. Cependant, son opposition n’est pas principalement due à la nature symbolique du projet, mais plutôt à deux préoccupations plus pressantes.
La première préoccupation concerne la faisabilité. M. Wang a cité les évaluations d’experts de Fan Xiao, ancien ingénieur en chef du Bureau de géologie et des minéraux du Sichuan, qui ont conclu que le projet n’était pas viable sur le plan géologique en raison des risques importants posés par le terrain complexe et instable de la région.
M. Fan a publié son rapport en octobre 2022, mais il a été rapidement censuré et supprimé d’Internet. Heureusement, certains sites web étrangers en ont conservé une copie avant sa suppression par la Chine.
La deuxième préoccupation de M. Wang concerne les perturbations écologiques que le projet entraînerait dans l’une des régions les plus riches en biodiversité mais les plus fragiles sur le plan environnemental. En effet, les barrages détourneraient une grande partie de l’eau du fleuve vers des tunnels pour produire de l’électricité. Ce qui modifierait considérablement les flux d’eau et de sédiments en aval. Ces matériaux provenant des montagnes fertilisent naturellement les terres agricoles du delta du Gange pendant la mousson et façonnent la vie marine du golfe du Bengale.
La région de Yarlung Tsangpo est le seul endroit en Chine où l’on trouve des tigres du Bengale. Elle est souvent décrite comme un « trésor écologique » ou un « musée vivant » de la diversité végétale. Elle abrite de nombreuses plantes rares et endémiques d’importance nationale et mondiale, notamment l’orchidée Motuo, l’if de l’Himalaya et le rhododendron Motuo.
M. Hsu a partagé des préoccupations similaires, soulignant que les projets de cette ampleur ont des impacts de grande envergure et nécessitent des évaluations complètes et multidimensionnelles.
« Outre l’évaluation des bénéfices économiques, les autorités doivent également prendre en compte les conséquences environnementales et écologiques, l’impact social sur les communautés locales et les implications pour les relations internationales », a déclaré M. Hsu à Epoch Times. « Cependant, les autorités chinoises se sont jusqu’à présent concentrées uniquement sur les aspects économiques dans leurs rapports officiels, négligeant ces préoccupations plus larges. »
Les préoccupations frontalières constituent un enjeu majeur dans les relations indo-chinoises. Les deux pays ont un passé conflictuel, notamment une guerre dans les années 1960 qui a laissé une frontière contestée, ainsi que des escarmouches plus récentes le long de cette frontière. Le site du barrage se trouve dans cette zone contestée. Les projets d’infrastructures dans les régions contestées sont souvent perçus comme des manœuvres stratégiques, aggravant encore les tensions militaires entre les deux nations. [informations]
Par conséquent, pour l’Inde, la construction d’un barrage en amont par un voisin hostile est particulièrement préoccupante. Des experts et des responsables indiens craignent que, dans le pire des cas, la Chine puisse manipuler le débit de l’eau grâce au barrage, soit en retenant l’eau pour provoquer une pénurie, soit en libérant brutalement d’importants volumes d’eau et provoquer des inondations en aval en Inde. [informations]
En réponse, l’Inde envisage même de construire son propre barrage sur le Brahmapoutre, d’une capacité de stockage estimée à neuf milliards de mètres cubes, spécialement conçu pour servir de tampon et atténuer les crues soudaines en provenance de Chine. Ce projet a également été critiqué pour ses risques pour sa stabilité structurelle et ses impacts environnementaux. [informations]
Dans une récente interview accordée à Epoch Times, Li Yuanhua, ancien professeur à l’Université normale de la capitale à Pékin et désormais résident en Australie, a fait écho au point de vue de M. Hsu selon lequel des évaluations plus larges sont nécessaires pour un projet de cette envergure.
Cependant, a-t-il ajouté, de telles attentes ne sont que des vœux pieux sous le régime du PCC.
« Nous n’attendons pas du PCC qu’il effectue des évaluations responsables ou objectives », a-t-il déclaré.
M. Li a poursuivi en affirmant que le PCC agit toujours en fonction d’intérêts à court terme, sans aucune planification à long terme. Les projets de grande envergure comme celui-ci sont motivés non seulement par les fantasmes des dirigeants du Parti, mais aussi par ceux des cadres moyens et supérieurs qui les adoptent avec enthousiasme.
« De tels projets impliquent des investissements massifs, ce qui accroît les risques de corruption et d’enrichissement personnel », a-t-il déclaré. « La question de savoir si ces projets profitent à la société ou causent des dommages à long terme n’entre tout simplement pas en ligne de compte dans leur réflexion. »