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plus-iconLes racines antiques de l’Amérique

Comment Rome a façonné l’esprit de la République américaine

Des devises latines du Grand Sceau aux colonnes néoclassiques du Capitole, des lectures de Cicéron aux idéaux stoïciens de Thomas Jefferson et George Washington, la Rome antique irrigue encore la pensée et l’esthétique des États-Unis. Deux millénaires après la chute de l’Empire, son héritage demeure au cœur de la république américaine.

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La « Galerie de vues de la Rome antique », peinte par Giovanni Paolo Panini en 1758, illustre la vénération que la génération des Pères fondateurs portait à Rome.

Photo: Domaine public

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Durée de lecture: 12 Min.

Sortez un billet d’un dollar américain de votre portefeuille et regardez son revers : vous y verrez deux cercles représentant le Grand Sceau des États-Unis. On y lit « Annuit Coeptis » (« Il favorise nos entreprises »), « Novus Ordo Seclorum » (« Un nouvel ordre des âges »), et « E Pluribus Unum » (« De plusieurs, un seul »). À la base de la pyramide figurent les chiffres romains MDCCLXXVI, soit 1776.
L’aigle qui serre dans ses serres un rameau d’olivier de treize feuilles et un faisceau de treize flèches renvoie à l’aquila, l’étendard que portaient les légions romaines au combat. Dans une lettre adressée en 1784 à sa fille Sarah, deux ans après l’adoption du Grand Sceau par le Congrès continental, Benjamin Franklin déplorait ce choix de l’aigle comme symbole de la puissance américaine. Il le jugeait « nullement digne d’être l’emblème des braves et honnêtes Cincinnatiens d’Amérique », en référence à Cincinnatus, héros romain devenu symbole de patriotisme et d’abnégation.
D’où vient donc cette fascination pour une langue, une époque et un empire enfouis depuis des siècles dans les annales de l’histoire ?

Aux origines, la salle de classe

Sous l’impulsion de figures comme Benjamin Franklin, Thomas Jefferson et John Adams, et grâce aux conseils de William Barton, spécialiste en héraldique, Charles Thomson a conçu le Grand Sceau adopté en 1782. Secrétaire du Congrès continental, Charles Thomson était avant tout un érudit des lettres grecques et latines. C’est à lui que l’on doit les devises latines du Sceau.
Si les historiens reconnaissent à juste titre l’influence des philosophes des Lumières, tels John Locke, sur les Pères fondateurs, ils attribuent tout autant d’importance aux auteurs anciens : Salluste, Plutarque, Tite-Live et d’autres encore. Au XVIIIe siècle, et longtemps après, toute éducation digne de ce nom passait par l’étude des classiques latins et souvent grecs. Sur les six premiers présidents américains, cinq — John Adams, Thomas Jefferson, James Madison, James Monroe et John Quincy Adams — avaient reçu cette formation. Seul George Washington en fut privé, un manque qu’il a regretté toute sa vie.
Cette imprégnation explique la profonde empreinte de Rome sur le droit et le gouvernement américains. Les Pères fondateurs, nourris de la République romaine, ont conçu les États-Unis comme une république constitutionnelle, et non comme une démocratie directe, système que les Romains redoutaient comme une dérive vers la démagogie. Des principes tels que la séparation des pouvoirs remontent à Rome, et le Sénat américain emprunte directement son nom à l’institution romaine. Le droit américain lui-même conserve des traces du latin à travers des expressions comme habeas corpus ou pro bono.
Au-delà du droit et des institutions, la culture américaine s’est également parée d’ornements romains.

Les grands escaliers, les colonnes de marbre et les plafonds voûtés de la Bibliothèque du Congrès rappellent la splendeur des édifices publics de la Rome antique. (samfotograf/Shutterstock)

Andrea Palladio en Amérique

Fasciné par les ruines de l’Antiquité, l’architecte Andrea Palladio (1508–1580) a ressuscité les formes classiques pendant la Renaissance, influençant durablement l’architecture occidentale. Parmi ses admirateurs figurait Thomas Jefferson, qui qualifiait les ouvrages de Palladio de sa « bible architecturale ». Durant sa mission en France, entre 1784 et 1789, Thomas Jefferson avait visité plusieurs sites qui avaient inspiré le maître italien. De retour en Amérique, il mit en œuvre ces enseignements : le Capitole des États-Unis, le Capitole de Virginie, Monticello et la Rotonde de l’Université de Virginie en portent la marque, puisant leur splendeur et leur beauté dans les modèles romains.

Thomas Jefferson avait étudié les œuvres des architectes romains et intégré certains de leurs principes à son domaine de Monticello. (Anthony George Visuals/Shutterstock)

Ce courant, le néoclassicisme, qui mariait influences grecques et romaines, s’est poursuivi jusqu’au XXe siècle. Inaugurée en 1910 et démolie en 1963, la gare new-yorkaise de Penn Station s’inspirait des thermes de Caracalla. De nombreux palais de justice et bâtiments publics américains reflètent les idéaux et la grandeur de la République romaine. Des sculptures comme la Statue de la Liberté ou le Washington en Cincinnatus de Jean-Antoine Houdon relient le spectateur à l’histoire américaine par le prisme de Rome.

Photographie de Penn Station, 1910. (Edwin Levick/Getty Images)

Entre inspiration et imitation

Bien qu’il n’eût pas la formation classique de ses pairs, George Washington connaissait ses héros antiques. L’histoire de Cincinnatus, un général et homme politique romain retourné à sa ferme une fois la guerre gagnée, trouvait chez lui un écho évident. Une pièce de théâtre, Cato de Joseph Addison, a incarné pour George Washington l’idéal républicain au point qu’il la fit jouer devant ses troupes à Valley Forge. Il en connaissait de nombreux passages par cœur et les citait volontiers.

Cincinnatus derrière la charrue, par Anton Hoffmann, 1920. (Domaine public)

Dans son essai The Pursuit of Happiness: How Classical Writers on Virtue Inspired the Lives of the Founders and Defined America (La quête du bonheur : comment les auteurs classiques de la vertu ont inspiré la vie des fondateurs et défini l’Amérique), Jeffrey Rosen soutient que les écrivains de l’Antiquité ont façonné non seulement la pensée des Pères fondateurs, mais aussi celle du peuple américain, par un effet d’imitation. Les patriotes du XVIIIe siècle, nourris des vertus décrites par les philosophes et hommes d’État romains, ont cherché à les incarner.
Jeffrey Rosen rappelle ainsi qu’Alexander Hamilton, durant la Révolution, prenait des notes sur les Vies parallèles de Plutarque. Cet effort prolongeait son éducation classique au King’s College — aujourd’hui Columbia University —, où il étudiait Virgile, Ovide, Cicéron, Horace, mais aussi Locke, Hobbes et Hume.
Des devises du Grand Sceau aux colonnes du Capitole, des maximes latines aux idéaux civiques, Rome demeure, deux millénaires plus tard, l’une des pierres angulaires du modèle républicain américain.

L’étude des textes latins et grecs par les Pères fondateurs a façonné leur conception de la liberté, du droit et des responsabilités civiques. (Domaine public)

Maîtriser les passions

Pour les hommes et les femmes de la Révolution américaine, la maîtrise des passions — que nous appellerions aujourd’hui les humeurs — revêtait une importance capitale. Ainsi, au cours d’une querelle prolongée entre son père et sa mère, le jeune John Adams, alors âgé de vingt-trois ans, se tournait sans cesse vers Cicéron, dont il recherchait à la fois l’effet apaisant et les conseils avisés sur la nécessité de dominer les émotions par la raison.
Pour cette génération, le bonheur signifiait, comme l’écrit Jeffrey Rosen, « la poursuite de la vertu — être bon, plutôt que se sentir bien ».

Une fermeté stoïcienne

Jeffrey Rosen rapporte qu’un ami demanda un jour à Thomas Jefferson une liste de livres à lire. Sur les dix ouvrages qu’il recommanda, trois — voire quatre, si l’on inclut Cicéron — étaient signés d’auteurs stoïciens. Les Pères fondateurs, formés à la culture classique, avaient lu et médité les écrits de Marc Aurèle, Épictète et Sénèque. Beaucoup d’entre eux ont cherché, chacun à sa manière, à s’inspirer de leur conduite et de leurs enseignements.
Ce stoïcisme, dans une certaine mesure, relevait d’une philosophie de la nécessité dans l’Amérique du XVIIIe siècle. La vie sur la frontière exigeait une endurance d’esprit que les pionniers résumaient volontiers par une formule imagée : « Root, hog, or die » — lutte, ou meurs.
Aujourd’hui, la philosophie stoïcienne connaît un regain d’intérêt. Des figures comme Ryan Holiday, auteur du Daily Stoic, ou Stephanie Poppins, créatrice de The Female Stoic, rassemblent de larges audiences en quête d’une vie guidée par la vertu et la maîtrise de soi.

Des éléments de la rotonde du Capitole des États-Unis, comme le grand dôme central et la verrière inspirée d’un oculus, ont été conçus pour rappeler le Panthéon de Rome. (Rolf_52/Shutterstock)

Une note plus légère

Pour clore ce banquet d’influences romaines sur une touche plus légère — nos dulcia domestica, comme disaient les Anciens —, d’autres filiations apparaissent. L’usage de donner trois prénoms à un enfant remonte à Rome. Nous avons cessé depuis longtemps de lever ou baisser le pouce pour juger un gladiateur, mais nous assistons toujours à des compétitions sportives dans des colisées modernes. Il y a deux ans, lorsque des femmes ont publié sur les réseaux sociaux des vidéos montrant à quelle fréquence les hommes de leur entourage pensaient à l’Empire romain, celles-ci ont été visionnées des centaines de millions de fois.
Les mariages contemporains sont également empreints d’héritages romains. L’expression « prendre la main de quelqu’un » vient du Tibre. Les Romains exigeaient la présence de témoins, comme nous le faisons encore. La cérémonie comportait une matrone d’honneur, généralement une femme mariée de la famille. Ils rompaient le pain ; nous coupons le gâteau. Et lorsque le marié porte sa femme à travers le seuil, il perpétue une coutume romaine.
En 1723, Christopher Wren a été inhumé dans la cathédrale Saint-Paul de Londres, chef-d’œuvre qu’il avait lui-même conçue. Sur une plaque, son fils a fait graver ces mots : Lector, si monumentum requiris, circumspice.
La même phrase pourrait s’appliquer à l’influence de la Rome antique sur l’Amérique et son histoire : « Lecteur, si tu cherches un monument, regarde autour de toi. »
Jeff Minick, auteur, a quatre enfants et un nombre croissant de petits-enfants. Pendant 20 ans, il a enseigné l’histoire, la littérature et le latin en cours à domicile à Asheville, en Caroline du Nord. Aujourd’hui, il vit et écrit à Front Royal, en Virginie, aux États-Unis.

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