Opinion
DPE, ZFE : « Les incohérences risquent de créer du mécontentement », alerte Philippe Vesseron

Photo: Crédit photo Philippe Vesseron
ENTRETIEN – Selon un arrêté publié la semaine dernière, la réforme du Diagnostic de Performance Énergétique (DPE) entrera en vigueur en janvier 2026. Cette dernière devrait faire sortir environ 850.000 logements des catégories F et G, autrement dit, ils ne devraient plus être considérés comme des « passoires thermiques ». Pour cela, le coefficient de conversion en énergie primaire de l’électricité va être réduit. Il passera de 2,3 à 1,9.
Philippe Vesseron est ingénieur général des Mines. La réduction du coefficient de conversion de l’électricité est une avancée positive, mais insuffisante explique-t-il.
Epoch Times – Philippe Vesseron, comment accueillez-vous cette réforme ?
Philippe Vesseron – D’abord, remontons à l’origine du problème, autrement dit, au siècle précédent, lorsque les coefficients d’énergie primaire ont été introduits dans la règlementation des bâtiments.
À l’époque, l’électricité était produite avec du charbon, du fioul, un peu d’énergie nucléaire et un peu d’hydraulique. Avec toutes les centrales thermiques, le rendement avoisinait les 30 %. C’est la raison pour laquelle la France avait adopté en 1972 des coefficients de 2,58 pour l’électricité et de 1 pour le gaz et le fioul.
Ces conventions avaient suscité un certain nombre de réactions et de protestations et ce pendant longtemps. Ensuite, en 2021, le coefficient de l’électricité a été abaissé, passant de 2,58 à 2,3. Et aujourd’hui, il est abaissé à 1,9.
Ce changement est positif, mais insuffisant puisque c’est la différence entre ce coefficient et ceux qui ont une valeur de 1 qui fait l’attractivité des formes d’énergie autres que l’électricité, notamment le gaz.
La mise en place d’un coefficient de 2,58 pour l’électricité avait conduit à privilégier le chauffage des logements neufs au gaz plutôt qu’à l’électricité.
Mais depuis quelques années, nous avons changé de paradigme : il ne s’agit plus simplement de maîtriser la consommation d’énergie primaire mais aussi de contrôler le changement climatique. L’objectif est donc la décarbonation. Et pour réaliser cet objectif, l’idée est de remplacer les combustibles fossiles par de l’électricité, qui est en France une énergie bien décarbonée.
Or, quand on adopte un coefficient pour l’électricité supérieur à celui du gaz, cela signifie que l’on favorise le gaz.
Initialement, certains avaient proposé de remplacer 2,3 par 1. Pour ma part, j’avais préconisé de fixer le coefficient de l’électricité à 1,3 ou 1,4 et de remonter les autres au même niveau puisque lorsque l’on chauffe un logement au gaz ou au fioul, il y a un certain nombre de transformations et de pertes. Le coefficient de 1 est donc intellectuellement un peu choquant lui aussi.
Certains affirment que cette réforme va ralentir la rénovation de certains logements, pénaliser les locataires et favoriser les propriétaires. Qu’en pensez-vous ?
Jusqu’à présent, le DPE servait à réguler les rapports entre le bailleur et le locataire.
Il y a une réforme récente qui a complètement changé les règles du jeu en France , celle qui a consisté à rendre obligatoire pour la mise en location le respect d’une « étiquette DPE ». Depuis le 1er janvier 2025, il est interdit de mettre en location des logements classés « passoire thermique » par un « diagnostic de performance énergétique ».
Maintenant, quand une habitation correcte qui serait classée E s’il elle était chauffée au gaz mais , chauffée à l’électricité, est classée F ou G, que peut faire le propriétaire ?
Première hypothèse, ne plus mettre en location le logement. Deuxième idée, réaliser des travaux d’isolation supplémentaires pour réduire la consommation d’électricité d’un facteur 1,9. Troisième hypothèse : changer pour le chauffage au gaz. Mais aucune de ces trois solutions n’est réellement raisonnable puisque nous savons tous qu’à l’heure actuelle il y a un vrai besoin de logements.
Cette réforme ne risque-t-elle pas de soulever des questions sur la crédibilité du DPE ?
C’est bien vrai. Je note d’ailleurs que la Cour des comptes a publié au mois de juin un rapport sur « la mise en œuvre du diagnostic de performance énergétique ». Des questions sont donc effectivement en train d’être soulevées.
De mon côté, comme je vous le disais, j’avais proposé de fixer le coefficient pour l’électricité à 1,3 ou à 1,4.
Mais à partir du moment où cette idée n’a pas été retenue, je dirais que, pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, il est important d’électrifier tout ce qui peut l’être en France. Autrement dit, faire en sorte que le coefficient de 1,9 ne soit qu’une étape pour ensuite se diriger rapidement vers des valeurs plus basses.
Par ailleurs, je pense que nous devrions simultanément abroger l’interdiction de la mise en location des logements classés F ou G. Enfin, faisons de la pédagogie sur des réponses peu énergivores à tous ces sujets, sans oublier le besoin de rafraichissement : je pense au puits canadien et à la pompe à chaleur sur géothermie superficielle.
« On ne peut qu’être frappé par le statut quasi-scientifique que l’on continue d’accorder à ces coefficients alors qu’ils représentent essentiellement des choix purement conventionnels, décidés à Bruxelles ou à Paris », avez-vous écrit dans le Figaro. C’est-à-dire ?
Au siècle précédent, on réalisait des diagrammes pour suivre ce que l’on faisait avec une tonne de charbon qui se transformait en gaz, en coke, en électricité etc.
On faisait des coefficients de transformation de l’énergie primaire. Voilà comment tout le système était construit.
Mais avec l’arrivée du premier choc pétrolier, les priorités ont changé : on a décidé, à partir de 1974 qu’on ne ferait plus de centrales électriques fonctionnant avec du charbon ou du fioul.
Il y a eu ensuite des débats un peu vifs autour du coefficient 2,58, mais la question a finalement été oubliée.
Aujourd’hui, estimez-vous que les changements autour du DPE risquent d’entraîner une colère sociale ?
Ces lois, un peu comme celle permettant l’instauration des ZFE, introduisent des mécanismes contraignants. Dans le cas du sujet qui nous intéresse ici, l’interdiction de la mise en location de logements considérés comme des « passoires thermiques » en est le parfait exemple.
Je ne saurais vous dire comment les principaux intéressés vont réagir à ces contraintes, mais les incohérences risquent de créer du mécontentement.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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