Logo Epoch Times

Recommandation

plus-iconLe véritable coût de l'alimentation

Le privilège de perdre de l’argent pour vous nourrir

Derrière les prix bas se cachent un système économique fragilisé, des heures de travail invisibles et une dépendance croissante à un labeur sous-payé. Un constat alarmant sur la valeur réelle de la nourriture et le prix humain de son abondance.

top-article-image

Un ouvrier agricole répare des conduites d’irrigation dans une exploitation de tomates à Woodland, en Californie, le 30 mai 2025.

Photo: Fred Greaves/Reuters

author-image
Partager un article

Durée de lecture: 10 Min.

Selon le ministère américain de l’Agriculture, environ 85 % du revenu des ménages agricoles provient de sources extérieures à la ferme. Autrement dit, la plupart des agriculteurs exercent un deuxième, voire un troisième emploi simplement pour maintenir leur exploitation à flot. Ceux qui produisent votre nourriture travaillent donc ailleurs en parallèle, pour avoir – littéralement – le privilège de perdre de l’argent en vous nourrissant.
Ce système n’est pas durable. Il ne valorise ni la nourriture ni ceux qui la produisent. Il repose sur l’illusion que l’on peut manger à bas prix tout en permettant aux agriculteurs de survivre. En réalité, l’Amérique se nourrit grâce à du temps emprunté, du travail emprunté et une foi empruntée.
Au moment même où j’écris ces lignes, j’exerce l’un de mes emplois « hors ferme ». J’aime partager mes réflexions avec les lecteurs d’Epoch Times, car cela me permet de dire la vérité sur ce qui se passe réellement sur le terrain. Mais si je peux écrire aujourd’hui, c’est uniquement parce que je me suis levée à 4 h 30 du matin, avant les corvées, avant les enfants, avant que la journée ne commence au ranch. Quand ma tête touche enfin l’oreiller à 22 h 30, j’ai vécu une douzaine de vies en une seule journée. Je suis à la fois agricultrice, écrivaine, épouse, mère, enseignante et entrepreneure.
Mon mari travaille à plein temps comme chef dans notre restaurant, occupe un autre emploi à plein temps au ranch, et loue encore ses services comme conducteur d’engins lourds. Il installe des systèmes d’irrigation, construit des serres et plante des vergers pour d’autres exploitations qui tentent elles aussi de s’en sortir. Nous organisons des événements, louons de petites maisons, donnons des cours et passons des heures innombrables à animer des podcasts et à promouvoir nos produits en ligne, directement auprès des consommateurs.
Ce mode de vie n’est pas fait pour les âmes sensibles. Et nous sommes loin d’être une exception. C’est l’histoire de presque tous les petits agriculteurs que je connais : des hommes et des femmes qui travaillent 60 à 80 heures par semaine à produire de la nourriture, puis 40 heures de plus ailleurs, simplement pour pouvoir continuer à le faire.
L’agriculture n’est pas un métier comme les autres. Il n’y a pas d’horaires fixes ni de pointeuse. Le travail dure aussi longtemps qu’il le faut pour s’occuper des animaux, entretenir les cultures, réparer ce qui casse et répondre aux caprices de la nature. Dans la plupart des petites exploitations, ce travail repose sur les membres de la famille, dont l’effort est à la fois non rémunéré et invisible. Épouses, maris, enfants et grands-parents consacrent des heures innombrables qui ne figurent jamais dans aucun registre comptable. Ces efforts cachés constituent l’un des coûts invisibles de l’alimentation aux États-Unis.
Si l’on additionnait tout le travail invisible que représente l’agriculture – les réveils à l’aube, les naissances nocturnes dans l’étable, les réparations faites à la main, les repas préparés pour les ouvriers – on découvrirait toute une économie de travail non rémunéré. Ces heures silencieuses constituent la subvention cachée qui maintient les prix alimentaires à un niveau bas. Elles font souvent la différence entre la survie et la faillite de nombreuses exploitations, mais elles demeurent presque toujours ignorées.
L’agriculture a toujours été un métier difficile, mais elle n’a pas toujours été aussi injuste. Dans la plupart des secteurs, les entreprises fixent leurs prix en fonction de leurs coûts : loyer, matières premières, main-d’œuvre et frais généraux. Les agriculteurs, eux, n’ont pas ce privilège. Nous payons le gasoil, les semences, la nourriture du bétail et les équipements – puis un transformateur ou un centre d’emballage décide de la valeur de notre production. Si le marché est saturé par des importations à bas prix, le tarif que nous recevons peut s’effondrer du jour au lendemain.
Au Texas, de riches propriétaires terriens élèvent du bétail uniquement pour bénéficier d’exemptions fiscales agricoles. En Californie, d’autres cultivent des avocats ou des citrons dans le même but. Ces exploitations ne sont pas conçues pour vivre de l’agriculture, mais pour alléger la pression fiscale. Lorsque des investisseurs aisés vendent leurs produits à n’importe quel prix du marché, ils tirent les prix vers le bas pour ceux qui, eux, dépendent réellement de ces revenus pour vivre. Résultat : un marché faussé, où les vrais agriculteurs ne peuvent rivaliser et où le véritable coût de la nourriture reste dissimulé.
Certaines études estiment que les Américains ne paient qu’environ un tiers du coût réel de leur alimentation, une fois pris en compte les subventions publiques, les coûts environnementaux et le travail non rémunéré. Je ne saurais donner un chiffre exact, mais mon expérience me dit que nous sommes très loin de payer le vrai prix de la production alimentaire. Quand le carburant ou les aliments pour bétail doublent de prix, nous ne pouvons pas simplement répercuter la hausse sur le consommateur. Nous encaissons la perte et travaillons davantage ailleurs pour compenser.
Je tiens à préciser que je ne me considère pas comme une victime. Je suis honorée d’exercer ce métier. Il n’existe pas de privilège plus grand que celui de cultiver la terre et de nourrir les autres. Je ne me plains pas, j’explique – car ce système ne peut durer indéfiniment. Le problème n’est pas seulement que les agriculteurs soient sous-payés ; c’est que nous avons bâti une économie qui ne valorise plus l’échange sacré entre la terre et ceux qui en prennent soin.
L’agriculture devrait permettre à ceux qui la pratiquent de vivre pleinement. Elle ne devrait pas exiger 80 heures de travail à la ferme et 40 heures supplémentaires ailleurs. Les agriculteurs devraient pouvoir se consacrer entièrement à la terre, aux animaux et à la nourriture qu’ils produisent, en harmonie avec le sol et le créateur.
Comme le dit souvent mon ami AJ Richards : « Nous devons apprendre à serrer la main qui nous nourrit. » Nous devons trouver des moyens de soutenir directement les agriculteurs. Cela signifie acheter auprès des fermes locales, participer à des coopératives de partage de récolte ou fréquenter des restaurants qui s’approvisionnent auprès de producteurs de la région. Ce ne sont pas des gestes à la mode, ce sont des bouées de sauvetage. Chaque fois que vous achetez directement à un agriculteur, vous contribuez à réparer un système qui a oublié ses racines.
Nous nous tenons aujourd’hui à un carrefour de l’agriculture américaine. Depuis des décennies, nous avons privilégié la commodité, la concentration et le contrôle. Il est encore temps de rebrousser chemin et de choisir un modèle qui valorise la vérité, l’humain et la nourriture avant le profit.
Je ne crois pas que l’esprit de l’agriculteur américain s’éteindra. Sa vocation va bien au-delà du profit. Mais si nous poursuivons dans cette direction – où 85 % des fermiers doivent travailler ailleurs pour subsister – nous perdrons non seulement nos exploitations, mais aussi notre indépendance alimentaire.
Ceux qui produisent votre nourriture ne devraient pas avoir à travailler quarante heures supplémentaires par semaine pour pouvoir continuer à le faire. Ils ne devraient pas sacrifier leur propre famille pour nourrir la vôtre. Ils ne devraient pas être contraints d’appeler « privilège » le fait de perdre de l’argent en nourrissant une nation.
Tant que nous refuserons de reconnaître le véritable coût de la nourriture, nous continuerons à payer nos repas bon marché avec la vie et le travail de ceux qui la produisent. Et c’est une dette qu’aucune société ne peut porter éternellement.
Mollie Engelhart, agricultrice et éleveuse, est engagée dans la souveraineté alimentaire, la régénération des sols et l\'éducation à l\'agriculture familiale et à l\'autosuffisance.

Articles actuels de l’auteur