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Opinion

Et si nourrir le monde passait par des milliers de petites exploitations?

En tant que défenseur d’une agriculture non industrielle, je me heurte sans cesse aux mêmes objections : comment des exploitations de petite taille pourraient-elles nourrir la planète ? À tort, la culture moderne voue un véritable culte au mythe du “toujours plus grand”.

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Joel Salatin déplace son troupeau d’un pâturage à un autre, en 2024. Jeff Louderback/Epoch Times.

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Durée de lecture: 7 Min.

La première question que posent les investisseurs à un entrepreneur qui se lance est toujours la même : « Quelles sont les potentiels de croissance? » Le succès se mesure à l’aune de la taille : plus c’est gros, mieux c’est.

Dans l’agriculture, cette course vers toujours plus a conduit à la création de monopoles. Cette obsession qui consiste à absorber les concurrents a créé une centralisation, une concentration et un nivellement sans précédent.

Au printemps 2020, quand la crise du Covid-19 a vidé les rayons des supermarchés, est-il raisonnable de penser que nous aurions été plus vulnérables si nous avions eu des milliers de petites structures de transformation plutôt que ces quelques usines géantes? Incapables d’obtenir un créneau de transformation, des millions d’animaux ont été abattus dans les exploitations puis laissés sur place. Les légumes ont pourri dans les champs et les méga-usines tournaient à moitié vide.

Apparemment cela s’appelle “l’efficacité”, mais c’est en réalité tout l’inverse. Copropriétaire d’un petit atelier multi-espèces, je peux vous assurer que nous avons continué à tourner normalement pendant cette période chaotique. Avec moins de trente employés, nous pouvions nous espacer, adapter le flux de travail, et surveiller les symptômes des uns et des autres comme une famille.

Sur mon exploitation, je vois chaque jour que la nature n’envisage pas la croissance par la démesure, mais par des équilibres adaptés, à rebours de la logique moderne axée sur la taille, en particulier dans l’agriculture et les systèmes alimentaires. Un exemple : dans les années 1930, la plupart des élevages de poules pondeuses comptaient moins de mille têtes. L’arrivée des antibiotiques et des additifs synthétiques a ouvert la voie aux bâtiments d’élevage confinés.

Si un poulailler pouvait fonctionner avec 5000 bêtes, on passait à 10.000. Puis 20.000. Aujourd’hui, avoir 100.000 poules n’a plus rien d’exceptionnel et, sans surprise, nous nous retrouvons avec des maladies dont on n’entendait pas parler lorsque les cheptels étaient plus petits. Dans son ouvrage Paradigmes (1992), Joel Arthur Barker rappelait qu’un paradigme finit toujours par dépasser son propre seuil d’efficacité.

Autrement dit, ce qui est trop gros n’est au final pas viable. La nature nous le montre constamment : si elle veut plus de vaches, elle ne crée pas une vache géante. Elle fait des veaux. Si elle veut plus de tomates, elle ne fait pas une plante colossale : elle multiplie les plants. La nature augmente la production par duplication, pas par consolidation.

Dans le monde naturel, où l’intervention humaine est moindre, cette logique saute aux yeux. Les millions des femelles gnous du Serengeti présentent toutes à peu près le même gabarit : une bête trop grande ne survivrait pas à la saison sèche, une trop petite ne pourrait pas protéger son veau des prédateurs. La nature élimine les extrêmes pour maintenir la survie.

Une souris est de la taille d’une souris parce que, si elle avait la taille d’un éléphant, elle ne serait plus une souris efficace. Et un éléphant ne saurait être réduit à la taille d’une souris sans perdre ce qui fait de lui un éléphant. Imaginer que tout fonctionnera mieux à condition d’être “plus grand” est une idée qui est contre nature.

La pensée industrielle raisonne toujours en termes de croissance et d’augmentation de la taille : des usines toujours plus grandes, des machines toujours plus grosses, des centres de données toujours plus gigantesques. Mais la nature finit toujours par poser les limites.

Un État industriel hypertrophié, qui produit des montagnes de règlements, rend les débuts de toute entreprise extrêmement coûteux. Beaucoup d’idées ne peuvent plus naître face à la bureaucratie, à ses licences et à ses normes parfois arbitraires. Résultat : ce sont des méga-usines qui nourrissent le pays, et non des structures locales. Et cela crée un système alimentaire instable qui se brise dès qu’un “cygne noir” — comme le Covid — surgit.

Le véritable indicateur de santé agricole devrait être le nombre d’exploitation, et le nombre de petites entreprises alimentaires, pas la taille moyenne des exploitations.

Les aberrations de la nature ne vivent jamais longtemps. Notre époque moderne a accompli des prouesses, mais avons-nous interrogé leur résilience ? Nous avons commencé à doper les animaux aux antibiotiques pour les entasser dans des bâtiments colossaux — et créé des pathogènes résistants comme le C. difficile ou le MRSA. Nous avons inventé des huiles alimentaires artificielles — puis découvert les ravages des graisses hydrogénées.

Où nous mèneront les centres de données d’intelligence artificielle ? Les substituts de viande de culture cellulaire ? La nature pardonne beaucoup, mais pas indéfiniment. Il a fallu trente ans pour faire le lien entre l’insecticide DDT avec la stérilité des grenouilles, les salamandres qui naissaient avec des difformités, avec les œufs d’aigles qui n’éclosaient plus. Peut-on vraiment imaginer que nous allons continuer d’injecter des vaccins mRNA, et créer des modifications génétiques, entre autres promesses industrielles, sans que “la nature se rebiffe” ?

Je n’ai aucune honte à avoir une petite exploitation. Aucun élevage concentrationnaire ici. Je n’essaie pas d’écraser la concurrence, ni de bâtir un empire. Il est temps d’abandonner l’idée selon laquelle nourrir la population exige des géants industriels en petits nombres. Nous serions mieux lotis en multipliant les petites exploitations, les potagers, ou les poulaillers familiaux.

La liberté de faire naître des projets est le véritable incubateur d’innovation et de stabilité.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.