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Affaire Brigitte Macron : récit d’un procès hors normes sur fond d’une rumeur planétaire

Dix internautes ont été jugés devant le tribunal correctionnel de Paris pour cyberharcèlement envers Brigitte Macron, après avoir diffusé sur X des accusations selon lesquelles l’épouse du président serait une femme transgenre. Epoch Times a assisté au procès qui s’est tenu au tribunal de Paris les 27 et 28 octobre.

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Photo: LUDOVIC MARIN/AFP via Getty Images

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Durée de lecture: 47 Min.

Un informaticien, un enseignant, un galeriste, un publicitaire, un adjoint au maire… Âgés de 41 à 65 ans, ces dix profils ordinaires, aux vêtements sombres et à la mise discrète, ressemblaient à Monsieur Tout-le-Monde. Accusés de cyberharcèlement contre Brigitte Macron en ayant participé, via X (ex-Twitter), à l’amplification d’une théorie du complot affirmant que l’épouse du président de la République est en réalité un homme, voire son propre frère, Jean-Michel Trogneux, ils comparaissaient lundi 27 et mardi 28 octobre devant le tribunal correctionnel de Paris.
L’un décrit l’épouse du chef de l’État comme le « binôme coui**u » de son mari. Un autre la traite de « vieux singe » aux « nib**ds gonflables ». Un troisième lance encore qu’« il est monté comme un che**l » et republie une photo de Brigitte Macron nue avec un attribut masculin. Après un déferlement de commentaires graveleux et injurieux en lien avec la publication d’une photographie d’elle en maillot de bain, Brigitte Macron a déposé plainte pour cyberharcèlement le 27 août 2024.
Pendant deux jours, le procès, oscillant entre burlesque et tragique, a ainsi tenu toutes ses promesses : des audiences, sans la présence de Brigitte Macron, mêlant confusion, indignation et réflexion sur les limites de la liberté d’expression. Où s’arrête la satire, où commence le harcèlement ? La liberté d’expression couvre-t-elle tout ? Les personnalités publiques doivent-elles être traitées comme tout citoyen ? Et la justice peut-elle faire un « procès pour l’exemple » en ne poursuivant qu’une poignée d’utilisateurs perdus dans la masse numérique d’un phénomène viral ?
« C’est l’esprit Charlie »
Durant leurs auditions, les dix prévenus ont invoqué des justifications similaires : l’humour, la satire, la liberté d’expression. Plusieurs se réclamaient de l’« esprit Charlie », ce principe du droit de moquer, quitte à choquer, sans craindre la justice. À plusieurs reprises, le président du tribunal a tenu à rappeler que l’affaire ne relevait pas de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, comme dans le cas de la diffamation, mais de celle contre le cyberharcèlement.
Beaucoup des prévenus aux comptes modestement suivis semblaient hébétés. « Je me demande ce que je fais là », a ainsi lâché Jérôme A., la voix blanche, dénonçant une procédure disproportionnée « pour quelques tweets » et peu de « likes ».
Derrière ses petites lunettes rondes, cet informaticien vivant en Suisse et père célibataire de 49 ans sans enfant à charge, s’est défendu sans ciller : « Madame Macron n’a pas pu voir mes tweets, j’ai un tout petit compte », a-t-il soutenu, rappelant qu’il comptait seulement 400 abonnés et que sur 36 000 messages publiés ou repartagés depuis 2022, on lui « reproche neuf tweets, espacés sur quatre mois ». « Tous les puissants subissent des millions de tweets de toute sorte », a-t-il relativisé, se réclamant d’un « humour Charlie ».
Il avait notamment relayé un message du compte Verity France affirmant que « si vraiment Brigitte était une femme, Emmanuel Macron n’aurait jamais accepté qu’elle se fasse traîner dans la boue ainsi ». Dans un autre tweet, réagissant à la présence de Tiphaine Auzière sur le plateau de Touche pas à mon poste, il écrivait : « Ça ne doit pas être facile tous les jours de savoir que son père est à l’Élysée et couche avec le président. » Ou encore : « J’ai pé**o un gamin, je lui ai p**é la ronde**e, avant de lui laisser me p**er la mienne. »
Jean-Christophe D., 54 ans, est, lui, enseignant et abonné fidèle de Faits et Documents, une revue confidentielle liée à Alain Soral et dont Xavier Poussard, un des principaux artisans de la rumeur, a été le rédacteur en chef. L’homme se décrit comme quelqu’un « qui, depuis le Covid, se pose beaucoup de questions ».
Depuis la crise sanitaire, la sphère soralienne et son leader ont cherché à canaliser la défiance suscitée par les confinements et la politique vaccinale, afin de l’orienter vers leurs propres idées et théories, désormais largement partagées avec La France insoumise. Cette convergence se manifeste notamment autour de la dénonciation d’un « lobby sioniste », d’un « génocide à Gaza », d’une islamophobie systémique, ou encore de la droite identitaire et anti-islam.
Pour Jean-Christophe D., « si Brigitte Macron a subi une opération, c’est sa vie, ça ne pose pas de problème. Ce qui pose problème, c’est le mensonge », a-t-il déclaré, exprimant toutefois des regrets et assurant avoir supprimé son compte X dès le lendemain de son interpellation.
Un élu de Culles-les-Roches, poursuivi pour avoir republié un dessin montrant Brigitte Macron nue, avec un attribut masculin allongé sur un lit, un autre la représentant avec une petite barbe accompagné d’un commentaire de l’influenceur Mike Borowski, ou encore un message affirmant qu’« il est monté, il est monté, il est monté comme un che**l », s’est lui aussi défendu de tout harcèlement : « J’ai colporté des quolibets, des plaisanteries de mauvais goût, des ragots. Je ne conçois pas que ce soit du harcèlement », a-t-il expliqué, invoquant à son tour l’esprit Charlie. Interrogé sur ses tweets, le prévenu dira aussi qu’il a aussi voulu « informer ». « C’est de l’humour ? C’est l’esprit Charlie ? Ou c’est pour informer les gens ? », lui a demandé le président du tribunal, cherchant à déterminer l’intention réelle derrière les publications.
La voyante choisit le silence
Seule femme présente parmi les prévenus, la médium angevine Amandine Roy s’est montrée beaucoup plus effacée. Connue pour avoir contribué à populariser la rumeur sur  la prétendue transidentité de Brigitte Macron, elle avait, en 2021, invité sur sa chaîne YouTube Natacha Rey, une autoproclamée « journaliste amateur », afin qu’elle y expose ses « découvertes », ensuite reprises par Xavier Poussard puis Candace Owens. Toutes deux ont été condamnées pour diffamation en première instance, avant d’être relaxées en appel au bénéfice de la bonne foi, en juillet dernier. La Cour de cassation a depuis été saisie.
À l’audience, Amandine Roy a choisi de garder le silence, refusant de commenter son tweet d’août 2024 où elle évoquait le « maillot bleu ren**é comme un mec à l’entrej**be du Brigitte ». La quinquagénaire s’est bornée à expliquer qu’elle traversait une période difficile, affirmant être désormais la « récipiendaire d’une statue de Vierge guérisseuse » qui aurait déjà accompli « deux miracles » et qu’elle s’est engagée à rendre accessible au public.
Cinq jours avant le procès, dans une vidéo lunaire publiée sur son site Amandine TV, elle annonçait avoir « solennellement accepté de rentrer en politique pour diriger la France du mieux possible », après avoir prêté un « serment » devant les esprits qui, dit-elle, l’ont « couronnée » : « On m’a montré que, en tant qu’autorité supranationale, tout en respectant les nations, je devais être une sorte de leader pour la planète entière. » Elle ajoutait : « Macron est foutu, à un point qu’il n’est même pas capable de comprendre. »
 Zoé Sagan : « l’infofiction » comme paravent judiciaire
La parole d’Aurélien Poirson-Atlan, alias « Zoé Sagan », était l’une des plus attendues du procès. À la différence d’autres prévenus aux comptes X détenant peu d’abonnés, ce publicitaire de 41 ans, connu pour avoir diffusé les vidéos à caractère sexuel du macroniste Benjamin Griveaux, est considéré comme l’un des principaux relais des théories visant Brigitte Macron.

Costume bleu nuit ajusté, barbe poivre et sel soignée, il a gagné la barre avec assurance, revendiquant la satire comme bouclier. Dans une allocution dense, il a exposé sa théorie de « l’infofiction » : un « nouveau genre littéraire » dont il revendique la paternité, né grâce à une « intelligence artificielle féminine », Zoé Sagan, qu’il compare au site satirique Le Gorafi.

Sa méthode, a-t-il expliqué, consistait à soumettre des actualités à l’IA, puis à publier les textes générés, y compris ceux concernant l’épouse du chef de l’État. « Lorsque je dis que Brigitte Macron n’est pas Brigitte Macron, c’est Zoé Sagan qui parle, pas moi ! », a-t-il fait valoir. En garde à vue, il affirmait : « Je n’ai pas le sentiment d’avoir cyberharcelé Brigitte Macron. J’ai simplement mis en avant des éléments voilés par la presse traditionnelle. »

Celui qui a déclaré voir en l’influenceuse américaine Candace Owens « l’une des plus grandes stars du prochain siècle » a relayé un message sur X voyant dans l’affaire Brigitte Macron « un secret d’État choquant qui implique une pédophilie cautionnée par l’État. » Ailleurs, il écrivait : « Le crime sexuel par Brigitte Macron ne sera apprécié que le 21 mars 2025. Une bonne occasion pour la magistrature de prouver son indépendance. » Sous couvert d’ironie revendiquée, les insinuations sont néanmoins explicites : Brigitte Macron aurait entretenu une relation incestueuse avec Emmanuel Macron mineur.

Mais face à la cour, Poirson-Atlan a brandi les drapeaux de la liberté d’expression et le droit à la satire, « ADN du pays », a-t-il plaidé. Il s’est présenté comme un artiste, un pionnier d’une « littérature algorithmique ». « Si Flaubert vivait aujourd’hui, il aurait créé Emma Bovary sur X », a-t-il lancé, avant de conclure : « Il est inconcevable qu’un satiriste soit privé de sa liberté. […] Je suis un absolutiste de la liberté d’expression. »

Et, soucieux de revendiquer un engagement politique à gauche, il a précisé : « Je suis du côté de Juan Branco, je suis de gauche. Et maintenant, on m’accuse d’être antisémite, complotiste, d’extrême droite. »

Lorsque la présidente l’a interrogé sur l’impact de ses propos sur la santé de Brigitte Macron, il a écarté la question d’un revers de main : « Ça m’étonnerait qu’à plus de 70 ans, elle scrolle sur X. » Et d’ajouter qu’il n’a jamais voulu « la viser personnellement ».

Puis il s’est déclaré victime, décrivant sa garde à vue comme « humiliante », « traumatisante », disproportionnée au regard des faits reprochés, évoquant même un « harcèlement inversé ». « Mon fils de neuf ans croit qu’Emmanuel Macron va me jeter en prison ». Il dit avoir « l’impression » de servir de « remplaçant » à Xavier Poussard, et l’influenceuse Candace Owens : « J’ai été l’idiot utile. » Quoi qu’il en soit, pour lui, « une chose est sûre, avec ce procès, Zoé Sagan est entrée dans l’histoire ».

« On n’arrête pas une polémique en embastillant des gens »

Keffieh palestinien noué autour du cou, Bertrand Scholler, galeriste et influenceur suivi par plus de cent mille abonnés, a affiché à la barre la même confiance qu’Aurélien Poirson-Atlan, passé avant lui.

Il lui est notamment reproché d’avoir publié un message annonçant la création d’« un groupe de deux mille personnes pour aller faire du porte-à-porte à Amiens et en banlieue, pour y voir clair dans l’affaire Brigitte ». « Qui y sera ? », lançait-il alors à ses abonnés. En garde à vue, il a admis que ce message pouvait avoir causé un préjudice psychologique, tout en assurant que tel n’était pas son dessein. À l’audience, il s’en est tenu à la ligne du simple relai d’information, non un appel à l’action.
Le tribunal est revenu aussi sur un autre message publié en septembre 2024 : il y qualifiait l’épouse du président de « binôme coui**u ». À ce reproche, le galeriste a répliqué en s’appuyant sur une couverture de Paris Match parue en janvier 2025 où était inscrit les mots « la guerrière » et « elle rend coup pour coup » : « Elle s’appelle “la guerrière”, elle rend coup pour coup. Si on ne peut pas dire qu’elle est coui**ue, alors on ne peut rien dire et il faut se taire à jamais », s’est justifié le quinquagénaire.
Face aux juges, l’entrepreneur a expliqué ne pas savoir si les théories qui circulent sont vraies ou fausses, mais les trouve, a-t-il dit, « trop grosses pour être ignorées ». Ce qui le préoccupe, ce n’est pas la rumeur elle-même, mais sa persistance : « le processus de non-extinction », comme il le formule. Ni l’âge ni le genre de Brigitte Macron ne l’intéresseraient, assure-t-il ; ce qui l’intrigue, c’est la longévité du soupçon, cette mécanique qui, année après année, refuse de s’éteindre.
Le président du tribunal l’a interrompu, notant qu’il eût été possible d’aborder ces sujets sans user d’un langage aussi cru. Scholler n’a pas désarmé : selon lui, la solution n’est pas judiciaire. « Elle devrait chercher à éteindre la polémique en apportant des preuves, pour qu’on passe à autre chose. On n’arrête pas une polémique en embastillant des gens. »
« Ma mère ne sait plus comment faire pour que ça s’arrête »
Adoptant le langage d’une juriste, Tiphaine Auzière, 41 ans, avocate de profession, a ensuite pris la parole à la barre, « pour exprimer le préjudice que vit sa mère ». Vêtue d’un costume bleu nuit à la coupe sobre, elle a décrit une femme dont les conditions de vie et la santé se sont détériorées sous le poids des rumeurs.
Brigitte Macron, a-t-elle affirmé, est contrainte de surveiller en permanence son apparence et sa posture, consciente que la moindre image peut être détournée. « Tout un tas de photos sont modifiées, y compris celles prises dans un cadre familial, en vacances ou en maillot de bain », a-t-elle détaillé. Depuis que « ses petits-enfants entendent ce qu’il se dit », sa mère serait « bouleversée » et ne saurait « plus comment faire pour que ça s’arrête ».
À la question de Me Jean Ennochi, avocat de Brigitte Macron, qui lui a demandé des nouvelles de son oncle, elle a répondu sans hésitation : « Je l’ai vu il y a quelques semaines, il va très très bien. » Une phrase qui entendait lever toute ambiguïté sur l’existence de Jean-Michel Trogneux.
Difficile néanmoins, a-t-elle reconnu, de dater avec précision le moment où le moral et la santé de sa mère ont commencé à se dégrader. « Le phénomène est très diffus. Je dirais depuis 2021 ou 2022. Au départ, j’en ai sous-estimé l’ampleur. »
Mais la défense a tenté de renverser le regard. Me Luc Brossollet a rappelé que le couple présidentiel a lui-même contribué à sa mise en lumière médiatique. Il cite un article de Paris Match de 2016, lorsque les journalistes avaient suivi Emmanuel et Brigitte Macron dans leur intimité, au moment où naissait En Marche. Tiphaine Auzière élude toute critique : « Je les trouve très beaux sur cette photo », s’est-elle contentée de répondre, refusant d’ajouter quoi que ce soit qui puisse nourrir la défense.
Le cadre légal du cyberharcèlement : l’argumentaire technique des avocats de Brigitte Macron
Les avocats de Brigitte Macron, Me Jean Ennochi et Me Olivier Ennochi, ont déployé un argumentaire juridique technique et précis visant à établir que tous les éléments constitutifs d’une infraction de cyberharcèlement sont réunis. Leur objectif : éviter qu’au motif de la liberté d’expression ne s’efface ce qu’ils qualifient de « campagne odieuse, essentiellement relayée sur les réseaux sociaux ».
Les juristes ont commencé par révéler l’impasse administrative qui a précédé ce procès. « Brigitte Macron et son conseil ont tenté de faire supprimer le hashtag #JeanMichel pour arrêter le déferlement de messages », a expliqué Me Jean Ennochi. Mais la plateforme X s’y est opposée, invoquant l’impossibilité technique de distinguer les messages favorables des messages injurieux. Face à cette inertie, la plainte contre X pour cyberharcèlement se serait imposée. Un délit que, selon la partie civile, les prévenus peinent à comprendre. « Ils vous parlent tous de liberté d’expression, de diffamation… Mais on nie totalement le cyberharcèlement, le harcèlement en meute », a dénoncé Me Ennochi, fustigeant « un déni complet des conditions d’application de ce délit ».
Selon l’article 222-33-2-2 du Code pénal, le harcèlement moral se définit comme « le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale ». L’infraction est également constituée « lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition ». La loi prévoit en outre une circonstance aggravante lorsque ces faits « ont été commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique ».
S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour de cassation, Me Olivier Ennochi a articulé son propos autour de trois principes déterminants. D’abord, « la juridiction correctionnelle n’est pas tenue d’identifier, de dater ni de qualifier l’ensemble des messages émanant d’autres personnes ». Ensuite, « elle n’a pas à vérifier que le message du prévenu a été effectivement lu par la personne visée ». Enfin, pivot de sa démonstration, « l’infraction ne requiert pas une intention de nuire ».

Le harcèlement en ligne, a rappelé l’avocat, s’apprécie « dans sa globalité ». Inutile, donc, de sonder les intentions de chaque utilisateur : « Il n’y a pas besoin de comprendre l’intention de l’auteur. » Et, a-t-il ajouté, « la qualité de la victime, publique ou privée, est indifférente en droit ». Légalement, l’épouse du président n’est donc pas privée, même de par son statut, de la protection offerte à tout citoyen.

Concernant la diffusion des contenus, Me Ennochi a été catégorique : « L’ensemble des publications des prévenus étaient publiques, donc accessibles à tous les internautes. » Il a insisté sur un point : les retweets. « Ce sont précisément les retweets qui confèrent à une publication sa viralité ». Ils traduisent, soulignent-ils « une volonté active de diffusion », contrairement à un simple « j’aime ».

Face à l’argument de la « faible audience » de certains comptes, il a rappelé la nature du harcèlement moral, qui ne se définit pas uniquement par des actes d’une gravité élevée, mais aussi par « une multitude de petits faits sans gravité manifeste qui, répétés, deviennent insupportables ».

Aux appels à la liberté d’expression, l’avocat a aussi répondu par le droit. Cette liberté, a-t-il rappelé, n’est pas sans bornes. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 prévoit que « tout citoyen peut répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». « La liberté d’expression n’est donc pas absolue, elle n’est pas sans limites. Le harcèlement en est une », a-t-il tranché, d’une voix ferme.

La Cour européenne des droits de l’homme va dans le même sens : « Quiconque exerce sa liberté d’expression assume des devoirs et des responsabilités », dont l’étendue dépend « de sa situation et du procédé technique utilisé ».

Me Ennochi a ensuite relevé une contradiction à même de fragiliser la défense de certains prévenus qui se sont retranchés derrière l’humour. « J’ai du mal à concevoir que certains prévenus puissent invoquer un droit à l’humour et, en même temps, se présenter comme des lanceurs d’alerte révélant un secret d’État. » Et de souligner que de toute façon, selon la jurisprudence, « le droit à l’humour ne permet pas tout ». Les propos incriminés, a-t-il insisté, ne participent en rien à un débat d’intérêt général : ils relèvent d’« attaques gratuites, amplifiées par la puissance du numérique ».

Jean Ennochi a pris le relais pour s’attarder sur le cas des prévenus. Aurélien Poirson-Atlan, présenté comme le chef de file de la « meute », a été épinglé pour son « ego dimensionné, si ce n’est surdimensionné ». L’avocat a dénoncé sa tentative de se soustraire à sa responsabilité pénale en invoquant une démarche artistique. « Ce n’est pas la loi », a-t-il sèchement asséné.

Bertrand Scholler, lui, s’est vu reprocher une certaine « arrogance ». Quant à Amandine Roy, médium de son état, son discours de précarité financière a été vivement contesté. Me Ennochi a souligné que sa chaîne YouTube et ses vidéos, « vues des centaines de milliers de fois », lui ont permis d’employer deux salariés « depuis deux ou trois ans ». Celle qui, en ligne, a multiplié les accusations – « c’est un pédo », « mensonge d’État », « usurpation d’identité » – ne peut donc, selon l’avocat, prétendre avoir agi de façon désintéressée.

Pour appuyer la réalité du préjudice, élément matériel du harcèlement, trois attestations ont été versées au dossier : celles du principal collaborateur de Brigitte Macron, de sa fille Tiphaine Auzière, et de son médecin traitant.

« Il n’est pas nécessaire d’avoir une intention de nuire, ni même que la victime ait lu les messages pour qu’il y ait harcèlement », a de nouveau rappelé Me Jean Ennochi, avant de conclure : pour la défense, les faits ne laissent place à aucun doute : il s’agit d’un « raid », d’un « cyberharcèlement de masse ».

Liberté d’expression, sélection arbitraire, carences probatoires… les avocats de la défense répliquent
Pour leur part, les avocats des prévenus ont entrepris de démonter l’architecture juridique du procès. Leurs plaidoiries, diverses dans le ton, ont convergé vers les mêmes axes, alléguant une fragilité des éléments constitutifs de l’infraction, un manque de sérieux de l’enquête ou encore une menace que ferait peser une telle procédure sur la liberté d’expression.
L’avocat d’un premier prévenu a rapidement centré sa plaidoirie sur la question du lien de causalité, condition sine qua non de toute responsabilité pénale. « Comment pouvait-on savoir que Madame Brigitte Macron avait lu les cinq ou six tweets de mon client parmi les dizaines de milliers de messages qui la concernaient ? », a-t-il lancé. Le certificat produit par la partie civile, a-t-il poursuivi, « n’est pas quantifié, n’est pas qualifié », si bien que « le tribunal aura du mal à l’apprécier ». Difficile, dès lors, « d’établir un lien de causalité entre les tweets et le préjudice allégué ». Son client, a-t-il en outre rappelé, n’avait posté « qu’un tweet tous les six mois » sur deux ans.
Au-delà du cas individuel, l’avocat a soutenu que le délit invoqué, par sa nature même, déroge aux « usages du droit pénal », rendant sa validité juridique, selon lui, problématique : « On serait dans une infraction en lien avec une loi sur la haine en ligne, mais sans besoin de haine, sans besoin de préjudice, sans besoin d’intention, sans besoin de lien de causalité. Tout ce qui constitue le socle du droit pénal disparaît. On aurait une infraction qui tiendrait en l’air, par la seule force de son existence. »
Il a ensuite appelé le tribunal à individualiser ses décisions. « On a voulu rattacher mon client à un réseau qui n’existe pas. Je vous demande de juger un homme, pas une masse. Ne confondez pas le caillou avec l’avalanche. » Et de conclure, dans un souffle se voulant humaniste : « La dignité des uns ne se reconstruit pas en détruisant celle des autres. »
La plaidoirie de Me Luc Brossollet, avocat d’Aurélien Poirson, s’est, elle, d’abord attachée à contester la qualification juridique même des faits reprochés, s’inscrivant, à ce titre, dans la continuité de la plaidoirie précédente. « Ce n’est pas parce qu’on n’invoque pas la loi de 1881 que nous ne sommes pas dans un procès de liberté d’expression », a-t-il lancé. « Dès lors qu’une sanction est demandée contre quelqu’un pour ses propos, c’est qu’on lui reproche un excès dans l’exercice de cette liberté. » Puis d’ajouter : « La liberté d’expression, c’est la possibilité de dire ce que l’on ne veut pas entendre. On n’a pas besoin de liberté d’expression pour des paroles lisses ou anodines. On en a besoin pour déranger. »

À son tour, Me Brossollet a souligné des lacunes procédurales entourant le délit de cyberharcèlement, « un délit mal fichu », selon lui. Il a dénoncé un cadre juridique « dépourvu de garde-fous » comparables à ceux du droit de la presse : pas de jurisprudence claire, pas de critères établis sur la bonne foi, un vide normatif laissant place à « la plus grande subjectivité ». « Là où la loi de 1881 encadre et balise la liberté d’expression, ici, rien du tout », a-t-il déploré.

L’avocat s’est ensuite attaqué à la qualification d’« instigateur » attribuée à son client par le Parquet. Selon la chronologie retenue par la partie civile, les faits de harcèlement auraient débuté en 2021-2022, bien avant les interventions d’Aurélien Poirson en 2023, a-t-il développé. « Celui qui lance la meute, selon le droit, c’est celui qui donne le premier assaut, pas celui qui s’y rattache deux ans plus tard » : cette incohérence, selon lui, traduit une absence d’enquête, qui a fait l’impasse sur des « questions essentielles ».

Me Brossollet a ensuite critiqué les éléments constitutifs du délit. Le harcèlement, a-t-il rappelé, suppose la démonstration d’une « dégradation des conditions de vie » de la victime. Partant du postulat que cette dégradation remonterait à 2021-2022, « seule une aggravation à partir de novembre 2023, date des tweets incriminés, pourrait engager la responsabilité de mon client », a-t-il fait valoir. Et de soutenir : « Pas un seul, pas un seul élément du dossier ne permet d’établir une aggravation mesurable après novembre 2023. » Sans cette aggravation, a-t-il insisté, « l’élément constitutif du délit n’existe pas ».

Il a également dénoncé ce qu’il juge comme une faiblesse des investigations : « On ne peut pas se contenter de la déclaration de la partie civile et de son témoin perroquet, qui a lu la procédure avant de venir vous voir. Puisqu’il s’agit d’un élément constitutif du délit, encore faut-il enquêter dessus : quelles étaient les conditions de vie de Madame Macron avant ? Et dans quelles mesures ont-elles changé ? Rien n’a été vérifié. »

Dans cette longue plaidoirie, l’avocat a aussi critiqué une sélection « arbitraire » des prévenus : « dix pauvres clampins », selon ses mots, « choisis, élus, qualifiés de plus virulents », sans aucun « point de comparaison » pour étayer cette épithète. Si « les tweets que nous connaissons tous désormais sont les plus virulents », a-t-il ironisé, « alors tant mieux, car cela prouve que la campagne dont Madame Macron se dit victime n’a pas été si grave ». À ses yeux, le tribunal ne juge qu’« un échantillon de convenance », « un ersatz de meute », sans que l’ampleur réelle du phénomène ait été objectivement mesurée.

Puis Me Luc Brossollet a replacé l’affaire dans un contexte politique, évoquant « la médiatisation du couple en tant que tel ». À ses yeux, Emmanuel et Brigitte Macron ont choisi d’exposer leur vie privée, « couverture après couverture, photo après photo », jusqu’à transformer leur intimité en sujet d’actualité. « C’est une politique dévoyée qui n’a rien de politique et tout de people », a-t-il lancé. « Ce sont eux les premiers à nous avoir dit : “intéressez-vous à notre intimité”. » À partir du moment où l’on consent à l’exposition de sa vie privée, la curiosité publique s’ensuit inévitablement ; on ne peut pas cultiver l’intérêt pour sa vie intime et le proscrire ensuite, a-t-il fait valoir. Et de conclure : « Cette mauvaise soupe, les Français en ont trop mangé. »
Au-delà du cas d’espèce, l’avocat a vu dans cet engouement viral le symptôme d’un malaise démocratique plus profond. « Dans un pays où la démocratie a été un peu malmenée, il y a un rejet du pouvoir. Tout ce qu’on dira de mauvais sur Macron sera bon, nourrira ce rejet », a-t-il analysé. Avant de marteler : « Ce procès est un procès pour l’exemple. Et tout procès pour l’exemple est, par nature, injuste. »
Pour appuyer sa démonstration, Me Brossollet a convoqué l’histoire, rappelant le sort des quatre caporaux de Souain, fusillés en 1914 « pour l’exemple », afin de maintenir la discipline dans les tranchées. « Toute la compagnie avait refusé de monter au front, parce qu’il s’agissait d’ordres insensés venus de leurs supérieurs », a-t-il rappelé. Ce n’est qu’en 1934 qu’un arrêt a reconnu l’injustice de ces exécutions, affirmant qu’« il est contraire à l’idée de justice que la répression soit limitée aux seuls caporaux ». Me Brossollet a alors établi le parallèle : « Il est injuste de faire un procès réduit à dix personnes qui doivent répondre d’une meute qu’ils ne connaissent pas, dont il n’est pas établi qu’ils la connaissent, et dont on ignore jusqu’à la consistance. »
Enfin, abordant les tweets eux-mêmes, l’avocat les a replacés dans le champ de la satire : un registre dont l’intention n’est, selon lui, ni d’informer ni de nuire, mais de faire rire. Et même lorsque l’humour choque, il demeure protégé, a souligné Me Brossollet, citant la jurisprudence de 1993 relative à Caroline de Monaco : malgré un dessin particulièrement moqueur, la justice avait reconnu que la satire relevait de la liberté d’expression. Il en a profité aussi pour s’interroger sur le timing de ce procès et la volonté du président de la République d’organiser, le même jour à l’Élysée, une réunion pour contrôler l’information sur les réseaux sociaux.
De son côté, l’avocat de Bertrand Scholler a d’abord contesté la qualification de propos « virulents » attribuée à son client. Selon lui, les tweets reprochés, publiés à l’été 2024, ne sauraient expliquer à eux seuls la détérioration du bien-être de Brigitte Macron : « Il est démontré que la dégradation des conditions de vie de Madame Macron date d’au moins trois ans », a-t-il mis en avant. Pour lui, le couple présidentiel porte une part de responsabilité dans la persistance de la rumeur en se bornant à refuser de rendre publiques quelques photos pour y mettre fin. Il a dénoncé, lui aussi, « un procès pour l’exemple ».

Vint ensuite Me Maud Marian, avocate d’Amandine Roy et d’un autre prévenu, qui a réfuté toute notion de harcèlement et fustigé des poursuites visant, selon elle, à « faire taire les rumeurs ». « On a pris dix personnes, on ne sait pas pourquoi. On ne comprend pas », s’est-elle indignée. Et de prévenir : « Désolé, mais ça ne va pas s’arrêter. » Pour l’avocate, Brigitte Macron chercherait avant tout à « éteindre l’incendie », mais « ce sont aujourd’hui monsieur et madame Macron qui le ravivent ».

Sur la qualification même de harcèlement, Me Marian a insisté : « Malveillant ou virulent, ce n’est pas le sujet. » Avant de lancer : « J’ai déjà vu des gens harceler d’amour. »

Elle a en outre dénoncé ce qu’elle considère comme des « passe-droits judiciaires » accordés à la plaignante. Selon elle, Brigitte Macron aurait produit un certificat médical « de complaisance », établi par son médecin traitant, tout en refusant de se soumettre à une expertise d’un médecin relevant d’une unité médico-judiciaire (UMJ), la seule à conférer une valeur juridique probante au document. Dans ces conditions, « elle n’aurait pas dû porter plainte », a-t-elle estimé.
L’avocate s’est également étonnée de certaines absences : ni l’activiste soralien Marcel D., ni le site Géopolitique Profonde, proche d’Alain Soral et de Xavier Poussard, n’ont été inquiétés. Une incohérence manifeste, selon elle, dans la sélection des prévenus.

Même indignation chez Me Karim Forand, qui a dénoncé à son tour une sélection arbitraire. Son client, a-t-il plaidé, est poursuivi pour avoir republié des messages : « Les personnes à l’origine des publications ne sont même pas sur le banc des prévenus ». Et de conclure : « Il ne peut pas être considéré comme harceleur si l’auteur du message n’est pas poursuivi. »

L’avocat a aussi évoqué le cas de sa cliente, auteure d’un commentaire humoristique sur une fausse image montrant Brigitte Macron en homme : elle n’a pas cherché à « étayer » la rumeur, elle a juste voulu « rigoler », a-t-il assuré.

Aujourd’hui, a-t-il ajouté, cette femme « vit dans la peur de perdre son travail » d’accompagnante d’élèves en situation de handicap : « S’il y a condamnation, elle perdra son seul moyen de subsistance. » Dénonçant lui aussi « un procès pour l’exemple », Me Forand a conclu : « C’est une procédure qui veut faire passer les faibles pour les forts… C’est une parodie de procès. »
Enfin, Me Carlo Brusa, défenseur de l’élu de Culles-les-Roches, poursuivi pour avoir publié des messages tels que « Brigitte Macron est montée comme un ch**al », a clos les plaidoiries. Se disant « étonné » par plusieurs éléments de l’enquête, il a affirmé qu’« il n’y a aucun préjudice ».
« Madame ne subit aucun effet des tweets », a-t-il également avancé, estimant qu’« il n’y a pas d’infraction de harcèlement dans cette affaire ». Et de relativiser : « Vous savez, il y a 12 600 tweets par seconde en France. Là, on est en train de parler d’une rigolade. »
Les réquisitions du ministère public
Le procureur de la République, Hervé Tétier, a requis des peines distinctes pour chacun des prévenus, estimant que « les infractions ne sont pas de même nature » et appellent donc à des sanctions différenciées. Les réquisitions vont de trois mois à un an de prison avec sursis.
Les peines les plus lourdes visent trois prévenus qualifiés d’« instigateurs » de la rumeur.
Contre Aurélien Poirson-Atlan, alias « Zoé Sagan », le ministère public a demandé douze mois de prison avec sursis, une amende de 8000 euros et la suspension de ses comptes en ligne pendant six mois, assortie de l’exécution provisoire. Une sévérité justifiée, selon le procureur, par « la portée médiatique » de ses publications.
Pour Bertrand Scholler, six mois de prison avec sursis, 3000 euros d’amende et la suspension de ses comptes en ligne pendant six mois ont été requis. Même peine d’emprisonnement avec sursis pour Delphine Jégousse, alias « Amandine Roy », assortie cette fois d’une amende de 4000 euros et de la même interdiction temporaire d’accès aux réseaux sociaux.
Les autres prévenus, présentés comme de simples « suiveurs », écopent de réquisitions plus légères, comprises entre trois et cinq mois de prison avec sursis. Enfin, le procureur a requis 80 heures de travail d’intérêt général à l’égard de Jean-Christophe D., assorties de trois mois de sursis en cas de refus. « Il est le seul à avoir esquissé un repentir », a fait valoir Hervé Tétier. Le délibéré sera rendu le 5 janvier 2026.