Opinion
Commissariats chinois clandestins : l’ombre de Pékin plane toujours sur la France

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Photo: WANG ZHAO/AFP via Getty Images
Début juillet 2025, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) a confirmé l’existence de neuf « commissariats » chinois clandestins opérant sur son territoire.
Ces structures illégales liées au ministère chinois de la Sécurité publique (MSP) ont de quoi inquiéter. Orchestrées par Pékin, elles ne se contentent pas de proposer des services administratifs, elles exercent une pression insidieuse sur les ressortissants chinois, notamment les dissidents et les opposants au Parti communiste chinois (PCC), en utilisant la surveillance, l’intimidation et des tentatives d’enlèvement ou de rapatriement forcé.
Ces tactiques sophistiquées de répression transnationale menées par le régime chinois, en violation du droit international, soulignent une stratégie d’influence chinoise visant à maintenir un contrôle étroit sur ses citoyens à l’étranger, tout en détournant l’attention des autorités du pays.
Face à cette ingérence, la DGSI a intensifié ses efforts, bien que ses ressources soient encore limitées. Ce phénomène, qui s’étend bien au-delà des frontières françaises, interroge sur les ambitions globales de Pékin et les défis posés aux démocraties face à ces pratiques clandestines de surveillance et d’intimidation.
L’identification de « commissariats » clandestins
Début juillet 2025, la DGSI répondait à une question écrite de la députée Renaissance Constance Le Grip, confirmant l’existence de neuf « stations de police » chinoises clandestines sur le territoire français, soit 5 de plus que ceux identifiés dans le rapport de 2022 de l’association SafeGuard Defender.
Ces structures, qualifiées d’« extensions illégales » du ministère chinois de la Sécurité publique, opèrent en violation de la souveraineté nationale. Elles seraient implantées dans des zones à forte population chinoise, notamment dans les 13e, 19e et 20e arrondissements de Paris, ou encore à Lyon, Toulouse, Marseille, Bordeaux, Lille ou Strasbourg.
Présentées officiellement par Pékin comme des « centres de services » pour des démarches administratives (renouvellement de permis de conduire, documents d’identité), elles servent en réalité à surveiller la diaspora, collecter des informations sur les dissidents et orchestrer des rapatriements forcés.
Cette révélation s’inscrit dans la continuité d’un rapport publié en septembre 2022 par l’ONG espagnole Safeguard Defenders, intitulé 110 Overseas. Ce document recense 102 postes de police chinois clandestins dans 53 pays, dont 4 en France, principalement à Paris.
À l’époque, le ministère de l’Intérieur, dirigé par Gérald Darmanin, avait adopté une posture prudente, indiquant que la DGSI enquêtait sans confirmer officiellement les allégations. L’annonce de juillet 2025 marque un tournant : la DGSI révèle que le nombre de stations a plus que doublé, passant de quatre à neuf en trois ans, soulignant l’audace croissante des opérations d’infiltration chinoises.
Ces « commissariats » sont souvent liés à des bureaux de sécurité publique de villes chinoises comme Fuzhou, Wenzhou et Qingtian, d’où proviennent de nombreux migrants installés en France. Camouflés sous des couvertures comme des associations culturelles, des restaurants ou des agences de services, ils opèrent dans l’ombre, rendant leur détection complexe. Cette révélation met en lumière l’ampleur des tactiques de répression transnationale du PCC, qui visent à étendre son contrôle au-delà de ses frontières.
Les techniques de répression transnationale du régime communiste chinois
Le PCC déploie une panoplie de techniques de répression transnationale pour maintenir son autorité sur la diaspora chinoise et neutraliser toute opposition, même à l’étranger.
Ces tactiques s’inscrivent dans des programmes comme « Operation Fox Hunt » et « Operation Sky Net », lancés en 2014 sous Xi Jinping. Officiellement, ces initiatives visent à rapatrier des ressortissants soi-disant accusés de crimes comme la corruption ou la fraude financière. Selon le ministère chinois de la Sécurité publique, d’après Safeguard Defenders, environ 230.000 personnes ont été « persuadées » de rentrer en Chine entre avril 2021 et juillet 2022. Cependant, ces opérations reposent sur des méthodes coercitives, souvent illégales, qui bafouent la souveraineté des États hôtes.
La surveillance est au cœur des tactiques chinoises. Les « commissariats » clandestins s’appuient sur des agents locaux, souvent recrutés au sein de la diaspora sous la contrainte ou par des incitations financières. Ces agents utilisent des plateformes comme WeChat, omniprésente dans la communauté chinoise, pour collecter des informations en temps réel. Les communications, souvent en dialectes régionaux (wenzhou, qingtian) ou codées, échappent facilement aux services de renseignement occidentaux. Parallèlement, la surveillance physique s’effectue via des réseaux communautaires infiltrés, comme des associations culturelles ou des entreprises locales.
L’intimidation est une méthode clé. Les agents chinois exercent des pressions directes sur les individus ciblés, souvent par des visites à domicile ou des appels menaçants. Un cas emblématique est celui de Ling Huazhan, un dissident chinois à Paris. Le 22 mars 2024, trois individus se présentant comme des « représentants consulaires » l’ont escorté à l’aéroport de Roissy pour un rapatriement forcé, déjoué par la Police aux frontières (PAF) grâce à l’intervention de son avocat. Un autre incident concerne Gulbahar Jalilova, une femme kazakhe d’origine ouïghoure, visée en mai 2024 par une tentative d’intimidation à son domicile parisien par une douzaine d’hommes, dont l’un brandissait un passeport des services chinois.
Une autre tactique particulièrement insidieuse consiste à menacer les familles restées en Chine. Les autorités chinoises contactent les proches des dissidents pour les intimider, les emprisonner ou leur couper l’accès à des services essentiels, comme les soins médicaux ou l’éducation. Cette méthode, qualifiée de « coercition par procuration » par Safeguard Defenders, pousse de nombreux exilés à rentrer volontairement pour protéger leurs proches. En France, des Ouïghours ont rapporté des appels de leurs familles en Chine, les implorant de cesser leurs activités militantes sous peine de représailles.
Les rapatriements forcés et la manipulation de l’information
Les tentatives de rapatriement forcé sont parmi les pratiques les plus graves. Ces opérations impliquent souvent des agents opérant sous couverture diplomatique, comme dans le cas de Ling Huazhan. Dans d’autres cas, des individus sont attirés dans des pays tiers où la Chine exerce une influence, comme la Thaïlande ou les Émirats arabes unis, pour être arrêtés et extradés. En France, la DGSI a recensé plusieurs tentatives similaires, bien que la plupart aient été déjouées grâce à une vigilance accrue.
Le PCC exploite les réseaux communautaires pour étendre son influence. Des associations culturelles, souvent financées par des fonds liés au Front uni, servent de relais pour collecter des informations ou recruter des informateurs. Ces organisations, perçues comme inoffensives, permettent au PCC d’infiltrer les communautés chinoises et d’identifier les individus critiques à son égard. En France, plusieurs associations dans le 13e arrondissement de Paris ont été soupçonnées de jouer ce rôle.
La manipulation numérique est une autre arme du PCC. En plus de la surveillance via WeChat, le régime utilise des campagnes de désinformation pour discréditer les dissidents ou semer la confusion au sein de la diaspora. Par exemple, des messages diffusés sur des groupes WeChat accusent certains militants de « trahison » ou de « collaboration avec des puissances étrangères », créant un climat de méfiance. Ces tactiques visent à isoler les opposants et à décourager l’activisme.
Une menace pour la souveraineté et les droits humains en France
Ces « commissariats » clandestins représentent une violation flagrante de la souveraineté française. En exerçant des fonctions de police sur le territoire d’un État étranger sans autorisation, la Chine bafoue le droit international. La DGSI souligne que ces structures reflètent une vision du PCC selon laquelle les membres de la diaspora, même naturalisés citoyens français, restent sous son autorité. Cette revendication d’une juridiction extraterritoriale illégale constitue une menace directe pour la sécurité nationale.
Pour la communauté chinoise en France, estimée à 600.000 personnes, ces opérations engendrent un climat de peur et de suspicion. Les dissidents, militants pro-démocratie et membres de minorités comme les Ouïghours ou les pratiquants du Falun Gong, sont particulièrement ciblés. Dilnur Reyhan, présidente de l’Institut ouïghour d’Europe, a dénoncé en 2023 une « campagne systématique de répression transnationale ». Les manifestations pacifiques, comme celles organisées par le Falun Gong à Paris, sont régulièrement perturbées par des individus liés à l’ambassade chinoise.
Ces tactiques de répression transnationale violent les droits fondamentaux des individus ciblés, notamment la liberté d’expression et le droit à la vie privée. Les Ouïghours, les militants pro-démocratie, etc. vivent dans la crainte constante d’être surveillés ou harcelés, ce qui limite leur capacité à dénoncer les abus commis par Pékin. Ces pratiques soulèvent des questions éthiques sur la responsabilité des États hôtes à protéger leurs résidents contre de telles ingérences.
Les efforts de la DGSI
La DGSI, créée en 2014, est en première ligne pour contrer ces ingérences. Avec un budget de 450 millions d’euros et environ 5000 agents (en comparaison, le ministère de la Sécurité de l’État chinois compte plus de 200.000 agents), elle dispose de ressources importantes, mais ses capacités sont mises à rude épreuve par la complexité des opérations chinoises.
La cellule dédiée à la Chine, composée de seulement huit agents, souffre d’un manque de spécialistes en mandarin et en dialectes régionaux. Malgré cela, la DGSI a identifié plusieurs agents liés aux « commissariats » clandestins, certains ont été expulsés, d’autres font l’objet d’enquêtes judiciaires pour « intelligence avec une puissance étrangère », un délit passible de sept ans de prison.
Le gouvernement travaille également à une réforme législative pour mieux encadrer les associations soupçonnées de servir de couverture. Un projet de loi, attendu pour l’automne 2025, vise à renforcer les sanctions contre les organisations impliquées dans des activités d’espionnage ou d’ingérence, s’inspirant de législations similaires en Australie et au Canada.
Sur le plan diplomatique, la France dit adopter une posture ferme. En avril 2023, Emmanuel Macron avait déclaré que « la France ne tolérera jamais ce type de comportement ». En juillet 2025, l’ambassadeur de Chine à Paris est convoqué pour exiger la cessation de ces activités. Pékin nie de son côté l’existence des « commissariats », les qualifiant de « bureaux administratifs ».
L’arbre qui cache la forêt
Ces structures d’ingérences chinoises en France ne sont pas non plus les seules à exercer une influence en France. Le rapport Les opérations d’influence chinoises : un moment machiavélien de l’Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire (Irsem), évoque également l’influence des Instituts Confucius dans les universités françaises, subventionnés par l’État français. Au nombre de 18 en France, ces écoles chinoises « permettent à Pékin de renforcer son influence dans les villes moyennes » et ont l’avantage d’avoir des locaux au sein même des facultés.
L’objectif de ces opérations d’influence est, d’une part, d’empêcher tout discours négatif sur le PCC, notamment concernant ce que le régime appelle les « cinq poisons » (les Ouïghours, les Tibétains, le Falun Gong, les « militants pro-démocratie » et les « indépendantistes taïwanais ») et d’autre part, de produire un narratif positif sur la « prospérité, la puissance et l’émergence pacifique » de la Chine, loin de la réalité et des ambitions du PCC sur l’échiquier mondial.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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