Privée de facto de son accès garanti aux kiosques, La Furia bénéficie d’une reconnaissance explicite du caractère satirique de ses contenus par la justice, toutes les plaintes déposées par ces associations d’extrême gauche ayant été, de surcroit, classées sans suite. Pour sa directrice de publication, Laura Magné, la décision de la CPPAP, qu’elle juge arbitraire et politique, vise donc à asphyxier économiquement le magazine. Elle revient ici sur les coulisses de cette affaire et livre son regard sur l’état de la liberté d’expression en France.
Epoch Times : Comment en êtes-vous venu à perdre votre agrément de presse ?
Laura Magné : Au mois de mars dernier, La Furia, fondée avec Laurent Obertone, Marsault et Papacito, a été la cible de pressions répétées de la part de SOS Racisme et SOS homophobie. Ces associations ont entrepris de contacter directement nos distributeurs et points de vente, leur adressant des courriers et menaces voilées afin d’obtenir le retrait de notre magazine des rayons.
Problème : un tel retrait est illégal. Les publications disposant de l’agrément et du statut IPG (Information Politique et Générale) délivrés par la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP), organisme rattaché au ministère de la Culture, doivent obligatoirement être mises en rayon par les diffuseurs, sans discrimination idéologique.
Ne pouvant obtenir gain de cause auprès des distributeurs, SOS Racisme et SOS homophobie ont alors adressé à la CPPAP des courriers nous accusant de bien des noms d’oiseaux et réclamant le retrait de notre agrément.
La Furia bénéficiait de cet agrément depuis 2022, avec un renouvellement accordé en octobre 2024 pour deux années supplémentaires, jusqu’en octobre 2026. Autrement dit, le ministère de la Culture, via la CPPAP, avait validé en toute connaissance de cause la conformité du magazine à la réglementation en vigueur.
Pourtant, à la suite du courrier de SOS Racisme et SOS homophobie, la CPPAP a brutalement décidé d’un « réexamen » de notre dossier. Nous avons immédiatement reçu un courrier nous annonçant cette procédure, accompagné de la copie des signalements.
Conformément à la procédure, nous avons déposé un mémoire en défense complet, appuyé par un courrier d’avocat détaillé, rappelant les éléments factuels et juridiques du dossier. Malgré cela, la commission s’est réunie en plein été et, le 11 juillet, la décision est tombée : retrait de l’agrément CPPAP de La Furia.
Existe-t-il des décisions de justice vous concernant qui auraient pu servir de fondement à ce retrait d’agrément ?
Aucune ! Il faut savoir que ces associations ont déposé plusieurs plaintes contre La Furia.
Trois procédures distinctes ont été ouvertes, me visant directement en tant que directrice de la publication. J’ai été convoquée à deux reprises par la Brigade de répression de la délinquance aux personnes (BRDP) à Paris, qui a mené les auditions dans le cadre d’une enquête préliminaire ordonnée par le parquet.
Toutes ces plaintes ont finalement été classées sans suite. Autrement dit, aucune infraction n’a été constatée, aucun renvoi devant la justice n’a été ordonné, et les faits reprochés n’étaient pas constitués : le magistrat chargé du dossier a explicitement reconnu le caractère satirique du magazine.
Le plus troublant, c’est que la CPPAP a statué sur le retrait de notre agrément avant même cette décision des autorités. La commission a donc agi sur la base de simples plaintes, encore à l’état d’allégations non vérifiées, sans attendre les conclusions de l’enquête, ni le moindre jugement.
Or, le dépôt d’une plainte ne vaut ni condamnation, ni preuve de culpabilité. Il ne signifie pas qu’une infraction a été commise, ni même que la plainte donnera lieu à une instruction judiciaire.
En rendant sa décision avant même la clôture de l’enquête, la CPPAP a agi dans l’arbitraire le plus total, s’appuyant sur des accusations qui se sont révélées entièrement infondées.
Sur quels arguments la CPPAP s’appuie-t-elle pour justifier ce retrait d’agrément ?
Dans sa décision, Mme Franceschini, la présidente de l’organisme, justifie le retrait de notre agrément au motif que le contenu de La Furia serait « susceptible de choquer » ou « de constituer des infractions ». On nous reproche donc un risque d’infraction que la justice pourrait constater, mais qu’elle ne constate pas. C’est du délire.
La motivation de cette décision arbitraire a de quoi interroger : si la simple possibilité de poursuites suffit pour priver un média de son agrément, combien de publications françaises devraient-elles subir le même sort ? Charlie Hebdo, à lui seul, cumule plus d’une cinquantaine de procès depuis sa création. Libération, Valeurs Actuelles et bien d’autres ont été condamnés par la justice sans jamais perdre leur agrément CPPAP.
Fidèle à l’esprit satirique, La Furia revendique un ton libre et volontairement provocateur, qui peut « choquer ». Sa vocation n’a jamais été de ménager les sensibilités, mais d’exercer ce droit fondamental à la caricature, à la critique mordante, à la dérision politique : bref, à la satire, une vieille tradition française. De surcroit, quel média n’a jamais fait l’objet de polémiques ou de controverses ? Tous les journalistes savent que leur travail les expose, par nature, à des plaintes.
Auprès de l’AFP, Mme Franceschini a également affirmé que notre magazine « posait une question de discrimination » et qu’elle avait, en conséquence, « appliqué la jurisprudence sur l’intérêt général ». Une formule pour le moins floue : depuis quand l’« intérêt général » est-il défini par une commission administrative ? L’Humanité, journal communiste ayant fait l’apologie du régime stalinien, est toujours considéré comme « d’intérêt général » et perçoit d’importantes aides publiques. Cela n’est-il pas choquant ?
La présidente de la CPPAP conclut en précisant que « la justice se prononcera le moment venu ». Nous avons effectivement engagé une procédure devant le tribunal administratif pour contester la légalité de cette décision, mais un tel recours prend en moyenne deux ans. Autant dire : le temps de mourir dix fois avant d’obtenir réparation.
Cette situation ne peut qu’interroger quand on se souvient qu’un Serge July, fondateur et ancien directeur de publication de Libération, a été condamné dans les années 1980 pour provocation à la haine raciale, sans que son journal ne soit jamais sanctionné. La CPPAP, qui publie sur son site des jurisprudences relatives aux publications pornographiques ou violentes, n’en recense aucune concernant la discrimination. Comment comprendre, dès lors, que La Furia soit écartée alors que d’autres titres ont franchi des lignes autrement plus graves sans en subir la moindre conséquence ? En 2018 encore, Johan Hufnagel, alors directeur adjoint de la rédaction de Libération, déclarait publiquement qu’« à compétences égales », il préférait « embaucher un journaliste arabe ou noir ».
Il s’agit donc pour vous d’une décision politique.
Cela ne fait aucun doute. Mme Franceschini prend soin de préciser que La Furia n’est pas interdite d’exister pour affirmer qu’il n’y a pas de censure. Cette ligne de défense est hypocrite : on ne nous interdit pas de parler, mais on nous invisibilise.
Quand certains médias sont protégés, subventionnés et omniprésents, tandis que d’autres sont privés de vitrine par la force de l’État, il n’y a plus d’équité d’expression. Entre une Léa Salamé s’adressant chaque soir à des millions de téléspectateurs sur le service public et un média indépendant réduit à ses réseaux sociaux, le rapport de force est structurellement inégal. Oui, je peux encore parler : mais à qui, et dans quelles conditions ?
Ensuite, c’est notre capacité même à vendre le magazine qui est visée. Lorsqu’un titre obtient l’agrément CPPAP et le statut IPG, les points de vente sont légalement tenus de le mettre en rayon. Désormais, cette garantie n’existe plus.
Certains marchands de journaux continueront peut-être à le faire, surtout tant que l’affaire suscite une polémique médiatique. Notre dernier numéro est déjà présent dans plusieurs points de vente. Mais cette visibilité ne repose plus sur le droit : elle dépend désormais du bon vouloir des diffuseurs.
En outre, les marchands de journaux disposent de très peu d’espace. Les rayons sont saturés, les couvertures se chevauchent, et la majorité des vendeurs privilégie les titres bénéficiant d’une mise en rayon obligatoire. Sans cette obligation, nombre d’entre eux, parfois pour des raisons idéologiques, cesseront simplement de nous distribuer.
Ce ne sera pas un boycott officiel, mais une lente évaporation, silencieuse. Une mise à mort économique. Aujourd’hui, la diffusion du dernier numéro reste stable. Mais dans trois mois, en janvier, l’effet médiatique retombera. En avril, la distribution aura encore reculé. Et peu à peu, La Furia disparaîtra des kiosques, non par interdiction, mais par étouffement administratif.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’état de la liberté d’expression en France, à la lumière de cette expérience ?
Sur le papier, la liberté d’expression existe, garantie par la loi, inscrite dans la Constitution. Mais dans la réalité, c’est une tout autre histoire.
On observe une stratégie de pression systématique. Certaines associations militantes ne se contentent pas d’attaquer le contenu, elles s’en prennent à toute la chaîne de diffusion, de l’imprimeur jusqu’au distributeur. Appels, menaces voilées, campagnes de dénigrement : tout est bon pour dissuader de travailler avec nous. Le message est limpide : « Si vous collaborez avec eux, vous serez ciblés. »
Et quand des distributeurs finissent par céder, la mécanique est implacable : moins de distribution, c’est moins de lecteurs ; moins de lecteurs, c’est moins de revenus ; moins de revenus, c’est la disparition. On ne censure plus en interdisant, on censure en asphyxiant.
Face à ce mur, il ne reste souvent que les réseaux sociaux. Mais là encore, la liberté est conditionnelle. Des pages sont suspendues ou supprimées sans explication, parfois du jour au lendemain : ce fut récemment le cas pour Dora Moutot et le collectif Nemesis, dont les comptes Instagram ont été brutalement suspendus.
Marguerite Stern et Dora Moutot ont aussi vu leur association confrontée à des refus bancaires. Or, sans compte bancaire, une structure associative ne peut tout simplement plus exister. C’est de la censure financière.
Et désormais, cette logique atteint un nouveau palier avec la décision de l’administration de censurer La Furia. Alors oui, la liberté d’expression existe encore… mais seulement sur le papier. Dans les faits, la défendre est devenu un combat permanent.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.