Mort du grand maître d’échecs Daniel Naroditsky : la Fédération internationale ouvre une enquête sur Vladimir Kramnik, l’ancien champion du monde
La Fédération internationale des échecs (FIDE) a ouvert une enquête visant le grand maître d’échecs russe Vladimir Kramnik, après la mort de l’Américain Daniel Naroditsky, lui aussi grand maître, survenue à l’âge de 29 ans.

Illustration. Levon Aronian (d) joue contre Maxime Vachier-Lagrave lors de la finale du tournoi du Alekhine Memorial à Saint-Pétersbourg le 1er mai 2013.
Photo: OLGA MALTSEVA/AFP via Getty Images
Si la cause du décès de M. Naroditsky n’a pas été rendue publique, la FIDE a indiqué qu’elle examinerait les « déclarations publiques pertinentes » de M. Kramnik, ancien champion du monde, qui avait, pendant plus d’un an, accusé ou laissé entendre que plusieurs joueurs de premier plan — dont M. Naroditsky — se livraient à la triche.
« Ces derniers temps, le débat public au sein du monde des échecs a trop souvent franchi les limites du tolérable, nuisant non seulement à la réputation des personnes concernées, mais aussi à leur bien-être. Ces échanges peuvent se transformer en harcèlement, en intimidation ou en attaques personnelles », a déclaré le président de la FIDE, Arkady Dvorkovich, dans un communiqué.
« La communauté échiquéenne respecte depuis longtemps les accomplissements du grand maître Vladimir Kramnik, dont les contributions à notre discipline sont indéniables. Ces grandes réussites s’accompagnent toutefois d’une responsabilité : celle de défendre les principes d’équité et de respect, et de se comporter en ambassadeur du jeu d’échecs.
En conséquence, la direction de la FIDE et moi-même allons saisir la Commission d’éthique et de discipline de la FIDE de l’ensemble des déclarations publiques de M. Kramnik, faites avant et après le décès tragique de M. Naroditsky, afin qu’elles fassent l’objet d’un examen indépendant. »
Depuis la mort de M. Naroditsky, M. Kramnik — considéré comme l’un des plus grands joueurs de l’histoire — fait l’objet d’un violent retour de flamme sur les réseaux sociaux : menaces de mort, appels à lui retirer son titre de champion du monde et critiques massives. Âgé de 50 ans, il a annoncé qu’il engagerait des poursuites contre toute personne « l’accusant faussement » d’être responsable du décès du joueur américain, dans un message publié jeudi sur X (ex-Twitter).
« La mort de Daniel Naroditsky est une tragédie et un choc, y compris pour moi. Nous ne connaissons pas encore les circonstances exactes de son décès. Je pense que la fédération doit enquêter sur tous les éléments entourant sa disparition », a déclaré M. Kramnik au média russe Match TV.
La mère du joueur, Elena Naroditsky, a confié au Daily Mail que ces accusations avaient profondément affecté son fils sur le plan psychologique.
« Daniel a tout fait pour se défendre, » a-t-elle expliqué. « Le monde entier était de son côté, mais il voulait tellement prouver qu’il n’était pas ce qu’on prétendait, qu’il jouait encore plus et s’investissait toujours davantage. »
Lauréat du championnat du monde des moins de 12 ans en 2007, Daniel Naroditsky était devenu grand maître à 18 ans. Diplômé de Stanford, il s’était imposé comme une figure populaire du jeu en ligne grâce à ses parties commentées et à ses tutoriels sur Twitch et YouTube, ainsi qu’à ses chroniques publiées dans le New York Times.
La controverse a débuté après qu’il a évoqué la possibilité d’un coup possible lors d’une partie en direct — un coup qu’il n’avait finalement pas joué.
Plus tard, M. Kramnik a insinué qu’il n’était pas possible de trouver un tel coup « en si peu de temps sans l’aide d’un ordinateur », ajoutant que le regard de M. Naroditsky semblait « fixer autre chose que l’écran ».
Le joueur américain a nié ces insinuations, qu’il disait avoir d’abord prises pour une plaisanterie. « C’est du délire, » avait-il lancé, comparant cette situation à une chasse aux sorcières. « Qu’ai-je fait, M. Kramnik, à part vous traiter avec respect ? »
M. Kramnik avait ensuite précisé qu’il ne formulait pas d’accusation directe, mais qu’il posait de « légitimes questions ». M. Naroditsky avait fini par publier une vidéo de lui jouant à l’aide d’un dispositif de suivi oculaire pour démontrer sa bonne foi. Malgré cela, certains joueurs de premier plan continuaient à juger les soupçons crédibles.
Des amis du jeune homme ont décrit la pression immense qu’il subissait.
« Le sourire de Daniel s’est éteint dès le début des attaques, » a confié le grand maître indien Nihal Sarin après sa mort, dans un message publié sur X.
« Nous l’avons tous vu. Le monde des échecs vient de perdre l’une de ses plus brillantes lumières — un joueur qui a rendu notre jeu accessible à des millions de personnes. »
Lors de son dernier livestream, le 18 octobre, M. Naroditsky paraissait perturbé et nerveux. Après deux heures d’émission, une voix hors champ lui a demandé d’interrompre la diffusion et de continuer à jouer hors caméra. Il a d’abord refusé, craignant que cela paraisse suspect.
« Depuis toute cette affaire Kramnik, dès que je joue bien, les gens pensent que j’ai de mauvaises intentions, » disait-il. « C’est ce qui reste de cette histoire, son effet durable. »
Soutiens et débats au sein du milieu des échecs
Plusieurs grands maîtres ont apporté leur soutien au jeune Américain.
Le numéro 2 mondial, Hikaru Nakamura, a révélé avoir lui aussi été accusé de tricherie par M. Kramnik en novembre 2023. « Cela m’a profondément affecté et m’a fait mal jouer lors d’un tournoi, » a-t-il expliqué dans une vidéo réagissant à la mort de M. Naroditsky.
« Si cela m’a atteint à ce point, imaginez l’effet que cela peut avoir sur d’autres, » a-t-il ajouté.
L’ancien champion du monde Magnus Carlsen a, de son côté, estimé : « La façon dont Kramnik s’en est pris à Naroditsky était horrible. »
M. Carlsen a précisé qu’il avait soutenu M. Naroditsky en privé, mais qu’il avait hésité à le faire publiquement, sans expliquer pourquoi. Il a reconnu qu’il aurait sans doute dû le défendre ouvertement.
En septembre 2022, M. Carlsen avait lui-même accusé le grand maître américain Hans Niemann de tricherie, ce qui avait entraîné une procédure judiciaire. L’affaire s’était conclue par un accord amiable en août 2023, M. Carlsen reconnaissant qu’aucune preuve suffisante de triche n’avait été établie.

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