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Pris entre Washington et Pékin, les étudiants chinois face à un choix difficile

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Le campus de l’université Purdue avant le match de football contre les Illinois Fighting Illini à West Lafayette (Indiana), le 30 septembre 2023.

Photo: Michael Hickey/Getty Images

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Durée de lecture: 11 Min.

Le nouveau front de la rivalité sino-américaine se joue sur les campus américains. Jadis perçus comme des passerelles entre les deux pays, les étudiants chinois sont désormais incités, voire contraints, à choisir leur camp.
Selon les analystes, la volonté de Xi Jinping, leader du Parti communiste chinois, d’imposer une Chine plus forte et plus affirmée a placé Pékin sur une trajectoire de collision avec Washington. À mesure que les deux gouvernements durcissent leurs positions, des centaines de milliers d’étudiants chinois aux États-Unis subissent l’étau.
Les agents consulaires américains refusent désormais de manière routinière, ou annulent, des visas liés au réseau militaro-industriel du régime.
Pékin, de son côté, a renforcé la surveillance de ses ressortissants à l’étranger, qualifiant d’éléments à risque sécuritaire les étudiants les plus critiques et, dans certains cas, les emprisonnant à leur retour. La neutralité académique n’est plus une option.

L’Amérique referme ses portes

En mars, le représentant John Moolenaar (républicain du Michigan), président de la commission spéciale de la Chambre sur le Parti communiste chinois (PCC), a exigé de six universités — Stanford, Carnegie Mellon, Purdue, l’Université de l’Illinois, l’Université du Maryland et l’Université de Californie du Sud — qu’elles remettent la liste des étudiants inscrits de nationalité chinoise sur leurs campus.
Les données ont révélé que les six établissements formaient des doctorants issus des « Sept fils de la défense nationale » chinois, des institutions d’élite qui alimentent directement l’Armée populaire de libération en talents.
Lorsque la commission a publié ses conclusions le 19 septembre, elle a souligné que les contribuables américains participaient au financement de cette opération.
Une université a indiqué que 515 de ses 1139 étudiants diplômés, enseignants et personnels chinois bénéficiaient de subventions ou de contrats fédéraux ; une autre a précisé que 1115 de ses 2580 étudiants chinois étaient financés par des postes d’assistant d’enseignement ou de recherche.
La commission a exhorté le Département d’État à refuser les visas aux candidats issus des « Sept fils », des « Sept fils de l’industrie de l’armement » et de 58 universités placées sous la tutelle de l’Administration chinoise pour la science, la technologie et l’industrie de la défense nationale.
Le Département d’État s’orientait déjà dans cette direction : depuis mai, il a révoqué des visas de ressortissants chinois dans des domaines sensibles ou affichant des liens ouverts avec le PCC.
Le président Donald Trump a brièvement évoqué la possibilité d’autoriser 600.000 étudiants chinois à entrer dans le pays, mais les analystes y ont vu un levier de négociation plutôt qu’une politique.
En août, des agents frontaliers américains ont refoulé un étudiant chinois en philosophie, identifié sous le nom de Gu, après avoir découvert son appartenance à plusieurs groupes de discussion des Associations d’étudiants et d’universitaires chinois (CSSA) liées au Département du Front uni du PCC, chargé des opérations d’influence et de propagande à l’étranger.
Pékin a protesté, mais des refus similaires se poursuivent.
« Il n’y a pas grand-chose qui distingue les administrations Biden et Trump sur ce dossier », estime M. Han, un ressortissant chinois ayant achevé ses études supérieures aux États-Unis cette année.
« Les règles sont simplement appliquées plus strictement désormais. Certains départements n’acceptent plus du tout de candidats chinois. »

Disparitions sur les campus

L’université Purdue illustre la rapidité avec laquelle le paysage évolue.
Autrefois deuxième plus grande université publique du pays pour les étudiants internationaux, Purdue attirait des milliers de jeunes de Chine continentale dans ses filières d’ingénierie.
Ces chiffres s’effondrent : à l’automne 2024, les inscriptions de premier cycle d’étudiants chinois ont chuté à 747, contre 3241 à l’automne 2014. Globalement, les inscriptions d’étudiants chinois ont encore reculé de 5,2 % cette année.
« Je l’ai remarqué au printemps 2022 », raconte Chen Langri, récemment diplômé de Purdue. « Dans les cours de tronc commun, on voyait autrefois cinq ou six étudiants chinois par classe ; au printemps suivant, il n’y en avait presque plus. »
« Certains nouveaux venus sont repartis après un seul semestre », confie-t-il à Epoch Times. « En général, on intègre Purdue, on n’en part pas. »
Avec la baisse du nombre d’étudiants chinois, M. Chen observe une augmentation notable des étudiants taïwanais dans les laboratoires et les amphithéâtres.

Pékin resserre son étau

Tandis que Washington verrouille la porte d’entrée, Pékin surveille la sortie de service.
Officiellement, Pékin accuse les États-Unis d’ériger un « rideau de fer » scientifique et technologique ; officieusement, le PCC a intensifié son monitoring des étudiants chinois à l’étranger.
En 2016, le ministère chinois de l’Éducation a ordonné de renforcer « l’éducation patriotique » des ressortissants étudiant hors du pays. Les boursiers d’État ont dû signer des engagements de loyauté et s’abstenir de toute activité susceptible de nuire aux intérêts du régime.
Lors des manifestations de Hongkong en 2019, les membres du PCC à l’étranger ont été sommés de se signaler au moins deux fois par an à leurs cellules locales en Chine ; les membres partis étudier plus de cinq ans sans retour, ou restés plus de six mois sans contact avec l’organisation, pouvaient voir leur adhésion suspendue.
La pression est montée après les manifestations du « Livre blanc » en 2021 contre les confinements Covid, lorsque des étudiants en Chine et hors de Chine se sont coordonnés en ligne.
Depuis, les douanes chinoises interrogent les revenants sur leurs études et leurs publications sur les réseaux sociaux.
En juillet 2024, Zhang Yadi, étudiante en France, a été arrêtée lors d’une visite au pays pour « incitation au séparatisme », après avoir exprimé son soutien au Tibet et au mouvement du Livre blanc.
« Le problème, ce ne sont pas les étudiants chinois », explique Lan Shu, analyste des affaires chinoises basée aux États-Unis et ancienne animatrice de Sound of Hope TV, média international en langue chinoise.
« Le PCC est revenu à la suspicion de l’ère maoïste, où toute personne ayant des liens étrangers est suspecte », souligne Mme Lan à Epoch Times.
La pression familiale accroît encore la crainte.
Wang, étudiant en cinéma à Los Angeles, affirme que ses parents le mettent en garde contre toute critique de Pékin lors de leurs appels depuis l’étranger.
« Ils me disent de ne pas commenter la Chine. Ils assurent que la police leur a rendu visite », confie Wang à Epoch Times.

Choisir un camp — ou demander l’asile

L’étau a réduit les inscriptions d’étudiants chinois dans les universités américaines, passées de 373.000 en 2019-2020 à 277.000 en 2023-2024, selon l’Institut d’information sur les migrations.
Dans le même temps, les demandes d’asile s’envolent.
Selon Safeguard Defenders, citant des données du HCR, 176.239 ressortissants chinois ont sollicité une protection à l’étranger en 2024 — soit une hausse de 169 % par rapport à 2019 et plus de quatorze fois le niveau observé lors de l’arrivée de Xi au pouvoir en 2012.
Les États-Unis ont reçu 88.722 de ces demandes d’asile. L’Australie a également enregistré des dépôts record.
« La relation s’est tellement détériorée qu’il faut choisir », constate M. Han, désormais demandeur d’asile. « Sous Obama, on pouvait rester neutre. Aujourd’hui, si l’on veut rester [aux États-Unis], il faut rompre complètement avec le PCC. »
Avec le ralentissement de l’économie chinoise et un chômage des jeunes à des niveaux records, beaucoup jugent les perspectives meilleures à l’étranger, malgré le risque de perdre des bourses, de subir des pressions familiales ou l’exil définitif.
« À moins d’avoir une famille influente en Chine, les États-Unis offrent davantage d’opportunités », ajoute M. Han.
« Pour certains, les liens familiaux les ramèneront », estime Mme Lan. « D’autres, surtout ceux dont les parents ont vécu la Révolution culturelle, resteront [hors de Chine] pour de bon. Pour beaucoup de natifs des années 1990, ce choix marquera le reste de leur vie. »
Ni Washington ni Pékin ne reculent. Le Congrès s’apprête à inscrire durablement les refus de visas pour toute personne liée au réseau de défense chinois, et les universités tournent leur recrutement vers Taïwan et l’Inde.
Engagé dans la « fusion militaro-civile », Pékin ne montre aucun signe d’assouplissement de son contrôle sur les étudiants de retour au pays.
Pour les étudiants chinois pris en étau, chaque candidature, chaque passage de frontière ou événement sur le campus peut ressembler à une épreuve. Ils continuent pourtant de postuler, d’étudier, et d’hésiter entre deux continents pour leur avenir.
Song Tang et Yi Ru ont contribué à la rédaction de cet article.