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Opinion

Le 9 novembre - Une journée fatidique pour les Allemands : entre horreur et joie

Cinq fois, des événements survenus un 9 novembre ont marqué profondément l’histoire de l’Allemagne, dont trois fois pour le pire. Cette date symbolise des tournants, souvent liés à la violence.

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Le 9 novembre 2019, au Mémorial du mur de Berlin, des fleurs ont été déposées au pied du mur commémoratif lors de la cérémonie principale marquant le 30e anniversaire de la chute du mur de Berlin, qui avait sonné le glas du communisme. Photo : TOBIAS SCHWARZ/AFP via Getty Images

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Durée de lecture: 13 Min.

Parmi ces cinq événements, seul le plus récent, le 9 novembre 1989, suscite une joie débordante — à l’échelle quasi mondiale.
Les Allemands restent néanmoins parfois mal à l’aise face à cette « success story », peut‑être parce qu’ils n’ont pas l’habitude qu’un jour de destinée nationale soit aussi positif.

La chute du mur de Berlin

Une phrase, prononcée le 9 novembre 1989 à 18h52 lors d’une conférence de presse internationale, entra dans l’histoire :
« Les sorties permanentes peuvent s’effectuer par tous les postes frontières de la RDA vers la RFA. »
« Dès lors, ceci signifi[ait] la suppression de la délivrance temporaire de permis auprès des missions diplomatiques de la RDA à l’étranger, ainsi que les départs définitifs avec une carte d’identité est-allemande via des pays tiers.  »
À la question d’un journaliste, Günter Schabowski, alors premier secrétaire du comité du SED pour Berlin‑Est et auteur de la déclaration, ajouta :
« Cela prend effet, à ma connaissance — immédiatement » — pause, il feuillette ses papiers — « donc sans délai », avait‑il conclu.

En 1989, soudain la frontière était ouverte

Peu après, des Berlinois de l’Est franchirent la barrière dans la ville divisée. La RDA communiste était en train de s’effondrer. Les médias internationaux diffusèrent partout dans le monde la liesse des Berlinois de l’Est, tandis que l’Allemagne de l’Ouest restait médusée.
Le 9 novembre 1989 rejoignait ainsi la liste des « jours de destin des Allemands », expression popularisée par l’allocution du président du Parlement allemand Wolfgang Schäuble le 9 novembre 2018.
À cette date, « notre histoire récente se condense dans son ambivalence, avec ses contradictions, ses oppositions », affirmait Wolfgang Schäuble, depuis décédé. Onze mois après les propos de Günter Schabowski, l’Allemagne de l’Est et de l’Ouest étaient réunifiées.

Des fleurs ont été déposées au pied du mur commémoratif lors de la cérémonie principale marquant le 30e anniversaire de la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 2019, au Mémorial du mur de Berlin, Bernauer Straße à Berlin. Photo : TOBIAS SCHWARZ/AFP via Getty Images

En 1938, nuit de pogroms contre les Juifs

Quarante‑sept ans plus tôt, le même jour, des villes allemandes étaient en flammes — synagogues, commerces et logements juifs furent incendiés ou détruits par des miliciens nazis, des Juifs allemands furent battus, arrêtés arbitrairement ; 91 personnes furent même tuées, sans que les auteurs n’encourent de sanctions.
Des émeutes avaient déjà éclaté dans plusieurs villes dans les jours précédant ces événements, déclenchées par l’attentat du 7 novembre 1938 contre Ernst vom Rath, jeune diplomate de l’ambassade d’Allemagne à Paris.
Le Polonais juif de 17 ans Herschel Grynszpan, indigné par le refus de titres de séjour pour lui et quelque 15.000 Juifs polonais, tira sur vom Rath et se rendit ensuite aux autorités françaises. Le diplomate succomba à ses blessures le 9 novembre 1938.
Le soir même, le ministre de la Propagande Joseph Goebbels « autorisa » les chefs de la SA (Section d’assaut) à agir avec leurs troupes contre les Juifs. La direction nazie fut toutefois surprise par l’ampleur réelle des violences. Reinhard Heydrich, alors chef de la police de sécurité, adressa dans la nuit du 10 novembre une dépêche aux services de police d’État stipulant notamment :
« Il ne faut prendre que des mesures qui n’entraînent aucun danger pour la vie ou les biens allemands (par exemple : incendier des synagogues seulement si aucun risque d’incendie pour l’environnement n’existe). Les commerces et logements juifs peuvent être détruits, mais non pillés. La police est chargée de veiller à l’application de cette instruction et d’arrêter les pillards. Dans les rues commerçantes, il convient en particulier de veiller à ce que les commerces non juifs soient impérativement protégés des dommages. »

Un commerce juif pendant le boycott nazi, à Berlin, en Allemagne – 1933. (Archives). Photo : European/FPG/Getty Images

En 1923, la tentative de putsch d’Hitler à Munich

L’état du Reich allemand après la Première Guerre mondiale resta largement instable. En Bavière se rassemblaient des milieux conservateurs, y compris des associations monarchistes opposées à la République.
C’est dans ce contexte qu’Adolf Hitler fonda le parti national‑socialiste des travailleurs allemands (NSDAP) et, malgré l’appellation trompeuse « socialiste », s’inscrivit dans ce courant conservateur.
Après le « mouvement du 28 octobre » de Mussolini en 1922, Hitler ambitionna, depuis la Bavière, de marcher sur Berlin. Mais il jugea d’abord nécessaire de s’imposer en Bavière. L’occasion d’un coup d’État lui sembla favorable lorsque, après l’arrêt du combat dans la Ruhr contre les occupants français et belges le 26 septembre 1923, le gouvernement bavarois instaura l’état d’exception par crainte d’insurrections communistes.
L’ancien ministre‑président Gustav Ritter von Kahr fut nommé commissaire général d’État ; il reçut de facto des pouvoirs dictatoriaux et rallia à sa cause le chef de la police bavaroise Hans von Seißer et le commandant militaire Otto von Lossow.
Craignant que Kahr ne fasse obstacle à ses plans, Hitler, apprenant que Kahr, Seißer, Lossow et d’autres responsables bavarois se rencontreraient le 8 novembre 1923 au Bürgerbräu de Munich, fit irruption dans l’assemblée, sema la panique par un coup de feu tiré au plafond et contraignit, sous menace, les présents à promettre leur adhésion au projet de renversement du gouvernement du Reich. Les personnes arrêtées furent relâchées, mais elles revinrent sur leurs engagements pendant la nuit.
Le matin du 9 novembre, Hitler décida de poursuivre son putsch. Sur le trajet du Bürgerbräu (une brasserie allemande qui habritait des réunions du NSDAP, ndlr) vers la Ludwigstraße, les quelque 2000 partisans, parfois armés, furent stoppés sur l’Odeonsplatz par la police. Des coups de feu furent échangés — l’origine du premier tir demeure controversée.
Au cours des affrontements, 15 putschistes, un civil et quatre policiers furent tués. Hitler prit la fuite, fut arrêté le 11 novembre et, après son procès au printemps 1924, condamné à la détention au fort de Landsberg, puis libéré sous condition le 20 décembre 1924.

OSWIECIM, POLOGNE – 27 janvier : Un survivant d’Auschwitz passe devant le mémorial principal lors de la cérémonie commémorant le 60e anniversaire de la libération du camp par l’Armée rouge, sur le site de l’ancien camp de concentration d’Auschwitz II, également connu sous le nom de Birkenau, le 27 janvier 2005 à Oswiecim, en Pologne. Des survivants se sont tenus aux côtés de dirigeants du monde entier pour rendre un hommage solennel aux plus d’un million de personnes, majoritairement juives, assassinées par les nazis à Auschwitz. (Archives) Photo : Sean Gallup/Getty Images

En 1918, révolution et double proclamation de la République

Cinq ans plus tôt, les conditions ayant permis la tentative de putsch d’Hitler avaient été posées lors de la révolution de novembre. La phase finale de la Première Guerre mondiale fut déclenchée par des marins de la Kriegsmarine (marine de guerre allemande de l’époque, ndlr). Le 30 octobre, une mutinerie éclata à Wilhelmshaven : des équipages refusèrent de repartir pour une nouvelle attaque contre l’Angleterre.
Le soulèvement s’étendit rapidement, la population ne voyant plus de sens à la poursuite du conflit. Des conseils d’ouvriers et de soldats se formèrent. Les 7 et 8 novembre, des républiques furent proclamées à Munich et Braunschweig. En l’espace de quelques jours, tous les princes allemands abdiquèrent.
Le 9 novembre 1918, la situation fut particulièrement tendue à Berlin : les sociaux‑démocrates Friedrich Ebert et Philipp Scheidemann apprirent que leur ancien compagnon de parti Karl Liebknecht projetait de proclamer ce jour‑là une « république socialiste libre d’Allemagne ». On imputait à Liebknecht l’intention de fonder, à l’instar de la révolution d’octobre russe de 1917, une république des conseils communiste en Allemagne.
Par crainte de cette perspective, le chancelier du Reich, le prince Max de Bade, annonça sans en référer à l’empereur l’abdication du Kaiser. Il démissionna et transmit le pouvoir à Friedrich Ebert, président du SPD (parti social démocrate d’Allemagne) depuis 1913 et force politique dominante au Reichstag. Peu après, Philipp Scheidemann proclama de sa fenêtre du Reichstag, sans concertation avec Ebert, la fin du Kaiserreich.
Les vidéos actuelles circulant sur Internet ne sont ni authentiques pour l’image ni pour le son. D’après un enregistrement de 1922 dans lequel Scheidemann reconstitue son discours, il aurait déclaré le 9 novembre 1918 notamment : « Travailleurs et soldats ! Prenez conscience de la portée historique de ce jour. L’inouï est advenu ! Un grand et immense travail nous attend. Tout pour le peuple, tout par le peuple ! (…) Le vieux et pourri, la monarchie, s’est effondrée. Vive le nouveau; vive la République allemande ! »
Le même jour, Karl Liebknecht proclama lui aussi la République depuis une fenêtre du château de Berlin, mais il ne put s’imposer face au SPD.
Liebknecht fut ensuite cofondateur du Parti communiste d’Allemagne (KPD). Le 15 janvier 1919, il fut assassiné à Berlin par des officiers d’extrême droite, avec l’approbation tacite du ministre de la Reichswehr (l’armée de la république de Weimar) Gustav Noske.

En 1848, une révolution de plus

Soixante‑dix ans plus tôt, une révolution en Allemagne avait échoué — la « révolution de mars » de 1848. Inspirés par l’insurrection parisienne du 25 février 1848, qui provoqua l’abdication du roi Louis‑Philippe, des mouvements révolutionnaires éclatèrent dès mars 1848 dans les villes et principautés allemandes.
L’un des chefs populaires fut Robert Blum, publiciste originaire de Cologne. Le 18 mai 1848, l’assemblée nationale réunie dans l’église Saint‑Paul de Francfort — la première assemblée parlementaire allemande — fut fondée. Robert Blum en fut député. En octobre 1848, l’Assemblée l’envoya à Vienne pour exprimer la solidarité avec les insurgés.
Après la répression de l’insurrection viennoise, il fut arrêté le 2 novembre par les autorités impériales et, qualifié de « chef de rebelles », condamné à mort. Robert Blum fut exécuté à Vienne le 9 novembre 1848. Depuis lors, il est commémoré comme martyr de la révolution de 1848/49, notamment par une fondation instituée par l’ancien président fédéral Theodor Heuss.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

Tom Goeller est journaliste, spécialiste des États-Unis et politologue. Il a travaillé comme correspondant à Washington D.C. et à Berlin, notamment pour le journal américain The Washington Times. Depuis avril 2024, il écrit entre autres pour Epoch Times. De 1995 à août 2023, il a également été officier de réserve avec le grade de lieutenant-colonel et a participé à des missions à l'étranger, notamment pendant dix mois en Irak.

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