Opinion
Euthanasie, un changement de paradigme civilisationnel

L'hémicycle de l'Assemblée nationale à Paris.
Photo: LUDOVIC MARIN/AFP via Getty Images
Les députés ont achevé samedi l’examen de deux propositions de loi, l’une sur les soins palliatifs et l’autre relative à l’euthanasie et au suicide assisté, appelé « droit à l’aide à mourir » par le gouvernement, sur lesquels deux votes solennels se tiendront mardi 27 mai.
Les députés de l’Assemblée ont approuvé la création d’un « droit à l’aide à mourir », autre nom du suicide assisté et de l’euthanasie, qui sera ouvert aux personnes atteintes « d’une affection grave et incurable » qui « engage le pronostic vital, en phase avancée » ou « terminale », et présentant « une souffrance physique ou psychologique constante ».
Cet article-clé de la proposition de loi portée par Olivier Falorni (groupe MoDem) a été adopté par 75 voix contre 41, ce qui ne préjuge pas de l’issue du scrutin, alors que chaque groupe accordera à ses membres la liberté de vote, sur ce sujet qui divise les Français et la profession médicale tant il touche aux convictions intimes de chacun.
Les députés sont allés jusqu’à approuver la création d’un délit d’entrave à l’accès à l’euthanasie et au suicide assisté, contre le « fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher » de « pratiquer ou de s’informer » sur ce sujet, sous peine de deux ans de prison et 30.000 euros d’amende. Une disposition qui pourrait à l’avenir aller contre la prévention du suicide ou la non-assistance à personne en danger.
La France pourrait considérer comme un délit que les « soignants puissent vouloir aider à vivre », a commenté Claire Fourcade, médecin en soins palliatifs à Narbonne. Une inversion du paradigme civilisationnel de notre humanité qui consiste à aider les plus faibles plutôt que de les inciter à mettre fin à leur jour et criminaliser ceux qui voudraient s’y opposer.
Les députés votent pour autoriser l’euthanasie et le suicide assisté
Les députés avaient entamé le 12 mai l’examen en première lecture de ces deux textes, portés par Annie Vidal (Renaissance) et Olivier Falorni (groupe MoDem).
Si la gauche est apparue majoritairement en soutien du texte, la droite et la droite nationale opposées, et le bloc macroniste divisé, des positions minoritaires se sont exprimées dans chaque groupe.
Pour le premier comme pour le second texte, les députés sont restés relativement proches de la version proposée à leur examen, au point que Mme Vidal a regretté qu’ « aucun » des amendements des opposants au texte n’ait été « entendu ».
S’agissant du texte porté par M. Falorni, le gouvernement a fait adopter un amendement structurant, refaisant de l’auto-administration de la substance létale la règle – substance létale qui sera préparée par l’équipe médicale –, et de l’administration par un médecin ou un infirmier l’exception, lorsque le patient « n’est pas en mesure physiquement d’y procéder ».
Le gouvernement a aussi fait préciser un des critères d’éligibilité. Tenant compte d’un avis de la Haute Autorité de Santé, le texte affirme désormais que la phase « avancée » d’une maladie se caractérise par « l’entrée dans un processus irréversible marqué par l’aggravation de l’état de santé de la personne malade qui affecte sa qualité de vie ».
Les députés ont également approuvé un amendement du président de la commission des Affaires sociales, Frédéric Valletoux (Horizons), renforçant la collégialité de la procédure et un autre du gouvernement rétablissant un délai minimum de deux jours pour que le malade confirme sa décision.
La ministre de la Santé, Catherine Vautrin, et Olivier Falorni, ont eu à cœur de maintenir l’ « équilibre » du texte, résistant aux appels à gauche à élargir le droit à l’aide à mourir, par exemple aux mineurs ou aux personnes qui en auraient émis le vœu dans leurs directives anticipées.
Jugeant les garde-fous posés insuffisants, le député LR Philippe Juvin a dit craindre samedi sur Franceinfo que les malades recourent « au suicide assisté, par défaut d’accès aux soins », alors que seule la moitié des besoins en soins palliatifs est couverte.
Des personnes malades et handicapées alertent sur les dangers de « l’aide à mourir »
Quelque 300 personnes malades ou handicapées et leurs aidants se sont rassemblés ce week-end près de l’Assemblée nationale pour dénoncer les « dangers » de la proposition de loi sur l’aide à mourir.
« Cette loi me fait l’effet d’un pistolet chargé déposé sur ma table de nuit, afin que je mette fin à mes jours le jour où je me dirai que je suis un poids trop important pour mes proches ou que la société me dira que je coûte trop cher », a déclaré Edwige Moutou, 44 ans, atteinte de la maladie de Parkinson.
« Être éligible, ça veut dire qu’on considère que nos vies valent moins que les autres. » a témoigné sur Boulevard Voltaire Louis Bouffard, atteint de la myopathie de Duchêne.
« Les critères d’éligibilité sont assez flous, puisque quand on a une maladie incurable et qu’on ressent que sa qualité de vie n’est pas satisfaisante, on est éligible », a expliqué Magali Jeanteur, à l’origine de ce rassemblement sous le mot d’ordre #JesuisÉligible.
« Ça peut englober des millions de personnes, y compris des personnes avec des maladies psychiques ou chroniques, comme l’insuffisance cardiaque, le diabète, la sclérose en plaque », a affirmé ce médecin.
« Au moment où le secteur de l’aide à domicile vit une crise sans précédent, la solution qu’on nous propose, c’est de renforcer l’aide à mourir et pas l’accompagnement et l’aide à vivre », a fait valoir Christine Bonnefond, dont le mari vit depuis 33 ans avec la maladie de Charcot.
« La vraie dignité n’est pas d’avoir le droit de disparaître, mais d’avoir les moyens d’exister. Je veux être éligible à la vie, pas à la mort », a ajouté Marie-Caroline Schurr, atteinte d’une maladie génétique incurable.
Le monde médical reste partagé
Les soignants sont-ils favorables ou pas à la légalisation du suicide assisté ou de l’euthanasie ? Difficile de répondre simplement, d’autant qu’un spécialiste des soins palliatifs n’a pas la même vision qu’un neurologue – qui ne travaille pas directement avec les patients en fin de vie.
C’est aux équipes médicales – médecins, infirmiers, aide-soignants – que reviendrait la décision d’accepter puis de mettre en pratique une euthanasie ou un suicide assisté en préparant la substance létale, voire quand le patient n’est pas en mesure physiquement d’accomplir le geste – de l’administrer.
Parmi les soignants, les prises de position divergentes s’accumulent depuis presque trois ans de débats.
Des organisations médicales signent régulièrement des tribunes contre ce texte ou ses précédentes versions. L’une, émanant d’une vingtaine d’entre elles au printemps 2024 dans Le Figaro, demandait aux députés de rejeter une loi qui « bouleverserait en profondeur la pratique médicale ». D’autres tribunes, souvent signées à titre individuel, soutiennent l’inverse.
Les sondages, eux, varient. Les trois quarts des médecins interrogés approuveraient la légalisation d’une aide à mourir, selon celui publié récemment par l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) – fer de lance de la légalisation de l’euthanasie.
Mais, au sein de l’Ordre des médecins, réputé pour son conservatisme, seul un tiers des docteurs seraient disposés à aider un patient à mourir, selon un sondage interne, relayé en avril devant les députés par son président François Arnault.
Il est à craindre aussi qu’un mauvais texte, basé sur des critères trop flous en matière d’éligibilité, ne provoque des fractures durables entre soignants, et que certains décident de quitter la profession, leur vocation étant de soigner autrui et non de lui donner la mort.
Deux ans de prison et 30.000 euros d’amende, en cas d’entrave
Ce délit d’entrave sera constitué en cas de perturbation de « l’accès » aux lieux où est pratiquée l’aide à mourir, « en exerçant des pressions morales ou psychologiques », « en formulant des menaces ou en se livrant à tout acte d’intimidation » vis-à-vis des patients ou des professionnels de santé. Il est similaire au délit d’entrave aux interruptions volontaires de grossesse (IVG).
Les députés ont également alourdi la peine prévue, la portant à deux ans de prison et 30.000 euros d’amende, pour la calquer sur celle concernant l’IVG.
« Jusqu’où ira ce délit d’entrave dans l’interprétation ? », s’est inquiété le député Thibault Bazin (LR). « Comment comprendre à l’avenir la prévention du suicide, voire même la non-assistance à personne en danger? »
La ministre de la Santé, Catherine Vautrin, s’est attachée à rassurer les députés. « Ce que l’on est conduit à dire […] dans un cercle amical, familial, est évidemment une approche personnelle qui n’est pas constitutive d’un délit d’entrave », a-t-elle martelé, invoquant à plusieurs reprises une décision du Conseil constitutionnel.
« Le fait de proposer des soins palliatifs, des alternatives ou d’autres perspectives, de faire part d’un doute, d’ouvrir un dialogue ou même de retarder une décision jugée prématurée […] ne peut pas être regardé comme une pression », a-t-elle ajouté.
Des députés ont en retour tenté d’introduire un « délit d’incitation » à l’aide à mourir, pour selon eux « rééquilibrer » le texte, mais en vain.
Qui serait éligible à l’euthanasie et au suicide assisté ?
« Phase avancée », nationalité… L’Assemblée a également débattu des critères à inscrire dans la proposition de loi pour un « droit à l’aide à mourir », adoptant notamment des amendements pour encadrer l’appréhension de la « souffrance psychologique ».
Le texte prévoit cinq conditions cumulatives, comme être atteint « d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qui engage le pronostic vital, en phase avancée » ou « terminale ». Mais la notion de « phase avancée » questionne, certains la jugeant trop floue.
Le gouvernement a fait adopter un amendement calqué sur une définition retenue par la Haute autorité de santé (HAS), caractérisant la « phase avancée » par « l’entrée dans un processus irréversible marqué par l’aggravation de l’état de santé de la personne malade qui affecte sa qualité de vie ».
Mais c’est une autre condition qui a longuement agité l’hémicycle : dans la version issue de la commission, le texte prévoyait que le patient doive « présenter une souffrance physique ou psychologique » qui est « soit réfractaire aux traitements, soit insupportable selon la personne » lorsqu’elle a choisi de ne pas recevoir ou d’arrêter un traitement.
Mais pour plusieurs parlementaires cette formulation laisserait entendre qu’une « souffrance psychologique » seule pourrait ouvrir la voie vers une aide à mourir.
Des députés Horizons, Liot et LR ont ainsi fait adopter des amendements soulignant que la souffrance psychologique devra être « constante » et surtout qu' »une souffrance psychologique seule ne peut en aucun cas permettre de bénéficier de l’aide à mourir ».
C’est le médecin, auprès de qui le patient a fait la demande, qui vérifie que la personne remplit chacune des cinq conditions. Il recueille les avis d’un collège de professionnels de santé mais décide seul in fine.
Le demandeur doit avoir atteint l’âge de 18 ans au minimum. Le patient doit avoir la nationalité française ou résider de façon stable et régulière en France. La personne doit être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée.
En cas de doute ou de conflit sur les facultés de discernement de la personne, le juge des tutelles ou le conseil de famille, s’il est constitué, peut être saisi. Une personne dont le discernement est gravement altéré ne peut être éligible, que ce soit à cause d’une maladie ou toute autre raison, comme un handicap avec une déficience intellectuelle sévère.
Le vote du 27 mai constituera une étape décisive dans le parcours tortueux de ce nouveau droit, serpent de mer du second quinquennat d’Emmanuel Macron. Après avoir confié une réflexion sur le sujet à une convention citoyenne en 2022, il avait dévoilé en mars 2024 les grandes lignes d’un projet de loi. Mais son examen avait été interrompu par la dissolution.
Dans un entretien à La Tribune Dimanche, Catherine Vautrin disait espérer que ce texte soit examiné au Sénat cet automne, avec un retour à l’Assemblée nationale début 2026.
« Je souhaite que le texte soit voté d’ici à 2027, c’est encore possible », a dit la ministre.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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