L’aggravation de la crise immobilière en Chine témoigne de la faiblesse de l’économie
Un ancien ministre chinois des Finances estime que l’éclatement de la bulle immobilière nécessitera au moins cinq ans pour être résorbé, condamnant le pays à une croissance plus faible et à un moral des ménages assombri.
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Des villas désertées dans une banlieue de Shenyang, dans la province du Liaoning, au nord-est de la Chine, le 31 mars 2023.
La Chine a connu un nouveau mois très morose pour son marché immobilier en octobre, avec une baisse des prix encore plus marquée qu’en septembre.
Les prix des logements neufs ont enregistré leur recul mensuel le plus prononcé dans 70 grandes villes, tandis que l’investissement dans le développement immobilier s’est fortement contracté au cours des dix premiers mois de l’année. Parallèlement, un autre grand promoteur a été contraint d’entrer dans une procédure de restructuration judiciaire.
L’ancien ministre chinois des Finances, Lou Jiwei, a récemment déclaré publiquement que la crise immobilière devrait se prolonger et que la transition vers un modèle plus stable du secteur prendra au moins cinq ans.
Pris ensemble, affirment les analystes, les dernières données et les signaux politiques indiquent une correction longue et laborieuse qui pèse sur la croissance économique, les finances locales et la confiance des consommateurs.
« Un nettoyage douloureux »
« Ce n’est pas un simple ralentissement cyclique », a expliqué l’économiste basé aux États-Unis Davy J. Wong. « C’est un processus lent et douloureux d’assainissement des bilans après plus de deux décennies d’expansion immobilière et foncière alimentée par la dette. »
Les prix continuent de baisser dans la plupart des régions, les flux de trésorerie des promoteurs restent faibles et les mesures politiques adoptées jusqu’ici n’ont pas rétabli la confiance, a récemment indiqué M. Wong à Epoch Times.
Pour l’économie dans son ensemble, a-t-il ajouté, cela signifie une consommation affaiblie, des pressions déflationnistes persistantes et des budgets plus serrés pour les gouvernements locaux, qui dépendaient largement des ventes de terrains.
Les responsables politiques peuvent en atténuer les effets, poursuit-il, mais les éléments disponibles montrent qu’ils ne peuvent pas inverser rapidement la tendance.
Ce que montrent les dernières données
Les chiffres officiels d’octobre indiquent que les prix des logements neufs ont reculé de 0,5 % par rapport à septembre et de 2,2 % sur un an — deux indicateurs plus mauvais que prévu pour une période automnale généralement propice aux ventes. La baisse de 0,4 % enregistrée en septembre était déjà l’une des plus faibles performances de l’année.
Les prix des logements de seconde main ont également chuté. Xu Tianchen, économiste principal à l’Economist Intelligence Unit (EIU), a averti que le recul mensuel des prix des logements anciens approche d’un « seuil critique », ce qui signifie qu’en cas de poursuite de la baisse, Pékin pourrait se voir contraint d’intervenir plus vigoureusement.
Du côté de l’investissement, les dépenses de développement immobilier entre janvier et octobre ont baissé de 14,7 % par rapport à la même période l’an dernier, une contraction plus prononcée que lors des mois précédents.
L’« indice de prospérité » de l’immobilier chinois — un indicateur composite utilisé par le régime pour mesurer la santé du secteur — est tombé à 92,43 en octobre. Historiquement, des niveaux se rapprochant d’au moins 100 témoignent d’un marché relativement sain.
Sun Guoxiang, professeur de relations internationales à l’université de Nanhua (Taïwan), a déclaré à Epoch Times que ce niveau reflète un stress persistant et une contraction prolongée de l’activité immobilière.
Un modèle de financement défaillant et un ajustement politique lent
Lou Jiwei, qui a été ministre chinois des Finances de 2013 à 2016, a profité du sommet Caixin — une conférence économique de haut niveau organisée annuellement à Pékin — le 14 novembre pour critiquer publiquement la structure du système immobilier chinois.
Le ministre chinois des Finances Lou Jiwei s’entretient avec la présidente de la Réserve fédérale américaine Janet Yellen lors de la réunion des ministres des Finances et des gouverneurs des banques centrales du G20 à Cairns, en Australie, le 20 septembre 2014. (William West/AFP/Getty Images)
Il a mis en cause le système de prévente, dans lequel les promoteurs vendent les logements avant même le début de la construction, estimant qu’il constitue l’une des principales sources de risque.
En théorie, les préventes servent à financer la construction. Mais en Chine, a souligné M. Lou, de nombreux promoteurs ont utilisé l’argent versé par les acheteurs d’un projet pour combler les déficits d’autres projets, au lieu de réserver ces fonds au chantier pour lequel ils avaient été versés. Cette pratique a amplifié les risques, a-t-il expliqué. Lorsque les ventes ont ralenti et que les conditions de financement se sont durcies, de nombreux projets se sont retrouvés à court de liquidités et n’ont pas pu être achevés.
M. Lou a appelé à un abandon progressif du modèle actuel de prévente au profit de la commercialisation de logements achevés, ainsi qu’à une accélération de la livraison des logements déjà vendus sur plan. Il a également averti que le marasme immobilier pénalise la consommation des ménages et renforce les pressions déflationnistes dans l’économie.
Il estime qu’il faudra au moins cinq ans pour réorganiser le secteur et le faire évoluer vers un modèle plus durable.
Les difficultés persistantes des promoteurs
En 2020, les autorités ont défini les « trois lignes rouges » pour plafonner l’endettement des promoteurs en limitant le ratio de leur dette par rapport à leur trésorerie, leurs fonds propres et leurs actifs. Ce changement réglementaire a contribué à provoquer le défaut de paiement puis la liquidation d’Evergrande — autrefois le plus grand promoteur immobilier chinois — et à déclencher un ralentissement général du secteur.
La crise du crédit qui a éclaté en 2021 en est désormais à sa quatrième année et continue de se propager dans l’ensemble du secteur immobilier.
China Fortune Land Development (CFLD), autrefois géant immobilier pesant 100 milliards de yuans (14 milliards de dollars), a annoncé le 16 novembre qu’il entrait dans une procédure de restructuration supervisée par un tribunal.
Cette décision intervient après des années de négociations de dette dans l’impasse et une pression croissante depuis le défaut de l’entreprise début 2021, pression qui s’est ensuite répercutée sur l’ensemble du marché des promoteurs.
L’acceptation du dossier par le tribunal marque une étape importante vers la résolution de la crise d’endettement de plusieurs milliards de yuans de CFLD. Mais ce qui a finalement poussé l’entreprise vers cette restructuration judiciaire n’est pas une importante obligation arrivant à échéance ; il s’agit d’une facture de construction impayée d’environ 4,17 millions de yuans (586.000 dollars).
Selon M. Sun, ce défaut, modeste mais significatif, illustre à quel point les réserves de trésorerie de nombreuses sociétés sont devenues minces.
M. Wong a souligné que les premières restructurations de dette à l’étranger menées par CFLD en 2023 se concentraient sur les dettes financières importantes dues aux banques et aux obligataires, mais que de nombreuses dettes opérationnelles plus modestes envers les entrepreneurs et les fournisseurs restaient impayées. Ce sont désormais ces factures plus petites qui replongent des entreprises comme CFLD dans la tourmente, tandis que les ventes demeurent faibles.
Le grand nettoyage avance lentement. Selon les données compilées par China Index Academy, un institut de recherche immobilier basé à Pékin, 77 promoteurs ont fait défaut entre 2020 et août 2025. Environ 60 entreprises en difficulté ont signalé des avancées dans leurs plans de restructuration, mais seulement une vingtaine ont réussi à faire approuver leurs plans.
M. Wong estime que l’arriéré d’entreprises en défaut et de restructurations inachevées représente une masse considérable pour les tribunaux, les créanciers et les administrateurs, ce qui explique en partie pourquoi de nombreux chantiers restent gelés.
Evergrande demeure le symbole de l’effondrement du secteur immobilier, ajoute M. Sun. En janvier 2024, la Haute Cour de Hong Kong a ordonné la liquidation du groupe après qu’il a échoué à présenter un plan crédible de restructuration de sa dette offshore ; l’entreprise présente aujourd’hui plus de 300 milliards de dollars de passifs.
Une vue aérienne montre un complexe immobilier Evergrande laissé inachevé en pleine crise de liquidités, à Wuhan, en Chine, le 18 octobre 2021. (Getty Images)
L’affaire Evergrande montre combien la valeur résiduelle est faible une fois les ventes taries et les prix du foncier en baisse, et combien il est difficile de protéger les millions d’acheteurs et de fournisseurs pris dans l’effondrement, analyse M. Sun.
Des gouvernements locaux sous pression financière
L’immobilier est profondément imbriqué dans l’ensemble de l’économie chinoise. Les travaux des économistes Kenneth Rogoff (Harvard) et Yang Yuanchen (Fonds monétaire international) estiment que l’immobilier et sa chaîne d’approvisionnement — matériaux de construction, ameublement, services liés à la propriété, etc. — représentent environ un quart à un tiers du PIB chinois.
Lorsque les prix baissent et que la construction ralentit, l’impact s’étend à l’acier, au ciment, à l’électroménager, aux agents immobiliers et à de nombreux emplois de services.
Comme les ménages chinois placent une grande partie de leur patrimoine dans l’immobilier, la baisse des prix affaiblit également leur situation financière. Cela rend les familles plus prudentes dans leurs dépenses, explique M. Wong, et contribue à la faiblesse persistante de la consommation qui inquiète Pékin depuis plusieurs années.
Les gouvernements locaux sont particulièrement exposés. En 2021, au plus fort de la flambée immobilière, les revenus liés au foncier — notamment les cessions de droits d’utilisation des terrains et les taxes immobilières et foncières — représentaient près de 38 % de leurs recettes fiscales totales, selon des travaux du Peterson Institute for International Economics.
Avec l’effondrement des recettes foncières, surtout dans les villes les moins aisées, les budgets locaux sont soumis à une pression croissante. Parallèlement, les autorités centrales doivent faire face à des demandes croissantes pour financer l’achèvement des projets en souffrance, soutenir les véhicules de financement des gouvernements locaux (LGFV) et soutenir la croissance.
Les LGFV sont des entités juridiques utilisées par les provinces et les municipalités pour emprunter hors bilan, souvent en vendant des obligations aux habitants.
Ces structures permettent aux responsables locaux de lever des fonds pour des projets d’infrastructure et de développement sans inscrire la dette dans les comptes officiels, créant ainsi un système parallèle de financement qui a connu une croissance rapide — et opaque — au cours de la dernière décennie.
Aujourd’hui, les LGFV peinent à refinancer un passif estimé à 78.000 milliards de yuans (10.000 milliards de dollars) — soit plus de la moitié de la taille de l’économie chinoise — selon des recherches du groupe financier international BBVA.
M. Wong souligne que cette pression fiscale limite la capacité des autorités à sauver le marché immobilier sans créer de nouveaux risques financiers ailleurs dans le système.
Pourquoi le ralentissement se prolonge
Selon M. Wong et M. Sun, trois grandes forces alimentent le déclin du marché immobilier.
Premièrement, les tendances démographiques et migratoires récentes montrent que les acheteurs potentiels sont moins nombreux dans de nombreuses villes de petite taille, où la surabondance de logements est la plus forte et où beaucoup d’unités restent inoccupées. La population en âge de travailler diminue en Chine, tandis que les jeunes se concentrent dans les métropoles de premier rang, ce qui laisse une demande affaiblie dans les zones de rang inférieur.
Deuxièmement, le système de prévente a profondément miné la confiance. Les acheteurs ont vu leurs acomptes utilisés pour éponger d’autres dettes des promoteurs, et de nombreux projets ont été ralentis ou transformés en « bâtiments en souffrance » — des ensembles immobiliers inachevés ou abandonnés. Par conséquent, de nombreux ménages hésitent désormais à verser un acompte sur un logement qui n’est pas encore construit.
Troisièmement, la réponse politique de Pékin — baisse des taux hypothécaires, réduction des exigences en matière d’apport initial, mesures de soutien ciblées — a aidé à la marge, mais n’a pas convaincu les ménages que les prix immobiliers conserveront leur valeur à long terme.
L’appel de l’ancien ministre Lou à éliminer progressivement le système de prévente et à privilégier la livraison de logements achevés vise notamment à restaurer la confiance. Mais, comme le souligne M. Wong, cela implique également un modèle économique plus lent et plus gourmand en capitaux, dont la mise en place prendra du temps.
Cheng Wen, Yi Ru ont contribué à la rédaction de cet article.
Avec Reuters
Sean Tseng est un écrivain basé à Taïwan. Il se concentre sur l'actualité chinoise