Opinion
Accord franco-britannique sur l’immigration : « Cet accord n’évoque en rien la lutte contre les passeurs », déplore Fernand Gontier

Photo: Crédit photo : Fernand Gontier
ENTRETIEN – L’accord franco-britannique sur l’immigration est entré en vigueur en août. Fonctionnant sur la base du principe de réciprocité, celui-ci prévoit le renvoi en France de migrants arrivés avec des petites embarcations sur le sol britannique en échange de l’envoi au Royaume-Uni de migrants étant en France et dont la demande d’asile est acceptée. Selon le Quai d’Orsay, il s’agit également « briser le modèle économique des réseaux de passeurs exploitant la misère et mettant en danger la vie des migrants ».
Fernand Gontier a été directeur central de la Police aux Frontières (PAF) entre 2017 et 2022. Il a publié en 2024 La face cachée de l’immigration (Baudelaire). Il estime que l’accord n’est pas en mesure de mettre à mal les trafiquants de migrants.
Epoch Times – Fernand Gontier, comment avez-vous accueilli cet accord entre Paris et Londres ? Certains responsables politiques français affirment qu’il avantage les Britanniques. « Eux [les Britanniques], ils vont choisir qui va aller au Royaume-Uni, qui va rester, et ils vont choisir qui va retourner en France et en Europe. Eux auront l’immigration choisie et nous nous allons avoir l’immigration subie », déclarait le président de la région des Hauts-de-France Xavier Bertrand en juillet.
Fernand Gontier – Sur ce point, Xavier Bertrand a raison. Les Britanniques vont effectivement choisir les personnes en fonction de critères bien précis, notamment l’absence de troubles à l’ordre public, de passage illégal de la Manche et l’existence de liens familiaux au Royaume-Uni. Mais il va être difficile pour les Français de vérifier si ces critères sont réunis ou pas.
Ensuite, l’accord se veut être équitable sur le plan quantitatif. D’où l’utilisation de l’expression anglaise « One in, one out » pour caractériser ce traité. En cas de déséquilibre l’accord sera alors dénoncé.
Mais pour la France, la situation s’annonce plus complexe puisque si elle reprend une personne sur son sol, il va falloir déterminer son statut. Est-ce qu’elle va être régularisée ou ramenée vers son pays d’origine ? Sera-t-elle admissible dans un autre État de l’espace Schengen ? Ces interrogations demeurent sans réponse.
Les clandestins qui traversent la Manche viennent très souvent de pays vers lesquels il est difficile voire impossible de les éloigner. Et je ne suis pas certain que d’autres pays membres de l’espace Schengen acceptent de les récupérer.
Les personnes qui vont être admises en Grande Bretagne vont accéder à un statut et être régularisées. Nous n’avons pas autant de visibilité sur celles qui vont être renvoyées en France et qui risquent de rester dans la clandestinité. Cet accord présente donc un déséquilibre qualitatif.
Je crains aussi malheureusement qu’il serve d’argument aux passeurs pour faire monter les prix des traversées. C’est ce qu’ils avaient fait la veille du Brexit.
Cet accord n’est donc pas de nature à perturber le modèle économique des passeurs en ouvrant des voies d’immigration légale outre-manche ?
Non, pas du tout. Les traversées tentées ou réussies ont augmenté de 13 %. Plus de 32 000 immigrés illégaux sont parvenus à rejoindre les côtes anglaises depuis le début de l’année. Dès lors les volumes prévus par l’accord, soit 2 500 sur une année sont marginaux.
En réalité, même si l’accord fonctionnait, il n’endiguerait pas de manière significative les traversées et briserait encore moins le modèle économique des filières d’immigration clandestine qui savent faire preuve d’une agilité déroutante quand elles doivent affronter de nouveaux obstacles législatifs.
Et contrairement à ce qu’il peut laisser croire, cet accord n’évoque en rien la lutte contre les passeurs, ce qui est regrettable.
Paris et Londres auraient pu profiter de l’occasion pour s’attaquer aux réseaux criminels en renforçant par exemple notre coopération policière avec l’ensemble de nos voisins européens. Ces filières ne sont pas uniquement présentes sur le sol français.
Et je rappelle que depuis le Brexit, Londres ne fait plus partie d’Europol et qu’elle n’a par conséquent plus accès aux bases de données européennes comme le système d’information Schengen (SIS).
Il aurait donc été opportun de prévoir un accord européen de coopération policière et judiciaire qui compenserait justement les inconvénients de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.
Il aurait donc été opportun de prévoir un accord européen de coopération policière et judiciaire qui compenserait justement les inconvénients de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.
« Il eut été plus judicieux de d’engager la responsabilité de l’UE plutôt que de faire cet accord », estimiez-vous sur CNews. C’est-à-dire ?
Ce traité a un autre défaut et pas des moindres. Il est seulement franco-britannique. J’ai d’ailleurs été surpris par l’absence de réaction de la Commission européenne.
Normalement, aucun État membre ne peut signer d’accord de réadmission avec des pays tiers. C’est une compétence exclusive de l’UE. Autrement dit, la France va porter le fardeau qui revenait, selon les règles européennes à Bruxelles.
Cet accord part d’une bonne volonté, mais risque de décevoir des deux côtés de la Manche, de créer notamment des frustrations parmi les élus locaux du nord de la France. Ils ne verront pas de véritables changements parce qu’il n’est pas un accord de réadmission européen.
Il s’agit au fond d’un petit traité pas à la hauteur des enjeux migratoires, signé par des responsables politiques français et britanniques pressés.
Depuis le début de l’année, plus 32.000 migrants ont traversé la Manche. Quelles mesures permettraient de stopper cette crise ?
La Manche est une frontière extracommunautaire, c’est-à-dire une frontière européenne. Commençons donc, comme je le disais à davantage impliquer d’autres États européens directement concernés par cette crise, mais aussi d’autres acteurs comme Europol ou Frontex.
Quels États européens ?
Quand je parle de nos voisins européens, je pense d’abord à l’Allemagne. Outre-Rhin, la législation présente une vraie lacune en matière de lutte contre le trafic de migrants vers l’extérieur de l’UE. Ainsi, des réseaux criminels utilisent des entrepôts allemands pour stocker du matériel nautique avant de l’amener vers les côtes françaises pour les traversées de la Manche. L’Allemagne est réellement la base arrière logistique de ce trafic.
Je note que Londres et Berlin ont signé en juillet le traité de Kesington. Dans cet accord, l’Allemagne s’est engagée à durcir la législation sur la facilitation du trafic de migrants vers le Royaume-Uni. J’espère que nos voisins d’outre-Rhin vont agir vite.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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