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La faiblesse record de l’ajustement des retraites en Chine révèle la réduction du filet de sécurité

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Un groupe de personnes âgées chinoises à Pékin, le 7 avril 2007.

Photo: AFP via Getty Images

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Durée de lecture: 11 Min.

La Chine a récemment annoncé à ses retraités qu’ils ne bénéficieraient que d’une augmentation de 2 % en 2025, soit le plus petit ajustement depuis que Pékin a commencé à augmenter les pensions annuelles il y a deux décennies.
L’annonce du 10 juillet a déclenché une vague de plaintes en ligne : les retraités ruraux sur Weibo se sont moqués des piécettes supplémentaires, les considérant comme suffisantes pour acheter « quelques œufs de plus », tandis que les citadins se sont demandé pourquoi le coût de la vie continuait d’augmenter alors que leurs prestations sociales ne le faisaient pas.
Les analystes affirment que cette augmentation nominale met en évidence un système de retraite mis à rude épreuve par une main-d’œuvre en diminution, des provinces qui puisent dans les fonds de retraite pour couvrir les dépenses quotidiennes et un leadership qui privilégie désormais la politique industrielle et le contrôle de la dette plutôt que la protection sociale.
Les augmentations annuelles des pensions diminuent depuis une décennie : de 6,5 % en 2016 à 5 % en 2020, 4 % en 2022, 3 % l’année dernière, et maintenant seulement 2 %.

Graphique : Epoch Times – Source : Annonces annuelles du ministère chinois des finances – Créé avec Datawrapper

« La crise a sapé les recettes publiques dans leur ensemble », a déclaré Xu Zhen, spécialiste des marchés financiers avec vingt ans d’expérience dans le secteur financier chinois. « Ce chiffre record est lié à la baisse des recettes fiscales. »
M. Xu a indiqué à Epoch Times que même Pékin, normalement protégé par les flux fiscaux des grandes entreprises publiques, ne peut désormais offrir aux retraités qu’une légère augmentation de leur pension.
En théorie, ces ajustements devraient suivre l’inflation, la croissance des salaires et la santé du système de retraite. Mais en pratique, ils dépendent de « la discrétion politique, et non de la transparence budgétaire », a expliqué à Epoch Times l’économiste américain Davy J. Wong.
La hausse de cette année, a-t-il noté, se situe en dessous de l’inflation globale et encore plus loin en dessous de la flambée des coûts des soins médicaux – un « signal stratégique que le bien-être public n’est plus au centre de la planification budgétaire ».
Deux systèmes, un fossé grandissant
La Chine dispose d’un système de retraite à deux vitesses. Les salariés urbains – qu’ils travaillent dans des entreprises privées ou des organismes publics – versent des cotisations sociales obligatoires à un fonds commun. Les agriculteurs, les migrants et les travailleurs indépendants bénéficient d’un régime « résident » distinct, financé par des cotisations forfaitaires et des subventions gouvernementales.
Les augmentations basées sur un pourcentage creusent le fossé : une pension rurale de 300 yuans (environ 36 euros) par mois augmente de 6 yuans (0,72 euro), tandis qu’un enseignant retraité de Shanghai recevant 9000 yuans (environ 1079 euros) gagne environ 180 yuans (environ 21,6 euros), a expliqué M. Wong.
« Dans certains foyers, les enfants qui travaillent rapportent désormais moins chaque mois que leurs parents retraités », a-t-il ajouté.
Cet écart est délibéré, a soutenu M. Wong. L’échelle sociale chinoise comporte trois échelons : au sommet, l’élite dirigeante bénéficie de prestations généreuses et entièrement subventionnées ; en dessous, la « classe des exécutants » des fonctionnaires et du personnel du secteur public perçoit des pensions supérieures à la moyenne ; et en bas, les masses gouvernées bénéficient d’augmentations symboliques dont la valeur réelle diminue.
« La pension que l’on reçoit », a-t-il souligné, « reflète non seulement l’historique des revenus, mais aussi le rôle de chacun dans la hiérarchie politique ».
Le pillage du pot à biscuits
Même cette augmentation nominale de 2 % pèse sur les flux de trésorerie du fonds.
Un rapport du Bureau national d’audit (NAO : National Audit Office) du 24 juin a révélé que 13 provinces ont illégalement détourné 40,62 milliards de yuans (environ 4,9 milliards d’euros) des comptes de retraite et de protection sociale des résidents pour couvrir les dépenses courantes du gouvernement telles que les salaires, les dépenses opérationnelles et les intérêts sur les prêts en cours.
La ruée vers l’argent s’est accélérée lorsque le boom immobilier chinois s’est effondré fin 2021. Alors que les ventes de terrains et les achats de maisons se sont taris, les gouvernements locaux ont perdu leur source de revenus la plus importante.
Pendant des années, ils ont financé des métros, des aéroports et des parcs industriels par l’intermédiaire de véhicules de financement des collectivités locales (LGFV : local government financing vehicles), des sociétés écrans qui empruntent en dehors des comptes publics.
Ces sociétés écrans ont désormais du mal à reconduire ce que les analystes de BBVA Research estiment à environ 78.000 milliards de yuans (environ 9350 milliards d’euros) de passif, soit plus de la moitié de la taille de l’ensemble de l’économie chinoise.
Chaque trimestre, au moins 1000 milliards de yuans (environ 120 milliards d’euros) d’obligations LGFV sont dus, obligeant les responsables à une course incessante pour obtenir de l’argent frais, selon S&P Global Ratings.
« Les fonctionnaires jonglent avec sept pots et six couvercles », a déclaré M. Xu. « Emprunter sur le compte de retraite constitue déjà une violation des règles et témoigne d’une économie au bord du gouffre. »
Dans 25 provinces, plus de 28.000 fonctionnaires provinciaux ont falsifié des documents pour empocher 519 millions de yuans supplémentaires (environ 62,2 millions d’euros) en fonds de pension et de protection sociale, selon une enquête de la NAO.
De telles fuites, a ajouté M. Wong, « drainent les liquidités des comptes des résidents et forcent Pékin à contenir l’augmentation globale ».
Combien de temps avant que l’argent ne soit épuisé ?
L’Académie chinoise des sciences sociales, un groupe de réflexion soutenu par l’État, a averti en 2019 que le principal fonds de pension public chinois serait à sec d’ici 2035, car la main-d’œuvre qui y contribue diminue régulièrement.
Cependant, M. Wong pense que le gouffre arrivera plus tôt dans les provinces vieillissantes et à faible croissance, telles que le Heilongjiang et le Jilin, peut-être dès 2027.
Il ajoute que lorsque la crise surviendra, elle ne sera pas ressentie de la même manière : les comptes des élites peuvent prétendre à des transferts d’urgence, tandis que les pensions de retraite classiques risquent d’être plafonnées, discrètement dévaluées, voire retardées.
« Bientôt, ils pourraient ne même pas parvenir à une augmentation de 1 % », prédit M. Xu. « Si les paiements passent [de la valeur] de douze à dix mois, les tensions sociales exploseront. »
Techniquement, la Chine peut consolider le système en repoussant l’âge de la retraite, en augmentant les taux de cotisation ou en fusionnant les fonds provinciaux en un véritable fonds national, a expliqué M. Wong. Mais aucun de ces leviers n’est appliqué de manière uniforme : les cadres prennent une retraite anticipée et bénéficient d’une couverture médicale de premier ordre, tandis que les travailleurs du secteur privé sont déjà invités à travailler plus longtemps et à cotiser davantage.
Selon M. Xu, la seule solution crédible consiste à remplir les comptes individuels « vides » en transférant environ 10 % des actions des entreprises d’État dans le fonds et en laissant les dividendes s’écouler – une idée lancée dans les années 1990, mais qui n’a jamais été mise en œuvre.
En l’absence d’une telle mesure, chaque yuan supplémentaire versé sous forme de prestations se heurte à l’affaiblissement des entrées de salaires et à l’érosion de la confiance du public, ajoute-t-il.
« La question n’est plus de savoir comment maintenir le système », a déclaré M. Wong, « mais quelles parties de la population Pékin entend soutenir ».
Un contraste avec les États-Unis
Les ajustements du coût de la vie de la sécurité sociale américaine sont automatiques et liés à l’inflation, tandis que ceux de la Chine sont discrétionnaires et opaques, a souligné M. Wong.
Les prestations sociales américaines suivent une formule fédérale unique ; les versements chinois varient selon la région, le type d’employeur et le rang politique. Il n’existe pas d’équivalent américain d’une exemption réservée aux cadres, ajoute-t-il.
Le petit ajustement des retraites de 2025 intervient alors que Pékin investit des fonds dans les semi-conducteurs, l’intelligence artificielle et les technologies de défense, et qu’il ordonne aux provinces de maîtriser leur dette.
Selon M. Wong, Pékin est passé d’une situation où les citoyens étaient satisfaits de l’augmentation de l’aide sociale à des mesures délibérées de restriction des prestations et à l’utilisation de la pénurie elle-même pour maintenir les gens dans le droit chemin.
Pour une société qui vieillit plus vite que n’importe quelle grande économie, ajoute M. Wong, l’ajustement de 2 % est moins une mesure économique qu’un message calibré : l’État protégera d’abord ses ambitions stratégiques, sa bureaucratie ensuite, et ses retraités ordinaires seulement dans la mesure où les ressources le permettent.
Fang Xiao et Gu Xiaohua ont contribué à la rédaction de cet article.