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La sagesse oubliée d’une miche de pain
En cherchant à sauver un levain récalcitrant, je découvre la force du vivant et la nécessité de renouer avec l’écosystème qui nous porte.

Photo: Arina P Habich/Shutterstock
Quand j’ai emménagé au Texas, j’ai emporté avec moi un levain transmis par ma belle-mère et, avant elle, venu d’Autriche. Un héritage presque familial, vivant, chargé d’histoire. Mais dès notre arrivée, ce levain tant aimé refuse de coopérer. Le pain sort plat, sans vie, bien loin des belles miches que nous préparions en Californie.
La rencontre avec un paysage
Après plusieurs échecs, je sors un matin glacial de janvier et j’observe le paysage. Si ma levure autrichienne ne veut pas s’épanouir ici, peut-être que quelque chose d’ancré dans ce lieu le ferait. En plein hiver, il y a peu à récolter, mais j’aperçois de minuscules baies poussiéreuses accrochées aux genévriers. J’en cueille une poignée, je les glisse dans un bocal avec de l’eau et de la farine, et je laisse la levure sauvage locale se réveiller.
Une miche qui retrouve sa terre
Trois jours plus tard, j’enlève les baies et je fais cuire une première miche levée uniquement grâce à la levure de notre propre sol. Le pain monte parfaitement. Il est vivant. Il a le goût de ce lieu. Aujourd’hui, nous cuisons chaque semaine des centaines de miches de pain à partir de cette même levure indigène issue des baies de genévrier, et elles sortent toutes impeccables parce que cette levure se trouve chez elle dans cet écosystème.
Une leçon de coexistence
Cette expérience m’a enseignée bien plus que la manière de sauver un levain. Elle m’éclaire sur ce que signifie vivre en accord avec l’endroit que l’on habite. Pendant la majeure partie de l’histoire humaine, les individus vivaient au cœur des écosystèmes qui les nourrissaient. Les aliments que nous mangions, les microbes que nous touchions, le sol sur lequel nous marchions, tout cela tissait un lien intime avec notre corps. Nous ne vivions pas séparés de la nature ; nous étions façonnés par elle.
Au cours du dernier siècle, ce lien s’est rompu. L’industrialisation a remplacé les savoirs locaux par la production de masse, les ingrédients bruts par des produits de longue conservation, les aliments vivants par des substituts stériles et manufacturés.
Le pain en est l’exemple parfait. Il nourrit l’humanité depuis des millénaires. Il est fondateur, biblique, présent dans presque toutes les cultures. Le problème n’est pas le blé. Le problème n’est pas le maïs. Le problème réside dans ce que nous en avons fait.
Quand la farine blanche devient la norme, les moulins retirent le son et le germe pour obtenir un produit facile à transporter et à conserver. En retirant ces éléments, ils enlèvent aussi les huiles, les minéraux, les vitamines et les enzymes vivantes qui rendaient le pain nourrissant. Les communautés qui dépendent de cette farine raffinée se mettent rapidement à souffrir de maladies de carence. Des enfants tombent malades. Des adultes meurent.
La farine est tellement appauvrie que le gouvernement finit par imposer l’addition de vitamines synthétiques—une fortification chimique qui ne rend pas le pain réellement sain, mais qui empêche simplement qu’il ne rende les gens malades immédiatement. Nous créons ainsi un produit capable de rester indéfiniment sur une étagère, et en échange, il érode lentement la santé d’un pays entier.
Chez moi, entretemps, le pain redevient sacré. Nous moulons notre propre blé et notre seigle. Nous faisons fermenter la pâte longuement pour rendre les grains digestes et libérer leurs nutriments. Certains clients nous confient que, depuis qu’ils mangent régulièrement notre pain, leurs symptômes de rhinite allergique se sont atténués—quelque chose qui, intuitivement, me semble cohérent. Quand nous mangeons un aliment porteur de l’empreinte microbienne du territoire où nous vivons, notre corps le reconnaît. Notre système immunitaire s’ajuste. Notre physiologie réagit.
C’est ainsi que l’être humain est conçu pour se nourrir : avec des aliments issus de son environnement, porteurs d’une intelligence naturelle, capables d’informer notre corps plutôt que de le perturber. Le maïs n’est pas l’ennemi. Le blé n’est pas l’ennemi. Ce sont des dons du Créateur.
Ce qui nous nuit, ce n’est pas le grain. C’est la rupture entre l’homme et les écosystèmes qui sont censés le soutenir. Mon petit bocal de baies de genévrier me l’a appris. Quand nous choisissons une nourriture vivante, une nourriture enracinée dans notre lieu de vie, une nourriture qui honore la terre plutôt que de s’y opposer, nous retrouvons une forme de vitalité qu’aucune commodité moderne ne peut imiter.
Parfois, la sagesse la plus ancienne repose dans la simplicité d’une miche de pain.

Mollie Engelhart, agricultrice et éleveuse, est engagée dans la souveraineté alimentaire, la régénération des sols et l\'éducation à l\'agriculture familiale et à l\'autosuffisance.
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