La France va‑t‑elle renoncer à sa souveraineté sur les îlots Hunter et Matthew ?
Deux îlots volcaniques, perdus à l’est de la Nouvelle-Calédonie, ravivent un vieux différend entre la France et le Vanuatu. Au-delà de leur taille minuscule, Matthew et Hunter cristallisent des enjeux maritimes, politiques et stratégiques majeurs pour Paris.

L'île Matthew.
Photo: Capture compte X sénateur Christophe Frassa
Ces deux îles inhabitées du Pacifique sud, difficiles d’accès et longtemps négligées, sont devenues un point de tension entre Paris et Port-Vila. Le Vanuatu revendique leur souveraineté au nom de la géographie, de l’économie et de droits coutumiers. La France refuse toute idée de cession des îles Matthew et Hunter, consciente que ces « cailloux » conditionnent une vaste zone économique exclusive et un pan de sa stratégie indo-pacifique.
Des rochers oubliés devenus enjeux maritimes
À la fin du XVIIIᵉ siècle, des capitaines britanniques signalent pour la première fois ces terres sur les cartes de navigation. L’un baptise l’île Matthew du nom de son armateur, l’autre appelle Hunter comme son navire, selon Radio France. À l’époque, l’événement passe inaperçu. Ces rochers volcaniques, escarpés, sans eau douce, n’attirent ni colons ni commerçants. On y accoste difficilement et personne ne s’y installe.
La France prend officiellement possession de Matthew et Hunter en 1929, dans le prolongement du renforcement de son autorité sur la Nouvelle-Calédonie. Dans les décennies suivantes, elle y envoie ponctuellement des missions scientifiques et militaires, rapporte Le Parisien. Une station météo automatique est installée sur l’île Matthew à la fin des années 1970. En 2015, la frégate « Vendémiaire » héliporte du personnel pour réaffirmer la présence française.
Avec la convention de Montego Bay de 1982, le statut de ces îlots change d’échelle. Ils ouvrent l’accès à une zone économique exclusive d’environ 350 000 km², soit près d’un cinquième de la ZEE de la Nouvelle-Calédonie. Grâce à l’ensemble de ses territoires ultramarins, la France dispose de plus de 10 millions de km² de ZEE et se classe deuxième puissance maritime mondiale. Autour de Matthew et Hunter, les enjeux portent sur les ressources halieutiques, les éventuels gisements du plateau continental et le passage de câbles sous-marins.
Le Vanuatu entre économie, coutumes et affirmation nationale
Le Vanuatu, indépendant depuis 45 ans, a longtemps été administré en condominium franco-britannique. Ce petit État insulaire dispose de peu de ressources. Une part importante de ses revenus provient de la vente de licences de pêche dans ses eaux territoriales à des armateurs étrangers. Cette dépendance renforce son intérêt pour toute extension de ZEE.
Port-Vila met en avant plusieurs arguments dans sa revendication. Les autorités rappellent que Matthew et Hunter se situent dans la continuité géographique de l’archipel. Elles soulignent aussi que ces rochers sont considérés comme des lieux de cultes et de rituels par certaines populations autochtones, qui leur attribuent une valeur sacrée et culturelle. Des plantes et des traces d’introduction volontaire de faune, comme des rats, sont interprétées comme des indices d’occupation humaine ancienne.
Depuis son indépendance en 1980, le Vanuatu défend l’idée d’un lien historique et culturel ancien entre les populations du sud de l’archipel et ces îles. En 1983, une mission menée par des chefs coutumiers plante un drapeau sur Hunter pour matérialiser la revendication. Plus récemment, le ministre des Finances, Johnny Koanapo, affirme que Matthew et Hunter « font partie du Vanuatu depuis des générations et sont intrinsèquement liées au tissu religieux (…) détenant une valeur sacrée et culturelle significative », selon Le Figaro.
Soutien du FLNKS et ingérence chinoise
La question des deux îlots ne se joue pas seulement entre Paris et Port-Vila. Le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), principal mouvement indépendantiste en Nouvelle-Calédonie, s’est rangé du côté du Vanuatu. Il invoque « des droits coutumiers immémoriaux » et a signé en 2009 l’accord de Keamu qui reconnaît implicitement le rattachement d’Umaenupne (Matthew) et Umaeneg-Leka (Hunter) au Vanuatu comme « lieux de culte et de rituels importants depuis d’innombrables générations ».
Ce positionnement pèse sur le contexte calédonien, marqué par des tensions politiques et des émeutes en 2024. Tout geste perçu comme un recul français sur la souveraineté pourrait être interprété localement comme un signal d’affaiblissement de la métropole. Pour Paris, le dossier touche donc à la fois aux relations avec un voisin insulaire et à l’équilibre interne en Nouvelle-Calédonie.
« Une menace inadmissible contre l’intégrité territoriale de la France »
En métropole, la polémique prend une tournure nationale. Une lettre ouverte du sénateur Christophe-André Frassa (LR) au gouvernement interroge : « La France envisage-t-elle réellement de renoncer à sa souveraineté sur Matthew et Hunter dans le cadre des discussions en cours avec le Vanuatu ? », rapporte Le Parisien.
Marine Le Pen dénonce sur X un pouvoir qui « dépèce dans leur dos nos territoires d’Outre-mer ». Jordan Bardella parle d’« une menace inadmissible contre l’intégrité territoriale de la France et sa zone économique exclusive d’une valeur inestimable ». Nicolas Dupont-Aignan estime pour sa part que « renoncer aux îlots Matthew et Hunter, c’est trahir la nation », selon Le Figaro.
Les discussions se sont accélérées ces derniers mois. Une délégation du Quai d’Orsay s’est déplacée à Port-Vila les 20 et 21 novembre. Un nouveau round est prévu à Paris au premier trimestre 2026. Emmanuel Macron, en visite au Vanuatu en 2023, s’était engagé à « identifier une solution rapide et pragmatique » et à instaurer « un dialogue ouvert ». Le ministère des Affaires étrangères assure qu’« il n’a jamais été question de céder ces îlots » et qu’« aucune renonciation à notre souveraineté n’a été évoquée ». La France met en avant des pistes de codéveloppement sur la pêche et la recherche scientifique.
Pour Cyrille P. Coutansais, du Centre d’études stratégiques de la Marine, une cession constituerait « un tournant symbolique majeur » et risquerait d’ouvrir la « boîte de Pandore » des revendications sur d’autres territoires comme Mayotte, Tromelin, les Éparses ou Clipperton, précise Le Figaro.










