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plus-iconUne question cruciale pour nous, Européens

Huawei, Pékin et l’« Ode au drapeau rouge » : l’empreinte du pouvoir chinois au Théâtre royal

Le Teatro Real a noué une alliance stratégique avec la Chine. Il comprend un échange audiovisuel avec le Centre national des arts du spectacle de Pékin – dirigé par Wang Ning, une personnalité de l'appareil consultatif du PCC – et le parrainage technologique de Huawei pour son passage au numérique.

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Théâtre royal de Madrid (Teatro Real). Photo : Shutterstock.

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Durée de lecture: 16 Min.

Ce partenariat a porté ses fruits lorsque, sur sa plateforme My Opera Player, le théâtre a diffusé un concert depuis Pékin, s’ouvrant sur l’emblématique « Ode au drapeau rouge » et se poursuivant avec un répertoire associé à la révolution maoïste et à la consolidation du régime du PCC en 1949. Une progression manifeste du soft power chinois auprès du public espagnol, catalysée par Huawei qui ouvre un débat sur la diplomatie culturelle et ses limites symboliques.
En 2021, lors de la diffusion du Concert du Nouvel An chinois sur sa plateforme My Opera Player, le Teatro Real a présenté deux œuvres chinoises, soulignant qu’aux côtés de l’« Ode au drapeau rouge » de Lyu Quiming et du Caprice du lac Honghu pour erhu et orchestre, les spectateurs pouvaient entendre des airs célèbres d’opéra occidental. Cette chaîne, diffusée du 11 au 12 février 2021 en partenariat avec Huawei, était destinée au public espagnol et proposait un mélange de musique officielle du Parti communiste chinois et d’œuvres d’art classique européen.
L’Ode au Drapeau Rouge ne fait pas partie de la culture traditionnelle chinoise. Il s’agit d’une ouverture symphonique du compositeur Lü Qiming, datant des années 1960-1970, emblématique de la célébration de la ferveur révolutionnaire.
Selon les médias d’État, le texte que la Chine diffuse habituellement à propos de cette Ode est le suivant : « Elle commémore avec joie le 1er octobre 1949, date à laquelle le premier drapeau rouge à cinq étoiles a été hissé sur la place Tiananmen, et “le peuple chinois s’est soulevé depuis lors”.»
« La musique débute par l’introduction de l’hymne national, joué à la trompette, puis repris par le cor, tandis que les instruments à cordes interprètent le thème.»
« Puis le thème réapparaît en ré majeur, comme si mille mots se métamorphosaient en une mélodie sublime, chantée en direction du drapeau rouge. L’ode se mue ensuite en une marche majestueuse, symbolisant le rythme d’un pas ferme du peuple chinois sous la conduite du drapeau rouge.»
Le Caprice du lac Honghu s’inspire lui-même de mélodies populaires de l’opéra révolutionnaire des Gardes rouges du lac Honghu, l’un des opéras les plus célèbres de la Chine maoïste, créé en 1958 et adapté plus tard au cinéma.
Cet opéra célèbre les guérilleros communistes de l’Armée rouge combattant dans la province du Hubei, contribuant ainsi à la prise du pouvoir.
Les Neuf Commentaires sur le Parti communiste estiment qu’entre 60 et 80 millions de personnes sont mortes sous la révolution du Parti communiste chinois, un chiffre qui ne cesse d’augmenter.
L’Encyclopædia Britannica, quant à elle, avance le chiffre d’au moins 45 millions de morts.
Les orchestres symphoniques chinois célèbrent fréquemment la révolution maoïste et la naissance du Parti communiste. Le China Daily a rendu compte de la nouvelle œuvre du jeune compositeur chinois Wang Danhong, intitulée « La Lumière de l’esprit », créée au Centre national des arts du spectacle de Pékin le 4 mai 2021. Cette œuvre s’inspire du chant patriotique chinois « Sans le Parti communiste, il n’y aurait pas de Chine nouvelle », écrit par Cao Huoxing (1924-1999).
Depuis l’instauration du régime en 1949, selon des artistes chinois ayant fui les persécutions communistes, Pékin perçoit la culture traditionnelle comme une menace pour son pouvoir. C’est ce qu’affirme Shen Yun Performing Arts, une compagnie chinoise basée à New York et reconnue internationalement pour avoir remis à l’honneur la culture classique chinoise et ses valeurs humanistes universelles sur les plus grandes scènes, une culture violemment réprimée par le régime.
« Il existe d’innombrables spectacles en Chine qui peuvent sembler traditionnels, mais après des décennies de campagnes politiques visant à éradiquer ce patrimoine culturel, ces spectacles sont dépourvus d’essence intérieure », ajoute Shen Yun.
Dans ce contexte, l’annulation, en janvier de l’année suivante, du spectacle de Shen Yun — pour lequel près d’un millier de billets avaient déjà été vendus et qui devait durer un mois — a offert un nouveau souffle au pouvoir d’influence chinois. Cette décision a été vivement critiquée devant le Parlement européen.
« Avec cet exemple de Shen Yun, nous abordons une question cruciale, non seulement pour la situation en Chine, mais aussi pour nous, Européens. Il s’agit de notre avenir », a déclaré Henri Malosse, ancien président du Comité économique et social européen, organe consultatif de l’UE, lors d’une conférence.
« Si nous cédons à la pression d’une puissance étrangère pour autoriser ou interdire un spectacle, selon sa volonté et ses goûts, nous serons tous perdants », a alerté Tunne Kelam, député européen estonien.
En septembre, le Teatro Real a inauguré sa saison artistique dans un contexte de protestations suite à l’annulation de Shen Yun et aux allégations d’ingérence de Pékin.

Accords entre le Teatro Real et Pékin

  • Décembre 2016 – Adhésion du Teatro Real à l’Initiative de la Route de la Soie
Le rapprochement entre le Théâtre royal et le régime chinois a commencé en décembre 2016, lorsqu’il a rejoint la Ligue internationale des théâtres de la Route de la soie (Silk Road International League of Theatres), une plateforme créée par Pékin pour promouvoir les échanges artistiques entre les théâtres de Chine et ceux de 56 pays membres, dont la France, la Russie et les États-Unis.
  • Mai 2017 – Cycle de retransmissions à Pékin
Entre juin et octobre 2017, le Théâtre royal a organisé à l’Institut Cervantes de Pékin une série de retransmissions de neuf productions enregistrées à Madrid, dans le cadre de la Route de la soie. En outre, le Théâtre a renforcé sa présence sur le réseau social chinois WeChat et a commencé à proposer des visites guidées en mandarin.
  • Mai 2018 – Arrivée de Wang Ning au Centre national des arts du spectacle de Pékin et nouvel élan
Le 2 mai 2018, Wang Ning a été nommé président du Centre national des arts du spectacle (NCPA) de Pékin et secrétaire du Comité du Parti communiste chinois (PCC). Son parcours politique l’avait conduit à la Ligue de la jeunesse communiste et au poste de secrétaire du PCC dans les districts de Xuanwu (2008) et Xicheng (2010), avant d’occuper un poste au Comité permanent du PCC de Pékin et à la Commission du travail de l’éducation.
  • Mai 2018 – Accord entre le NCPA et le Théâtre royal
Le 16 mai 2018, le Théâtre royal et le Centre national des arts du spectacle de Pékin (NCPA) ont signé un accord d’échange de contenus. Le Théâtre royal a annoncé que dans le cadre de cet échange, des productions du NCPA seraient projetées, « y compris des opéras traditionnels chinois ».
Les pièces chinoises mentionnées publiquement par le Théâtre appartiennent au répertoire contemporain associé à la période révolutionnaire maoïste, programmées dans le cadre des échanges culturels avec le colisée de Pékin.
De son côté, le NCPA présenterait en Chine des titres du Real. Parallèlement, le Théâtre Royal a renforcé sa présence sur le réseau social WeChat et a multiplié les visites guidées et les audioguides en mandarin.
  • Avril 2019 – Alliance numérique entre le Théâtre royal et le NCPA
Le 1er avril 2019, les deux institutions ont signé à Madrid un accord visant à échanger des contenus audiovisuels via le Palco Digital del Real, aujourd’hui appelé My Opera Player. Cette plateforme permet au public chinois d’accéder à des opéras et des concerts espagnols, et au public espagnol de visionner les productions du NCPA.
  • Juin-juillet 2019 – Parrainage technologique avec Huawei
Le 27 juin 2019, le Théâtre royal et Huawei Espagne ont signé un accord de parrainage et de collaboration technologique. Huawei a rejoint le Conseil des protecteurs du Théâtre et s’est engagé à soutenir sa transformation numérique, avec des projets basés sur la 5G, la réalité virtuelle, la réalité augmentée et le concept de « Smart Theater ».
Le Conseil des protecteurs fait partie de la structure du Conseil d’administration du Théâtre royal, l’organe suprême de gouvernance de l’institution, au sein duquel sont représentés le gouvernement espagnol, la Communauté de Madrid, la mairie de Madrid et diverses entités privées.
  • Septembre 2020 – Fondation du Forum des arts du spectacle de Pékin
Le 9 septembre 2020, le NCPA a lancé la création du Forum des arts du spectacle de Pékin (BFPA), un réseau international qui regroupe 24 théâtres et festivals du monde entier, dont le Théâtre royal, le Royal Opera House, l’Opéra d’Australie et le Staatsoper Unter den Linden. Le Théâtre royal a également rejoint son conseil d’administration.
  • Février 2021 – Wang Ning rejoint le Front uni
En février 2021, Wang Ning a été élu vice-président de la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPCh) de Pékin et vice-secrétaire du groupe dirigeant du PCC, consolidant ainsi sa position au sein du système du Front uni qui conseille le Parti.
  • Mai 2021 – Concert du Nouvel An chinois au Théâtre royal
Le 10 mai 2021, le Théâtre royal a retransmis en direct sur sa plateforme My Opera Player le concert du Nouvel An chinois qui s’est tenu le 13 décembre 2020 au NCPA. Sous la direction de Lü Jia, l’orchestre a interprété des morceaux populaires de la Chine communiste de Mao, ainsi que des œuvres classiques occidentales, notamment l’« Ode au drapeau rouge » de Lü Qiming et « Caprice du lac Honghu » pour erhu et orchestre.

Avancée chinoise en Espagne et sanctions dans les pays alliés

L’expansion mondiale du Centre national des arts du spectacle de Chine et de Huawei s’inscrit dans le cadre de la politique industrielle chinoise, qui oblige toutes les grandes entreprises à maintenir des cellules internes du Parti communiste chinois (PCC) et à agir conformément aux directives de l’État.
L’article 7 de la loi sur le renseignement national de 2017 stipule que « toutes les organisations et tous les citoyens doivent soutenir, aider et coopérer avec le travail de renseignement de l’État », ce qui a alimenté les soupçons de subordination étatique dans les entreprises technologiques.
En fait, ce lien juridique et structurel a déclenché une vague de sanctions et de veto internationaux.
Aux États-Unis, le ministère du Commerce a inscrit Huawei et des dizaines de ses filiales sur la liste des entités (16 mai 2019), imposant une licence obligatoire pour toute exportation de technologie américaine, mesure qui a été étendue en août 2020 par la Foreign Direct Product Rule, qui a étendu les restrictions aux puces et aux logiciels conçus avec la propriété intellectuelle américaine.

Menace pour la sécurité nationale aux USA et en Europe

La Commission fédérale des communications (FCC) a classé Huawei comme « menace pour la sécurité nationale » en juin 2020 et, en novembre 2022, a interdit toute nouvelle autorisation d’équipement en vertu de la loi sur les équipements sécurisés (Secure Equipment Act), bloquant ainsi la vente d’appareils de télécommunication sur le marché américain.
Parallèlement, le ministère américain de la Justice a ouvert une procédure pénale pour violation des sanctions et fraude financière. La directrice financière de Huawei, Meng Wanzhou, a conclu un accord de poursuite différée en septembre 2021 et a été libérée au Canada, mais la procédure judiciaire à l’encontre de l’entreprise se poursuit et le procès est prévu pour 2026.
En 2023, l’Union européenne, la Commission européenne et le Parlement européen ont approuvé la restriction ou l’exclusion des fournisseurs à haut risque, dont Huawei et ZTE, dans le cadre d’un dispositif coordonné appelé « 5G Toolbox » (Boîte à outils 5G), appliqué par les États membres en fonction de leurs évaluations nationales. Cette décision a été précédée par des résolutions en 2019 et 2020.
La Commission européenne a déclaré le 22 juillet que les pays de l’Union européenne doivent « restreindre ou exclure Huawei de leurs réseaux 5G » car l’entreprise chinoise « représente un risque beaucoup plus important » que d’autres fournisseurs. Ces déclarations ont été faites en réponse à la préoccupation croissante suscitée par le fait que l’Espagne utilise les produits de l’entreprise chinoise dans ses réseaux et ses centres d’information de haute sécurité.
« L’absence de mesures rapides expose l’Union européenne dans son ensemble à un risque évident », a déclaré Thomas Regnier, porte-parole de la Commission européenne pour la souveraineté technologique, interrogé par l’agence EFE sur l’accord signé par l’Espagne avec Huawei pour la fourniture de services d’interception téléphonique.
Bruxelles « exhorte les États membres à mettre en œuvre » ces recommandations, a-t-il ajouté.
 
Journaliste et rédactrice. Elle a étudié trois ans et demi en médecine à l'Université du Chili, en plus de faire de la musique au conservatoire Rosita Renard et au piano à la Suzuki Method School. Après avoir participé à un cours d'écriture créative en Italie, elle a étudié et pratiqué le journalisme à Epoch Times.

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