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Agriculture

Dermatose nodulaire : ce vétérinaire conteste la stratégie gouvernementale de l’abattage systématique

Alors que le gouvernement défend l'abattage systématique des troupeaux ayant été au contact de la DNC, un vétérinaire rompu aux réalités de l'élevage examine les fondements de la stratégie sanitaire en vigueur et plaide pour une approche plus proportionnée.

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Photo: FABRICE COFFRINI/AFP via Getty Images

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Durée de lecture: 15 Min.

Les agriculteurs restent farouchement opposés au protocole gouvernemental de lutte contre la dermatose nodulaire contagieuse (DNC), qui impose l’abattage systématique de l’ensemble du troupeau dès l’identification du premier bovin infecté. Mais ce point de vue n’est pas partagé unanimement au sein de la profession vétérinaire.
Un praticien, qui a accepté de s’exprimer auprès d’Epoch Times sous couvert d’anonymat, déplore un climat de pression rappelant la crise du Covid-19, lorsque les médecins hésitaient à critiquer certaines mesures sanitaires, comme le confinement, de peur de sanctions disciplinaires.
Disposant d’une expérience sur le terrain et d’une connaissance de la littérature scientifique, cet expert remet en question les fondements du « dépeuplement » total décidé par les autorités, faisant valoir que la gestion initiale de l’épidémie a souffert de lenteurs importantes compromettant son bien-fondé. Il conteste aussi les estimations de morbidité et de mortalité invoquées pour justifier cet abattage systématique, et propose une approche qu’il juge plus adaptée.
Des retards qui ont tout changé
La doctrine est désormais bien établie : face à un foyer de dermatose nodulaire contagieuse (DNC), l’élimination de l’ensemble de l’« unité épidémiologique » s’impose, c’est-à-dire tous les animaux ayant partagé le même espace que la bête infectée, puisqu’ils peuvent tous être porteur du virus, en dépit de l’absence de signes cliniques visibles. Cette mesure s’inscrit dans le cadre de la réglementation européenne sur la santé animale, qui classe la DNC parmi les maladies de catégorie A, celles normalement absentes de l’Union européenne. En cas de détection, une éradication immédiate est obligatoire.

Le vétérinaire interrogé ne conteste pas ce cadre réglementaire, soulignant qu’il relève du bon sens. « Je suis favorable à l’abattage total, à condition, précise-t-il, qu’il intervienne après une identification extrêmement rapide de la source de contamination et qu’il soit appliqué sans délai, afin d’éviter toute propagation du virus ». La nuance, essentielle, réside dans ces derniers mots : « sans délai ». Or, selon lui, ce principe n’a pas été respecté.

Lorsque les premiers soupçons ont émergé en Savoie, une série de retards s’est cumulée. « Plusieurs lenteurs se sont additionnées face à la vitesse de diffusion du virus : l’éleveur a tardé à déclarer, les vétérinaires ont mis du temps à poser le diagnostic, et les laboratoires à confirmer les résultats. À ce stade, le seuil critique était déjà dépassé. »

Le gouvernement a officiellement annoncé l’apparition d’un foyer de DNC le 29 juin, après confirmation en laboratoire. Ces retards, explique le praticien, s’expliquent en partie par la méconnaissance initiale de la maladie, jamais observée auparavant sur le territoire métropolitain.

Pendant ce temps, le virus continuait de progresser. « La maladie est apparue en Savoie, en un point précis. À partir de là, plusieurs phénomènes se sont déroulés simultanément. » D’un côté, les stomoxes et taons, mouches vectrices du pathogène, ont contaminé les troupeaux voisins. De l’autre, les déplacements humains ont involontairement amplifié l’épidémie. « Entre l’apparition des premiers soupçons, leur confirmation officielle et la mise en œuvre de l’abattage, des animaux ont été déplacés. Puis, après la confirmation des premiers cas, des rapatriements, ventes précipitées et envois rapides à l’abattoir ont favorisé la diffusion de la maladie bien au-delà de son foyer initial. »

Selon cet expert, un plan B aurait dû être automatiquement déclenché. « En théorie, le protocole sanitaire aurait dû prévoir une stratégie alternative dès le départ. Or ce n’était pas le cas. » La vaccination, bien que mise en œuvre rapidement après la confirmation de l’existence d’un premier foyer infectieux, est arrivée avec retard. « Entre la fin du mois de juin, moment où les vaccins ont été commandés, et le début de la vaccination trois semaines plus tard, un nouveau délai significatif s’est écoulé, trop long au regard de la vitesse de propagation du virus. »

Le praticien plaide pour l’instauration de délais contraignants : « Dès l’apparition du premier cas, il aurait fallu constater que les délais d’intervention étaient dépassés et activer immédiatement une stratégie alternative. » Car le virus, souligne-t-il, ne négocie pas avec les procédures administratives. « Il faut comprendre que lorsque la maladie devient visible, elle est déjà présente depuis au moins une semaine. Le virus se multiplie dans le sang à l’infection, mais les premiers nodules n’apparaissent qu’au bout d’environ sept jours. Pendant cette phase invisible, les insectes vecteurs transmettent déjà le virus. Nous agissons presque toujours avec un temps de retard. »

Une alternative ?
À ce stade de la situation, le vétérinaire esquisse donc une autre approche pour lutter contre l’épidémie : quarantaine stricte des foyers, vaccination massive des zones règlementées, abattage limité aux animaux gravement atteints. Une étude de 2016 réalisée par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) après un épisode de DNC dans les Balkans a déjà indiqué qu’une euthanasie ciblée couplée à une large vaccination peuvent suffire à contenir la maladie.
« En matière de quarantaine, il serait prudent d’attendre environ deux mois. Laisser les vaches confinées et observer leur évolution. Si aucun signe n’apparaît après ce délai, on peut considérer la situation sous contrôle. Le vaccin devient efficace après 21 jours, la période d’incubation peut atteindre 28 jours. Pour une marge de sécurité, attendre 60 jours. »
Pour les animaux symptomatiques, une approche graduée. « Certains guériront sans séquelles, d’autres conserveront un état dégradé, pouvant être rendus, par exemple, apathiques. Dans les cas graves, une euthanasie doit être envisagée. Pour les séquelles modérées, la solution consiste à les réformer : les isoler, assurer une alimentation renforcée, puis les orienter vers l’abattoir après récupération. La viande demeure consommable. Cela permet à l’éleveur de limiter l’impact économique. »
Par ailleurs, le praticien met en garde contre un risque d’effets pervers de l’abattage systématique d’un troupeau sur la propagation du virus. Les bovins ne sont pas les seuls vecteurs, les insectes de type stomoxes le sont également. « Une fois toutes les vaches éliminées, ces mouches piquantes n’ont plus de source de nourriture sur place et vont chercher à se nourrir ailleurs, dans les troupeaux voisins, développe-t-il. En abattant complètement un troupeau, on risque donc de favoriser la dispersion des vecteurs vers d’autres élevages, car les mouches elles-mêmes ne sont pas affectées par cette mesure. »
Une autre lecture des chiffres officiels
Le praticien tient aussi à nuancer les chiffres avancés par les autorités. Celles-ci évoquent des taux de morbidité, c’est-à-dire le pourcentage d’animaux malades développant des symptômes, pouvant atteindre 40 % des troupeaux, avec une mortalité oscillant entre 5 et 10 %. Ces estimations servent de justification à l’abattage préventif des troupeaux entiers, censé sauver des millions d’animaux.

Selon le vétérinaire, ces chiffres, qui « font peur », méritent d’être relativisés. Il propose une autre lecture, fondée sur l’étude de l’Efsa publiée en 2016, qui rapporte un taux de morbidité globalement compris entre 5 et 10 %. Quant à la mortalité, il renvoie à une synthèse épidémiologique de l’Anses, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, concernant la dernière épidémie de DNC en Europe, dans les Balkans, où le taux de mortalité était d’environ 1 %.

Cet écart s’explique selon lui par l’origine des données. « Les chiffres avancés proviennent essentiellement de pays comme le Maghreb ou l’Albanie, où les troupeaux sont souvent très réduits, comptant trois à quatre animaux par exploitation, explique-t-il. Lorsqu’un troupeau de quatre bêtes compte un animal malade, le taux de morbidité atteint déjà 25 %. Si deux sont malades, il monte à 50 %. Les pourcentages sont donc élevés, mais uniquement parce que les effectifs sont très faibles. »

L’Anses confirme ce biais dans sa note de janvier 2028 : « En Albanie, la morbidité était de 42 % en 2016 et de 22 % en 2017, et la mortalité de 12 % en 2016 et de 6 % en 2017, mais ces chiffres sont biaisés car la plupart des élevages ne comprennent qu’un ou deux bovins. »

Pour illustrer l’impact réel de la DNC sur des troupeaux plus importants, le vétérinaire donne l’ordre de grandeur suivant : « Dans un troupeau de 200 animaux, environ 90 %, soit 180 bêtes, seront contaminées sans développer de signes cliniques. Ces animaux produiront des anticorps et guériront naturellement : après environ un mois, le virus aura disparu de leur organisme et seuls les anticorps subsisteront. Les 10 % restants, soit une vingtaine d’animaux, développeront des symptômes. Statistiquement, parmi ces animaux malades, deux environ décéderont rapidement des suites de la maladie. Les 18 autres produiront également des anticorps. »

L’abattage partiel : une mesure déjà mise en échec par le passé ?
Pour justifier le dépeuplement systématique, d’autres experts avancent que les stratégies d’abattage partiel mises en œuvre à l’étranger auraient échoué. « Les pays qui ont tenté de ne pas procéder à l’abattage total lors des épisodes successifs entre 2006 et 2023 ont connu une récurrence inquiétante des foyers, jusqu’à 232 par an, et démontrent que la stratégie d’abattage partiel limité associée à la vaccination est partiellement en échec », affirmait par exemple le Dr Jean-Yves Gauchot, président de la Fédération des syndicats vétérinaires de France, au Figaro, contestant ainsi les résultats de l’étude de l’Efsa.

Le vétérinaire interrogé s’inscrit en faux par rapport à cette analyse. « Le problème, c’est qu’ils n’ont pas vacciné l’ensemble des animaux, soutient-il. La stratégie a consisté en quelques abattages partiels couplés à une vaccination partielle. Pour être efficace, la vaccination doit couvrir la totalité du troupeau dans la zone ciblée. Cela ne signifie pas vacciner toute la France, mais agir rapidement et complètement dans une zone précise. »

S »appuyant sur le cas de l’Albanie, il souligne des réalités que les comparaisons statistiques ne reflètent pas. « Sur place, les animaux ne sont pas nécessairement identifiés. Les troupeaux sont parfois mélangés, et les bovins circulent librement d’un pays à l’autre : de l’Albanie à la Grèce, de l’Albanie à la Macédoine, sans aucune frontière pour eux. »

La conclusion s’impose selon lui : « En France, la situation est très différente : les animaux sont correctement identifiés et leur traçabilité est rigoureusement organisée. On ne peut pas comparer la France à l’Albanie ou à d’autres pays. Les pratiques et le contrôle sanitaire n’ont rien à voir. »

Autre facteur souvent négligé, selon lui : la qualité des vaccins. « Le vaccin français est une copie d’un vaccin sud-africain reconnu pour son efficacité, souligne-t-il. En revanche, le vaccin russe s’est révélé peu performant. Et dans plusieurs pays africains, les vaccins ne respectent pas toujours les standards de fabrication nécessaires, ce qui limite leur efficacité. »

Enfin, le praticien pointe un obstacle économique : « Dans certains pays, les éleveurs n’ont pas les moyens d’acheter le vaccin pour l’ensemble de leur troupeau. La couverture vaccinale reste donc partielle, limitée à quelques animaux seulement. Dans ces conditions, il est impossible d’atteindre le seuil de protection collective nécessaire, le fameux “matelas vaccinal”, et la stratégie de vaccination échoue en conséquence, malgré les efforts réalisés. »

Et le vétérinaire de conclure par une réflexion qui dépasse le cadre purement technique : « La biologie n’est jamais binaire. Ce n’est pas du noir ou du blanc, mais toute une palette de gris. Contrairement à l’informatique, où tout est codé en “oui” ou “non”, la biologie est complexe et nuancée. »