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plus-iconChronique agricole

Entre verger, bétail et coyotes : la vraie mission des chiens de ferme

Les agriculteurs pensent souvent qu’un bon chien suffit pour protéger bétail et vergers. Mais encore faut-il choisir celui qui possède le bon instinct. De la chienne Kaya à la petite Buffy du verger familial, ce récit montre comment les chiens ont façonné la vie rurale depuis des millénaires.

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Un chien de protection de troupeau est couché dans un champ près d'un troupeau de moutons, près de Saint-Étienne-les-Orgues, dans le sud-est de la France, le 27 juin 2024.

Photo: Nicolas Tucat/AFP/Getty Images

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Durée de lecture: 9 Min.

Lorsque j’ai commencé à travailler la terre, j’ignorais tout de la différence entre un chien de berger et un chien de protection du bétail. Je savais seulement que des prédateurs tuaient mes animaux et que j’avais besoin d’aide. J’ai donc fait ce que beaucoup de nouveaux agriculteurs pourraient faire avec des connaissances limitées : j’ai acheté un berger australien, un mâle affectueux nommé Puffin, en espérant qu’il mettrait fin aux attaques.
Puffin était intelligent, énergique, loyal — mais il n’était pas le bon chien pour cette mission. Les chiens de berger déplacent les animaux. Les chiens de protection les défendent. Ce sont deux instincts totalement différents, une vérité que j’ai apprise à mes dépens.
Ce n’était pas la première fois que je voyais quelqu’un choisir le mauvais chien pour la mauvaise tâche.

Souvenirs d’un verger menacé

J’ai grandi dans le nord de l’État de New York, où ma famille possédait un petit verger de pommiers. Chaque hiver, les cerfs décortiquaient les troncs, condamnant les arbres en une nuit. Mon père, convaincu qu’il lui fallait simplement « les bons chiens », est rentré un jour avec deux Samoyèdes. Ils étaient splendides — pelage blanc éclatant, yeux bleus, pleins de personnalité. Et totalement inutiles pour faire fuir les cerfs.
Pendant les tempêtes de neige, tandis que les cerfs rongeaient les troncs, ces Samoyèdes restaient couchés sur le dos dans la poudreuse, pattes en l’air, gueule ouverte, occupés à attraper les flocons sur leur langue. Ils adoraient l’hiver au point que garder le verger ne leur traversait jamais l’esprit.

Buffy, la gardienne inattendue

Le chien qui a réellement sauvé le verger s’appelait Buffy — une petite chienne pomponnée venue de Staten Island, que l’ex-petite amie de mon oncle Billy, Pattsie, avait laissée après leur rupture. Buffy est arrivée avec un toilettage impeccable, le genre de chien qui vivait manifestement au milieu des trottoirs citadins et des shampoings de marque. Mais une fois la coupe disparue, ma mère a pris le relais avec des tontes maison, qui lui donnaient un air massif, asymétrique, et indéniablement aimée.
Malgré son apparence, Buffy s’est révélée la meilleure chasseuse de cerfs que nous ayons eue.
Les Samoyèdes sont devenus des animaux de compagnie choyés.
Buffy est devenue la gardienne du verger.

Kaya, la reine de la nuit

Des années plus tard, j’ai répété le schéma familial. Puffin ne protégeait pas mieux mon troupeau que les Samoyèdes ne protégeaient le verger. Il nous fallait un véritable chien de protection. Nous avons donc accueilli Kaya, un croisement entre un chien de montagne des Pyrénées, un patou et un berger d’Anatolie, qui s’est rapidement imposée comme ce que j’appelle la reine de la nuit.
Pendant que nous dormions, Kaya veillait. Elle patrouillait sans relâche le périmètre, aboyant dans l’obscurité et tenant les coyotes — nombreux au Texas — à bonne distance. À l’aube, elle s’effondrait à l’ombre, épuisée mais satisfaite, telle une souveraine dont la garde nocturne venait de s’achever.
Avec l’âge, le rôle de Kaya a évolué. Aujourd’hui, elle dort surtout sur la terrasse de notre restaurant, The Barn, accueillant les clients entre deux siestes. Et pourtant, aucune des jeunes chiennes ne remet en cause son autorité. Comme si toutes avaient convenu qu’elle mourrait reine, indétrônable.

L’intuition des grands chiens de protection

Au fil des ans, j’ai eu des croisements de chiens de montagnes des Pyrénées, d’Anatolie et des mélanges de Gampr arménien. Chacun possède ses qualités, mais Kaya a toujours eu quelque chose en plus — une intuition presque surnaturelle. Elle percevait les mises bas dans tout le voisinage. Je recevais des appels : « Ma chèvre a mis bas cette nuit, et Kaya est restée devant la clôture tout du long. » Elle ne gardait pas seulement les animaux. Elle gardait la vie qui arrivait au monde.

Le défi des chiens qui errent

Pour exceptionnels qu’ils soient, les chiens de montagne des Pyrénées ont un défaut majeur : ils errent. Leur conception du territoire repose sur les menaces potentielles plutôt que sur les frontières légales. Tous les autres chiens du ranch comprennent où se trouve leur place. Les miens, eux, arpentent les environs avec la certitude de chiens de montagne ancestraux munis de passeports invisibles.
En raison de cette tendance, deux d’entre eux se trouvent aujourd’hui dans un enclos, pour leur propre sécurité. Ce sont d’excellents gardiens — éprouvés avec moutons, poules et tout type de bétail — mais s’ils sortent de la propriété, un voisin pourrait facilement les prendre pour des chiens errants. L’un d’eux partira bientôt chez mon ami Marc, qui perd ses poules malgré de gros efforts pour renforcer ses clôtures. Ses installations semblent enfin assez solides pour contenir un chien de montagne des Pyrénées, même si seul le temps le dira.

Une alliance vieille de plusieurs millénaires

Pendant que Marc et moi parlions de ces chiens, il m’a demandé : « Depuis combien de temps utilise-t-on des chiens pour protéger le bétail ? » Sa surprise a été grande lorsque je lui ai répondu. Les chiens de protection travaillent aux côtés des humains depuis 5000 à 7000 ans — entre 2000 et 3000 ans avant notre ère. Il est remarquable que deux prédateurs dominants, l’homme et le chien, ont noué un lien si profond et coopératif qu’ils ont, ensemble, transformé l’avenir de l’agriculture.

Sur une ferme, maintenir l’équilibre

Sur notre ferme, ce lien perdure. Nous avons trois chiens de montagne des Pyrénées, un berger allemand, Puffin le berger australien, deux pitbulls et un chien croisé venu du refuge. Chaque chien a une tâche — ils protègent les terres, le bétail, les vergers et nos enfants.
On comprend pourquoi nous avons besoin de chiens pour nous protéger des prédateurs, mais on pense rarement à l’autre aspect de la question : les animaux de proies. Les cerfs peuvent ravager des arbres fruitiers en une nuit. Les visiteurs me demandent toujours comment nous faisons pour cultiver des arbres fruitiers sans clôture, et je leur réponds : « Vous n’avez pas assez de chiens.» Sur nos terres, les chiens régulent à la fois les populations de prédateurs et des proies affamées. Ils maintiennent un équilibre.
Les éleveurs qui possèdent bien plus d’hectares que moi disent souvent la même chose : un bon chien de bouvier vaut plus qu’un bon cow-boy. Un seul chien accomplit le travail de deux cow-boys — sans salaire ni assurance.

Le meilleur ami de l’agriculteur

Le chien est sans doute le meilleur ami de l’homme, mais à la ferme, il est surtout le meilleur ami de l’agriculteur. Et il l’est depuis l’aube de la vie domestique. Ce lien entre humains, terre et chiens n’a rien d’un mythe ni d’un élan de nostalgie. Il est aussi ancien que l’agriculture elle-même, et il se rejoue chaque jour dans les campagnes américaines.
Ici, le partenariat n’est pas facultatif.
C’est la vie.
Mollie Engelhart, agricultrice et éleveuse, est engagée dans la souveraineté alimentaire, la régénération des sols et l\'éducation à l\'agriculture familiale et à l\'autosuffisance.

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