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Entretien avec Boualem Sansal« Bonjour la France, Boualem revient. On va gagner ! » : le cri d’espoir de l’écrivain peu après sa libération
Au terme d’une détention dont il confie la rudesse sans jamais céder au pathos, l’écrivain algérien Boualem Sansal a livré, dans un échange téléphonique saisissant, les premières impressions de sa liberté retrouvée. Entre humour discret, lucidité politique, il décrit un an de silence forcé et l’espoir d’un apaisement entre Paris et Alger.

L'auteur algérien Boualem Sansal.
Photo: : DANIEL ROLAND/AFP via Getty Images
L’écrivain Boualem Sansal, récemment libéré après une année d’incarcération en Algérie, a laissé entendre une voix étonnamment vive lors de son entretien avec son ami, l’auteur Kamel Daoud, rapporté par Le Point. L’échange dévoile un homme intact, joyeux, presque espiègle. « Salut Kamel ! », lance l’écrivain, avant de se confier plus en détail.
« Je ne vais pas être détruit par une petite année de prison »
Le dialogue, chaleureux et empreint de complicité, ne masque toutefois pas les séquelles d’un isolement très strict. À la question de son état, Boualem Sansal répond avec une ironie discrète : « Plutôt bien, je suis costaud, tu sais. Je ne vais pas être détruit par une petite année de prison. » Il précise ensuite que « le côté politique » prime désormais, son agenda restant incertain, annonçant son arrivée imminente à Paris.
Privé de tout moyen de communication, séparé de ses papiers et de son téléphone, l’écrivain n’a pu compter que sur les visites de son épouse, Naziha. Lorsqu’on l’interroge sur ses lectures, il éclate d’un « Lire ? C’est interdit. » Dans la prison, seuls des ouvrages religieux ou en arabe circulaient. « Mais il y a un trafic de livres en cachette, tu les payes avec des cigarettes ou avec des gâteaux », confie-t-il. Écrire demeurait impossible : « C’est l’isolement. J’étais dans un truc particulier. J’étais comme coupé du monde. »
« Vous devez mettre de l’eau dans votre vin… »
Il admet avoir perçu, de loin, l’écho de la mobilisation internationale : « J’avais quelques vagues rumeurs. […] J’ai quand même compris que ça bougeait partout. » Le changement de régime carcéral lui en avait donné le pressentiment. Déplacé d’un quartier de très haute sécurité vers d’autres structures, puis vers un hôpital, il s’est retrouvé face à une situation qu’il juge très mystérieuse. Entre transferts successifs et hésitations visibles des autorités, la perspective d’une libération semblait osciller d’une heure à l’autre.
Le récit s’obscurcit encore lorsqu’il évoque le « visiteur du soir », porteur d’un message voilé : « Vous devez mettre de l’eau dans votre vin… » À quoi Sansal répond sans détour : « Vaut mieux me garder encore vingt ans dans ce cas. Si je n’ai pas le droit de parler, alors qu’est-ce que je fais sur terre ? » Et de poursuivre en abordant le sujet diplomatique avec son mystérieux interlocuteur : « Je pourrai être d’accord avec vous si vous faites la paix, si les relations évoluent dans le bon sens parce que la France est l’amie de l’Algérie et c’est vous qui en avez fait un ennemi. L’Allemagne est aussi une amie de l’Algérie. Et si ça va dans ce sens-là, oui. »
Dans cet échange, le romancier offre finalement la phrase optimiste qu’attend son ami : « Bonjour la France, Boualem revient. On va gagner ! » Un cri du cœur, presque une promesse, lancé entre la fatigue et la joie. Tandis qu’il attend l’arrivée de son épouse, il conclut simplement : « J’attends Naziha, elle est en route. »

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