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« Les certificats de compensation n’ont pas conduit à une protection climatique supplémentaire en pratique »

Les certificats de CO₂ sont devenus partie intégrante des mesures de politiques climatiques. Cependant, l'économiste de l'environnement Benedict Probst, de l'Institut Max Planck, remet en question leurs bénéfices réels pour le climat.

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Photo: Shutterstock

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Durée de lecture: 8 Min.

Mercredi 5 novembre, les ministres de l’Environnement des États membres de l’Union européenne se sont entendus sur de nouveaux objectifs climatiques. Les émissions de CO₂ de l’UE doivent ainsi, selon l’accord, diminuer de 90 % d’ici 2040 par rapport à 1990.
La réglementation prévoit qu’à partir de 2031, jusqu’à cinq points de pourcentage de cette réduction puissent être obtenus via des certificats d’émission provenant de pays hors d’Europe. L’objectif intermédiaire pour 2035 a également été précisé : les émissions devront avoir reculé de 66,25 à 72,5 %.

Les certificats de CO₂ dans le collimateur

Du point de vue de M. Benedict Probst, le recours aux certificats de CO₂ pour atteindre ces objectifs reste toutefois contestable. Selon lui, cette possibilité constitue « un recul de la politique climatique ». Il a déclaré, dans un entretien interne à l’institut :
« Si nous remplissons une part substantielle de nos objectifs climatiques par des certificats étrangers, nous retirons la pression sur l’économie européenne pour se transformer réellement. »
Au regard des vingt dernières années, les certificats climatiques n’auraient souvent pas produit les réductions d’émissions promises.

Benedict Probst dirige le Net Zero Lab, un groupe de recherche interdisciplinaire de l’Institut Max Planck pour l’innovation et la concurrence à Munich.(Photo : privée/Société Max Planck)

Que représentent 5 % ?

La question se pose : comment 5 points de pourcentage peuvent-ils avoir un tel impact sur l’économie et les objectifs climatiques ? M. Probst précise :
„« Ces cinq points semblent anodins, mais, rapportés au niveau cible de 2040, ils sont considérables. Concrètement, cela signifie que, si l’UE les utilise pleinement, en 2040 elle pourra émettre 50 % de CO₂ en plus. »
L’économiste y voit un risque supplémentaire : nombre de ces certificats ne rempliraient pas leur finalité. Malgré des standards améliorés dans le mécanisme de marché, « il demeure d’importantes échappatoires pour des certificats douteux », selon M. Probst.

Peu de bénéfices climatiques additionnels

M. Probst a en outre rappelé que les certificats de compensation émis pour diverses mesures climatiques ont, par le passé, rarement engendré des réductions d’émissions supplémentaires.
« Quand, par exemple, des parcs éoliens sont construits en Chine, c’est positif pour le climat. Ce n’est pas acceptable en revanche d’affirmer que ces parcs n’ont été financés que grâce à la vente des certificats », a déclaré l’économiste.
Plusieurs études montrent que les certificats n’ont jusque‑là pas influencé les décisions de financement des parcs éoliens : autrement dit, ces parcs auraient été réalisés sans le marché des certificats.
Dans une méta‑analyse de 2024, M. Probst et son équipe ont évalué 2346 projets de réduction de CO₂. Résultat : ces projets auraient finalement permis d’économiser moins de 16 % des gaz à effet de serre annoncés par leurs promoteurs.
Selon M. Probst, un problème tient au fait que nombre de porteurs de projets calculent les réductions de CO₂ avec des méthodes obsolètes. En outre il y a, dans la conception méthodologique des programmes, de mauvaises incitations.
Il cite l’exemple de la gestion forestière aux États‑Unis : des surfaces présentées dans des projets correspondent souvent à des zones où l’exploitation du bois est déjà réduite depuis longtemps. « Les réductions sont calculées par rapport à une moyenne régionale qui suppose une exploitation plus intensive. Elles sont donc fortement surestimées », a précisé l’économiste. « Depuis, d’autres études sont parues et aboutissent aux mêmes conclusions. »

Compensation CO₂ pour les vols privés

M. Probst a aussi abordé la surtaxe CO₂ applicable aux voyages aériens. « Il faut renoncer à l’illusion selon laquelle on peut compenser des vols pour des montants dérisoires. Les émissions fossiles restent des milliers d’années dans l’atmosphère et exigent des mesures d’élimination permanentes », a‑t‑il estimé.
Des approches courantes existent, comme la protection des forêts. Mais, selon l’économiste, elles sont insuffisantes : leur effet peut être rapidement annihilé par des pertes forestières, notamment des incendies.
« Il est toutefois possible d’acheter des certificats issus de méthodes d’élimination permanentes, comme le « direct air capture » [procédés d’extraction du CO₂ de l’air], proposés par exemple par l’entreprise suisse Climeworks », a‑t‑il suggéré. « Or ces procédés sont très coûteux ; il est donc peu probable que quiconque puisse compenser intégralement ses émissions de cette manière. On contribue toutefois à leur développement. »

Un frein pour l’économie allemande

M. Probst a par ailleurs souligné les désavantages économiques potentiels des certificats de CO₂. « Chaque euro que nous consacrons à des certificats douteux manque pour des investissements ici, sur place. » Il visait notamment les énergies renouvelables, les nouvelles pompes à chaleur, l’hydrogène vert et l’industrie climatiquement neutre.
Comparativement au reste du monde, cela représenterait un handicap concurrentiel pour l’Allemagne. « Pendant que nous nous exonérons par des compensations, la Chine investit massivement dans ces technologies d’avenir », a expliqué l’économiste. « Nous risquons de rater l’essor des industries clés du XXIe siècle. Ce n’est pas seulement dommageable sur le plan climatique, c’est aussi économiquement court‑termiste. »

L’économiste entrevoit des lueurs d’espoir

S’agissant de la transition énergétique, M. Probst a également signalé des motifs d’optimisme. Les coûts de l’éolien, du solaire et des batteries continuent de baisser. Selon lui, cette chute des prix s’est produite plus rapidement que la plupart des prévisions.
« Ces vingt dernières années, nous avons systématiquement sous‑estimé les réductions de coûts dans le domaine vert. Cela rend la transition de plus en plus attrayante, y compris sur le plan économique », a déclaré M. Probst. « Il est possible que nos objectifs climatiques deviennent plus faciles à atteindre dans quelques années, simplement parce que les alternatives seront beaucoup moins onéreuses. »
M. Probst observe aussi des évolutions parmi les projets de compensation : « il y a désormais davantage de regards critiques, des standards plus stricts, une meilleure surveillance », ce qui peut améliorer la qualité. « Mais — et c’est important — les preuves accumulées jusqu’ici n’incitent pas à l’optimisme quant aux certificats climatiques. Nous devons fonder notre stratégie climatique sur de véritables réductions d’émissions, pas sur l’espoir que cette fois les certificats fonctionneront. »
Maurice Forgeng est spécialisé dans les questions liées à la transition énergétique. Il a acquis une expertise dans le domaine des énergies renouvelables et du climat et possède une formation en génie énergétique et en technique du bâtiment.

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