La Une de l’Ottawa Citizen s’exclamait : « Paix ! La guerre mondiale prend fin ; l’armistice est signé ; le Kaiser abdique ; la révolution s’étend. » À Montréal, Le Devoir relatait : « Les ouvriers […] arrivaient à l’usine le cœur léger, libérés d’un grand poids. Dans les rues animées, les passants brandissaient leur journal, le sourire aux lèvres, les yeux flamboyants. » Le Winnipeg Free Press titrait : « Winnipeg exulte de joie pour la paix. »
Les cloches d’église ont résonné dans tout le Canada, des cortèges spontanés ont jailli, l’alcool a coulé, les fanfares ont joué, et des dizaines de milliers de femmes et d’enfants se sont demandé quand leurs maris, pères ou fils seraient démobilisés et de retour à la maison.
Dans les villes des puissances centrales vaincues, la réaction fut nettement moins euphorique. À Berlin, la nouvelle fut : « Berlin aux mains des révolutionnaires : le nouveau chancelier appelle au calme ; le Kaiser évincé fuit aux Pays-Bas. » La Neue Freie Presse de Vienne titra : « L’Empire s’effondre. » En première page, la presse allemande et austro-hongroise relatait les pénuries alimentaires, les manifestations et les remous nés de la proclamation de paix.
Au sein du Corps canadien, sur les lignes belges, la liesse fut réelle mais mêlée de ressentiment — celui provoqué par l’ordre de leur commandant,
le lieutenant-général Sir Arthur Currie, qui avait exigé la poursuite de l’attaque sur la ville allemande de Mons jusqu’à la dernière minute, alors même qu’il savait qu’un cessez-le-feu serait prochainement proclamé.
Cette décision a pris un sens tout particulier pour
le soldat George Price de Port Williams (Nouvelle-Écosse). Lui et ses camarades du 28ᵉ Bataillon avançaient contre l’ennemi à Ville-sur-Haine le matin du 11 novembre, lorsque Price fut abattu par un tireur allemand. Il est mort deux minutes avant l’armistice — le dernier soldat canadien, et d’ailleurs du Commonwealth britannique, à périr dans la guerre.
Le
28ᵉ Bataillon était une unité de l’Ouest canadien, composée majoritairement de soldats du Manitoba et de la Saskatchewan. Elle s’était illustrée dans les grandes batailles du front occidental : la Somme, la crête de Vimy, Passchendaele, la cote 70 et, enfin, l’assaut de Mons en 1918.
Price travaillait à Moose Jaw, au chemin de fer du Canadian Pacific, lorsqu’il fut mobilisé en 1917. Il fit ses classes à Regina avant d’être expédié en Europe, où il rejoignit son unité en juin 1918. Après avoir été blessé lors d’une attaque au gaz, il fut de nouveau apte au combat pour les opérations du canal du Nord et de Cambrai, jusqu’à son décès le jour de l’Armistice. Il repose au
cimetière militaire de Saint-Symphorien, en Belgique.
Aujourd’hui, Sir Arthur Currie est reconnu comme un stratège militaire brillant, un innovateur, un opposant à la « guerre d’usure », et l’architecte du grand succès canadien de la crête de Vimy. Toutefois, dans l’immédiat après-guerre, il affronte de vives critiques. On le surnomme « le Boucher » ; certains réclament sa comparution devant la cour martiale et beaucoup le condamnent pour des pertes jugées inutiles lors de cette victoire symbolique.
En 1928, il attaque le journal Port Hope Evening Guide, qui l’accuse d’avoir sacrifié des vies. Durant le procès, Currie plaide que cesser le combat trop tôt aurait relevé de la désobéissance et de la trahison, et que ses ordres du dernier jour privilégiaient la prudence et la limitation des pertes. Le jury lui donne raison, mais ne lui accorde qu’un dédommagement symbolique. Cette affaire semble l’avoir profondément affecté, et Currie meurt cinq ans plus tard, sans jamais avoir vraiment retrouvé la santé.
La guerre demeure cruelle, et plus elle s’intensifie et provoque de morts, plus les disparitions individuelles semblent s’effacer. La Première Guerre mondiale a ôté la vie à 20 millions de personnes — un nombre si colossal qu’il est difficile à concevoir, mais qui recouvre 20 millions d’histoires singulières, 20 millions de tragédies qui ont précédé celle de George Price.
Parmi les hommes tombés dans les ultimes minutes du conflit figurent
Augustin Trébuchon, berger de Lozère et dernier Français tué (à treize minutes près de Price), ainsi que
Henry Gunther de Baltimore, dernier Américain mort au combat. Gunther fut abattu lors de la toute dernière minute de la guerre, alors qu’il chargeait un nid de mitrailleuses occupé par des Allemands qui, conscients du cessez-le-feu imminent, le suppliaient d’abandonner.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.