Opinion
Manifestation du 10 septembre 2025 : entre colère sociale et nébuleuse idéologique

Un écran d'ordinateur affiche la page d'accueil du site web militant « 10 septembre 2025 Arrêt total ». Le site dénonce les politiques d'austérité du gouvernement Bayrou et la suppression des jours fériés, le gel des retraites et les coupes dans les services publics.
Photo: ALBIN BONNARD/Hans Lucas/AFP via Getty Images
Le 10 septembre 2025, sous le slogan « Bloquons Tout ! », un appel à une mobilisation massive circule sur les réseaux sociaux, promettant un « arrêt total et illimité du pays », reprenant les codes rhétoriques de la gauche et de l’extrême gauche.
Cette contestation, née en réaction au plan budgétaire austéritaire présenté par le Premier ministre François Bayrou, suscite à la fois espoir, inquiétude et interrogations. Est-elle l’expression d’une colère légitime contre la pression fiscale ou risque-t-elle de se transformer en la manifestation d’une violence organisée ?
Une austérité qui passe mal
Le point de départ de cette mobilisation est clair : le plan budgétaire pour 2026, dévoilé par François Bayrou le 15 juillet 2025, qui vise à économiser 43,8 milliards d’euros pour réduire le déficit public à 4,6 %. Ce plan, qualifié d’« austéritaire » par ses détracteurs, inclut des mesures controversées comme le gel des prestations sociales, la suppression de deux jours fériés, et des réductions dans les budgets des services publics. Ces annonces ont ravivé un sentiment d’injustice sociale, déjà palpable depuis les crises économiques et sociales des dernières années.
La colère s’est rapidement cristallisée sur les réseaux sociaux, où des appels à « tout bloquer » ont émergé dès la mi-juillet. Le choix de la date du 10 septembre, bien que sans justification symbolique évidente, correspond à la rentrée sociale, un moment stratégique où les Français reprennent leurs activités après l’été.
Le mouvement, baptisé « Mobilisation 10 septembre » ou « Bloquons Tout ! », se présente comme une initiative citoyenne, portée par un collectif anonyme d’une vingtaine de personnes, se revendiquant apolitique et indépendant des syndicats. Ce discours rappelle les débuts des Gilets jaunes en 2018, nés eux aussi d’une révolte contre une mesure fiscale – la hausse des taxes sur les carburants – et organisés hors des cadres traditionnels.
Cependant, si la pression fiscale et les coupes budgétaires sont le moteur initial de la mobilisation, les revendications exprimées sur les réseaux sociaux dépassent largement ce cadre. Des appels au Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC), à la hausse des salaires, à la défense des retraites, ou encore à une « résistance civique » témoignent d’une colère plus large, enracinée dans un sentiment de déclassement social et de mépris des élites.
Comme le note Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion à l’Ifop, « les ingrédients de la colère n’ont pas disparu » depuis les Gilets jaunes. Le plan de François Bayrou, en particulier la suppression de jours fériés, est perçu comme une provocation, un « allume-feu » qui pourrait embraser ces braises sociales.
Une mosaïque de profils et d’influences
L’un des aspects les plus intrigants de ce mouvement est la diversité de ses acteurs. Contrairement aux mobilisations syndicales ou politiques traditionnelles, « Bloquons Tout ! » se veut décentralisé et sans leaders officiels. Selon un organisateur interrogé par Le Parisien, le collectif à l’origine de l’appel regroupe une vingtaine de personnes rencontrées via les réseaux sociaux, dont un salarié d’Enedis, des soignants, des étudiants, des précaires, et d’anciens Gilets jaunes. Cette hétérogénéité reflète à la fois une force – la capacité à fédérer des mécontentements variés – et une faiblesse potentielle, celle d’une absence de cohésion idéologique.
Le parallèle avec les Gilets jaunes est inévitable. Des figures comme Jérôme Rodrigues ou Anaïs Albertini, associées à ce mouvement en 2018, ont relayé l’appel. Certains slogans, comme « traquer les nazis infiltrés » ou « saisir et collectiviser les usines LVMH », trahissent une rhétorique anticapitaliste marquée, proche de l’extrême gauche. Par ailleurs, des militants de La France Insoumise (LFI), comme les députés Clémentine Autain et Alexis Corbière, soutiennent l’initiative, voyant dans le 10 septembre « le début de la lutte » pour une société plus équitable. Jean-Luc Mélenchon a également exprimé son soutien, tout en insistant sur l’indépendance du mouvement comme condition de son succès.
Un militant interrogé par L’Humanité insiste sur l’apolitisme du mouvement, affirmant qu’il « accepte d’être soutenu par tout le monde quel que soit le parti ». Pourtant, cette ouverture tous azimuts pourrait diluer l’identité du mouvement et décourager certains participants, comme en témoigne un militant RN qui s’est retiré d’une réunion à Paris, jugeant les idées trop « à gauche ».
Une mobilisation parallèle des syndicats ?
Les syndicats, bien que critiques du plan du Premier ministre, restent prudents face à cette mobilisation citoyenne. Des organisations comme la CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, UNSA, FSU et Solidaires ont lancé une pétition contre les mesures d’austérité, et certaines fédérations, comme celles de la CGT dans la chimie et le commerce, ont annoncé des actions pour le 10 septembre.
D’autres, comme la fédération Mines-Énergies de la CGT, appellent à une grève dès le 2 septembre, tandis que FO a déposé un préavis de grève à partir du 1er septembre. Cependant, les confédérations syndicales préfèrent organiser leurs propres actions, se méfiant d’un mouvement qu’elles perçoivent comme trop désorganisé et potentiellement récupéré par des groupes extrémistes. Cette distance pourrait limiter la convergence des luttes, contrairement à ce qu’espèrent certains organisateurs.
Une base citoyenne hétérogène
Au-delà des figures médiatiques et des soutiens politiques, la base du mouvement semble composée de citoyens ordinaires, lassés par ce qu’ils perçoivent comme une « machine qui les broie ».
Les appels à la mobilisation évoquent un « ras-le-bol général », un sentiment partagé par des catégories sociales diverses : classes moyennes déclassées, travailleurs précaires, retraités, ou encore parents inquiets pour l’avenir de leurs enfants.
Ce sentiment d’épuisement, couplé à une défiance envers les élites, est un terreau fertile pour une mobilisation massive, mais il complique également l’élaboration d’un projet commun.
Boycott, désobéissance et solidarité
Le mouvement se distingue par ses ambitions radicales : un « arrêt total et illimité du pays » à partir du 10 septembre. Pour y parvenir, le collectif propose trois axes d’action : boycott, désobéissance civile et solidarité citoyenne.
Le boycott économique vise à « arrêter de faire tourner le système ». Les organisateurs appellent à cesser les achats dans les grandes surfaces (Carrefour, Auchan, Amazon), à retirer son argent des grandes banques pour le placer dans des établissements coopératifs, et à limiter la consommation d’essence ou de produits de « fast-fashion ». Certains vont jusqu’à prôner un arrêt de travail via des congés ou des arrêts maladie, dans une logique de « blackout citoyen ». Ces actions rappellent les tactiques des Gilets jaunes, qui ciblaient les ronds-points et les péages pour perturber l’économie.
La désobéissance civile inclut des actions comme l’occupation pacifique de lieux symboliques (préfectures, mairies, antennes de la CAF ou de France Travail) et des blocages ciblés de routes, de dépôts logistiques ou de raffineries. Des propositions plus radicales, comme le refus de remplir des obligations administratives ou le ralentissement volontaire des services publics, sont également évoquées. Ces actions, bien que présentées comme « pacifiques », pourraient engendrer des tensions avec les autorités, surtout si elles se prolongent.
Enfin, avec ces blocages, le mouvement veut mettre l’accent sur la solidarité citoyenne, avec des initiatives comme la création de caisses de grève, l’organisation de repas partagés, ou l’ouverture d’espaces de discussion dans les quartiers et villages. Cette dimension vise à renforcer la cohésion sociale face à l’austérité, mais elle reste vague et dépendra de la capacité des organisateurs à mobiliser localement.
Une carte interactive des rassemblements, publiée sur le site du mouvement, mobilisation10septembre.blog, (désormais inaccessible), recensait des actions prévues dans de nombreuses villes : Amiens, Bordeaux, Lille, Marseille, Lyon, Toulouse, entre autres, ainsi que des blocages stratégiques, comme au port du Havre ou à la raffinerie TotalEnergies de Grandpuits. Cependant, l’absence de blocages de ronds-points, emblématiques des Gilets jaunes, suggère une évolution dans les tactiques de mobilisation.
Un mouvement durable ou passager ?
Le succès de la mobilisation du 10 septembre dépendra de plusieurs facteurs. Tout d’abord, sa capacité à passer du virtuel au réel : les Gilets jaunes avaient surpris par leur ampleur dans la rue, mais rien ne garantit que « Bloquons Tout ! » connaîtra le même élan.
La date du 10 septembre, un mercredi, pourrait limiter la participation des salariés, contrairement aux samedis des Gilets jaunes. Ensuite, l’attitude du gouvernement jouera un rôle clé. Matignon se montre pour l’instant prudent, surveillant le mouvement sans panique, mais une posture trop rigide pourrait attiser la colère. Certains conseillers de François Bayrou plaident pour des mesures compensatoires, comme un impôt sur les superprofits, pour apaiser les tensions.
Enfin, la capacité du mouvement à éviter les dérives violentes et les récupérations extrémistes sera déterminante. Les organisateurs insistent sur le caractère « pacifique » de leurs actions, mais l’histoire des Gilets jaunes, qui a vu des blocages dégénérer en affrontements (plus de 11.000 gardes à vue, des milliards de dégâts), montre que les confrontations avec les forces de l’ordre peuvent rapidement dégénérer. En outre, l’absence de structure claire favorise les infiltrations, les Black Blocs (extrême gauche) pourraient casser pour discréditer, comme lors des manifs anti-réforme des retraites.
Une coordination décentralisée, appuyée sur les réseaux sociaux et les initiatives locales, pourrait maintenir une pression diffuse, mais sans un message clair, unifié et sans violence, le mouvement risque de s’essouffler ou de se diviser.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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