Recommandation
AgricultureDermatose nodulaire : ce vétérinaire conteste la stratégie gouvernementale de l’abattage systématique
Alors que le gouvernement défend l'abattage systématique des troupeaux ayant été au contact de la DNC, un vétérinaire rompu aux réalités de l'élevage examine les fondements de la stratégie sanitaire en vigueur et plaide pour une approche plus proportionnée.

Photo: FABRICE COFFRINI/AFP via Getty Images
Le vétérinaire interrogé ne conteste pas ce cadre réglementaire, soulignant qu’il relève du bon sens. « Je suis favorable à l’abattage total, à condition, précise-t-il, qu’il intervienne après une identification extrêmement rapide de la source de contamination et qu’il soit appliqué sans délai, afin d’éviter toute propagation du virus ». La nuance, essentielle, réside dans ces derniers mots : « sans délai ». Or, selon lui, ce principe n’a pas été respecté.
Lorsque les premiers soupçons ont émergé en Savoie, une série de retards s’est cumulée. « Plusieurs lenteurs se sont additionnées face à la vitesse de diffusion du virus : l’éleveur a tardé à déclarer, les vétérinaires ont mis du temps à poser le diagnostic, et les laboratoires à confirmer les résultats. À ce stade, le seuil critique était déjà dépassé. »
Pendant ce temps, le virus continuait de progresser. « La maladie est apparue en Savoie, en un point précis. À partir de là, plusieurs phénomènes se sont déroulés simultanément. » D’un côté, les stomoxes et taons, mouches vectrices du pathogène, ont contaminé les troupeaux voisins. De l’autre, les déplacements humains ont involontairement amplifié l’épidémie. « Entre l’apparition des premiers soupçons, leur confirmation officielle et la mise en œuvre de l’abattage, des animaux ont été déplacés. Puis, après la confirmation des premiers cas, des rapatriements, ventes précipitées et envois rapides à l’abattoir ont favorisé la diffusion de la maladie bien au-delà de son foyer initial. »
Selon cet expert, un plan B aurait dû être automatiquement déclenché. « En théorie, le protocole sanitaire aurait dû prévoir une stratégie alternative dès le départ. Or ce n’était pas le cas. » La vaccination, bien que mise en œuvre rapidement après la confirmation de l’existence d’un premier foyer infectieux, est arrivée avec retard. « Entre la fin du mois de juin, moment où les vaccins ont été commandés, et le début de la vaccination trois semaines plus tard, un nouveau délai significatif s’est écoulé, trop long au regard de la vitesse de propagation du virus. »
Le praticien plaide pour l’instauration de délais contraignants : « Dès l’apparition du premier cas, il aurait fallu constater que les délais d’intervention étaient dépassés et activer immédiatement une stratégie alternative. » Car le virus, souligne-t-il, ne négocie pas avec les procédures administratives. « Il faut comprendre que lorsque la maladie devient visible, elle est déjà présente depuis au moins une semaine. Le virus se multiplie dans le sang à l’infection, mais les premiers nodules n’apparaissent qu’au bout d’environ sept jours. Pendant cette phase invisible, les insectes vecteurs transmettent déjà le virus. Nous agissons presque toujours avec un temps de retard. »
Selon le vétérinaire, ces chiffres, qui « font peur », méritent d’être relativisés. Il propose une autre lecture, fondée sur l’étude de l’Efsa publiée en 2016, qui rapporte un taux de morbidité globalement compris entre 5 et 10 %. Quant à la mortalité, il renvoie à une synthèse épidémiologique de l’Anses, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, concernant la dernière épidémie de DNC en Europe, dans les Balkans, où le taux de mortalité était d’environ 1 %.
Cet écart s’explique selon lui par l’origine des données. « Les chiffres avancés proviennent essentiellement de pays comme le Maghreb ou l’Albanie, où les troupeaux sont souvent très réduits, comptant trois à quatre animaux par exploitation, explique-t-il. Lorsqu’un troupeau de quatre bêtes compte un animal malade, le taux de morbidité atteint déjà 25 %. Si deux sont malades, il monte à 50 %. Les pourcentages sont donc élevés, mais uniquement parce que les effectifs sont très faibles. »
L’Anses confirme ce biais dans sa note de janvier 2028 : « En Albanie, la morbidité était de 42 % en 2016 et de 22 % en 2017, et la mortalité de 12 % en 2016 et de 6 % en 2017, mais ces chiffres sont biaisés car la plupart des élevages ne comprennent qu’un ou deux bovins. »
Pour illustrer l’impact réel de la DNC sur des troupeaux plus importants, le vétérinaire donne l’ordre de grandeur suivant : « Dans un troupeau de 200 animaux, environ 90 %, soit 180 bêtes, seront contaminées sans développer de signes cliniques. Ces animaux produiront des anticorps et guériront naturellement : après environ un mois, le virus aura disparu de leur organisme et seuls les anticorps subsisteront. Les 10 % restants, soit une vingtaine d’animaux, développeront des symptômes. Statistiquement, parmi ces animaux malades, deux environ décéderont rapidement des suites de la maladie. Les 18 autres produiront également des anticorps. »
Le vétérinaire interrogé s’inscrit en faux par rapport à cette analyse. « Le problème, c’est qu’ils n’ont pas vacciné l’ensemble des animaux, soutient-il. La stratégie a consisté en quelques abattages partiels couplés à une vaccination partielle. Pour être efficace, la vaccination doit couvrir la totalité du troupeau dans la zone ciblée. Cela ne signifie pas vacciner toute la France, mais agir rapidement et complètement dans une zone précise. »
S »appuyant sur le cas de l’Albanie, il souligne des réalités que les comparaisons statistiques ne reflètent pas. « Sur place, les animaux ne sont pas nécessairement identifiés. Les troupeaux sont parfois mélangés, et les bovins circulent librement d’un pays à l’autre : de l’Albanie à la Grèce, de l’Albanie à la Macédoine, sans aucune frontière pour eux. »
La conclusion s’impose selon lui : « En France, la situation est très différente : les animaux sont correctement identifiés et leur traçabilité est rigoureusement organisée. On ne peut pas comparer la France à l’Albanie ou à d’autres pays. Les pratiques et le contrôle sanitaire n’ont rien à voir. »
Autre facteur souvent négligé, selon lui : la qualité des vaccins. « Le vaccin français est une copie d’un vaccin sud-africain reconnu pour son efficacité, souligne-t-il. En revanche, le vaccin russe s’est révélé peu performant. Et dans plusieurs pays africains, les vaccins ne respectent pas toujours les standards de fabrication nécessaires, ce qui limite leur efficacité. »
Enfin, le praticien pointe un obstacle économique : « Dans certains pays, les éleveurs n’ont pas les moyens d’acheter le vaccin pour l’ensemble de leur troupeau. La couverture vaccinale reste donc partielle, limitée à quelques animaux seulement. Dans ces conditions, il est impossible d’atteindre le seuil de protection collective nécessaire, le fameux “matelas vaccinal”, et la stratégie de vaccination échoue en conséquence, malgré les efforts réalisés. »

Articles actuels de l’auteur









