programme Scribe
Échec du programme Scribe : un fiasco à 257 millions d’euros pour la police nationale
La Cour des comptes vient de publier un rapport accablant sur le programme informatique Scribe, destiné à moderniser la rédaction des procédures pénales au sein de la police nationale. Lancé en 2015 avec l'ambition de remplacer l'ancien logiciel de rédaction des procédures pénales (LRPPN), ce projet devait révolutionner le quotidien des enquêteurs. Sept ans plus tard, le bilan est catastrophique : un échec total qui a coûté la somme vertigineuse de 257,4 millions d'euros aux contribuables français.

Photo: BERTRAND GUAY/AFP via Getty Images
Dans une ordonnance de 500 pages datée du 16 octobre dernier et révélée par Le Monde, la magistrate instructrice de la chambre du contentieux détaille avec minutie les multiples défaillances qui ont transformé cette initiative prometteuse en gouffre financier. Le document pointe du doigt des dysfonctionnements techniques majeurs et une organisation défaillante qui ont condamné le projet dès ses premières phases.
Quand la gendarmerie abandonne le navire
À l’origine, Scribe devait constituer un outil commun à la police et à la gendarmerie nationale, promettant une harmonisation des pratiques entre les deux forces de sécurité. Mais très rapidement, la gendarmerie se retire du projet, pressentant peut-être les difficultés à venir. La direction générale de la police nationale (DGPN) se retrouve alors seule aux commandes de la maîtrise d’ouvrage, tandis que le service de technologie et des systèmes d’information de la sécurité intérieure hérite de la maîtrise d’œuvre.
Cette défection précoce aurait dû servir de signal d’alarme. Elle marque le début d’une série de complications qui vont progressivement paralyser le projet et diluer les responsabilités entre de multiples acteurs institutionnels.
Un pilotage chaotique et des irrégularités comptables
La Cour des comptes ne mâche pas ses mots dans son analyse. Elle décrit un projet « au contenu mal défini » dès son lancement, avec une « gouvernance éclatée ayant conduit à la dilution des responsabilités ». Cette absence de cadre clair et de pilotage unifié a créé un environnement propice aux dérives.
Le rapport révèle également « des irrégularités comptables significatives », notamment « un non-respect des règles de suivi budgétaire ». Ces manquements graves dans la gestion financière du projet ont permis que les coûts explosent sans système d’alerte efficace. La Cour conclut à l’existence d’une « faute grave » ayant causé un « préjudice financier significatif ».
Face à ces dysfonctionnements, six personnes sont mises en cause, dont deux anciens directeurs de la police nationale et deux anciens secrétaires généraux du ministère de l’Intérieur. Ces hauts responsables devront répondre de leur gestion devant la chambre du contentieux.
Des retards s’accumulent, les critiques pleuvent
Initialement baptisé LRP4, le programme Scribe a connu des retards dès ses premières phases de développement. Les choix techniques effectués par le prestataire Capgemini, notamment concernant l’architecture logicielle, ont fait l’objet de critiques virulentes de la part des experts et des utilisateurs potentiels.
Face à l’ampleur de l’échec, les autorités ont tenté un sauvetage en 2022 en relançant le projet sous un nouveau nom : XPN. Cette nouvelle mouture était censée tirer les leçons des erreurs passées et offrir enfin aux enquêteurs l’outil moderne dont ils avaient besoin.
Un logiciel inutilisable qui fait perdre un temps précieux
Les témoignages des policiers utilisateurs dressent un portrait alarmant du logiciel Scribe. Les critiques portent principalement sur « un manque d’ergonomie flagrant », des « insuffisances fonctionnelles » et surtout d’importantes pertes de temps dans l’accomplissement des tâches quotidiennes.
Selon plusieurs organisations syndicales de la police citées dans le rapport, les défaillances du système entraînaient « des manipulations fastidieuses » et une perte de temps estimée entre 30 et 45 minutes par jour et par enquêteur. Sur une année, cela représente des dizaines d’heures de travail gaspillées à lutter contre un outil censé faciliter leur mission.
Les exemples concrets sont édifiants : il fallait effectuer pas moins de 17 clics pour simplement intégrer un fichier PDF dans une procédure. Plus grave encore, le système ne permettait pas d’intégrer des fichiers supérieurs à 5 Mo sans dégrader drastiquement leur qualité. Or, une simple photographie prise avec un smartphone moderne dépasse régulièrement cette taille. Résultat : les images versées aux dossiers devenaient « inexploitables par les magistrats », compromettant potentiellement la qualité des enquêtes judiciaires.
Le prix exorbitant d’un échec programmé
La Cour des comptes a établi une évaluation détaillée du préjudice financier engendré par cet échec retentissant. Les 257,4 millions d’euros de perte intègrent plusieurs composantes : les coûts de développement perdus investis dans un logiciel inutilisable, les frais des nombreuses missions d’appui et d’expertise sollicitées pour tenter de sauver le projet, les coûts de maintenance du vieux logiciel LRPPN qui aurait dû être remplacé et qui a dû continuer à fonctionner, et enfin le coût estimé de la perte de temps des enquêteurs confrontés à un outil défaillant.
La chambre du contentieux de la Cour des comptes devra désormais se prononcer définitivement sur l’existence des infractions constatées, confirmer le montant du préjudice financier et éventuellement prononcer des sanctions à l’encontre des gestionnaires publics dont la responsabilité a été établie dans ce dossier emblématique des dérives de certains grands projets informatiques de l’État.
Avec AFP

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