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plus-iconSanté mentale – Quand le cerveau révèle les mécanismes cachés de nos pensées

Comment nos pensées alimentent la « boucle du désastre » - et comment en sortir selon la science

Grace Ogren ne s’est pas rendu compte qu’elle était déprimée avant de commencer à penser au suicide. « C’est juste venu petit à petit, et il est devenu vraiment difficile de voir à quel point j’étais descendue », a-t-elle confié à Epoch Times dans une interview.

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Photo: Hazal Ak/Shutterstock

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Durée de lecture: 18 Min.

Cette superposition de pensées n’a rien d’inhabituel : c’est un état mental par défaut appelé auto-focalisation. Définie comme une tendance à prêter attention à ses propres pensées, sentiments et projets, l’auto-focalisation peut nuire à notre santé mentale si nous nous attardons sur des pensées, des expériences et des émotions négatives.
Une nouvelle étude suggère que les scientifiques pourraient se rapprocher de la détection précoce de ces signes avant-coureurs. Des chercheurs ont identifié un schéma cérébral unique, qu’ils appellent le « pré-schéma de soi », qui apparaît juste avant que le cerveau ne bascule dans un mode actif d’auto-focalisation. Les auteurs de l’étude émettent l’hypothèse que détecter et reconnaître ce schéma pourrait permettre de prévoir une tendance à des schémas de pensée négatifs et d’aider les professionnels de santé mentale à mieux accompagner les millions de personnes souffrant de troubles tels que la dépression ou l’anxiété.
Comme la pensée auto-centrée repose sur une combinaison complexe de facteurs neurologiques, génétiques et environnementaux, prévoir les risques de santé mentale à partir de l’activité cérébrale seule reste difficile. Une approche plus efficace consisterait à examiner nos propres modes de pensée et à prendre des mesures proactives pour reformuler notre vision du monde.

Toutes les pensées internes ne se valent pas

Avant d’examiner les schémas cérébraux, il est important de distinguer les différents types de processus mentaux internes.
La réflexion sur soi ou introspection — l’examen délibéré de son caractère, de ses actions et de ses motivations — est un processus réfléchi qui favorise la croissance émotionnelle et spirituelle.
L’auto-focalisation, en revanche, est une tendance plus automatique à prêter attention à ses propres pensées, sentiments et projets. Elle peut être neutre, voire positive, mais devient problématique lorsqu’elle se transforme en rumination.
L’auto-focalisation inadaptée, ou rumination, consiste à se concentrer de façon répétée sur des pensées négatives, des erreurs passées et des échecs perçus. C’est à ce stade que les risques pour la santé mentale apparaissent.
La distinction est essentielle : une réflexion sur soi saine nous renforce, tandis qu’une auto-focalisation inadaptée peut nous enfermer dans des cycles de dépression et d’anxiété.

Cartographier le cerveau : un domaine de recherche émergent

Les chercheuses Meghan L. Meyer et Danika Geisler, du département de psychologie de l’université Columbia, ont mené l’étude pour identifier les schémas cérébraux spécifiques liés à la pensée auto-centrée. Au cours de leurs travaux, elles ont découvert sur un scanner cérébral le « pré-schéma de soi ». Elles ont utilisé l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), une technologie qui détecte l’activité dans différentes zones du cerveau, pour observer ce qui se passait durant les moments de repos des 32 participants, lorsqu’ils n’étaient concentrés sur aucune tâche précise.
Elles ont découvert un schéma distinct qui apparaissait quelques secondes avant que le cerveau ne passe en mode d’auto-focalisation complète : le « pré-schéma de soi ». En comparant ces résultats avec les données publiques du Human Connectome Project — une série d’études sur les connexions du cerveau humain — elles ont constaté que les cerveaux des personnes qui ont tendance à réprimer ou dissimuler leurs émotions passent également dans ce pré-schéma de soi lorsqu’ils sont au repos.
Comme l’intériorisation — une forme inadaptée d’auto-focalisation — est associée à des cycles de pensées négatives, les auteurs ont émis l’hypothèse que le pré-schéma de soi pourrait servir à prédire si la pensée auto-centrée conduira à la dépression ou à l’anxiété.
Cependant, cette découverte reste préliminaire. Tandis que les scientifiques s’efforcent de cartographier ces schémas cérébraux, les professionnels de santé mentale disposent déjà de méthodes éprouvées pour repérer les pensées nuisibles et les traiter efficacement, notamment la thérapie cognitivo-comportementale, qui a largement démontré son efficacité pour aider les patients à rompre les cycles de pensées négatives.

Auto-focalisation : le bon et le mauvais côté

Selon les experts, les effets sur la santé mentale dépendent du type de pensée auto-centrée.
« La pensée auto-centrée peut être un outil utile de croissance émotionnelle », explique dans un courriel adressé à Epoch Times Jan Miller, psychologue. Appelée auto-focalisation adaptative, cette forme consiste à évaluer nos comportements, notre environnement et nos expériences afin d’apprendre à mieux réagir avec le temps.
L’auto-focalisation négative, ou inadaptée, peut en revanche être nocive. « L’auto-focalisation inadaptée comprend la rumination sur des erreurs réelles ou perçues, l’autocritique, la personnalisation — le fait d’attribuer des conséquences négatives à soi-même sans lien réel — et la dramatisation, l’idée que “tout va mal tourner” », précise-t-elle.
Plutôt que de nous aider à résoudre nos problèmes, cette forme d’auto-focalisation nous enferme dans un cycle de négativité que la neuropsychologue Amy Serin, spécialiste du stress et directrice de neuropsychologie, qualifie de « boucle du désastre ». « Quand on entre dans la rumination, l’inquiétude et le discours intérieur négatif, cela renforce les connexions dans le cerveau, ce qui peut empirer la situation au fil du temps », a-t-elle expliqué à Epoch Times.
Pour Grace Ogren, cet état mental négatif par défaut était tristement familier. Elle avait 13 ans lorsqu’elle a commencé à remarquer un changement dans sa façon de percevoir le monde après un déménagement familial. « Mes frères et sœurs vivaient la même chose, mais ma manière d’y faire face était très différente », se souvient-elle. Pour elle, les pensées dépressives semblaient « normales ».
« Je me disais : “Ça ne s’arrangera pas.” Cette pensée venait, puis j’essayais d’en trouver la preuve », raconte-t-elle. « Et cela m’entraînait vers des endroits plus sombres et alimentait le cycle. »

Ce qui se passe dans le cerveau auto-centré

Les connexions liées à l’auto-focalisation concernent plusieurs zones du cerveau, notamment le cortex cingulaire antérieur (CCA) et le cortex cingulaire postérieur (CCP). Le CCA intervient dans les activités d’auto-centrage comme la prise de décision et le traitement émotionnel, tandis que le CCP est associé à la mémoire et aux pensées internes.
Le CCA nous aide à nous souvenir de nos expériences et à utiliser ce que nous apprenons pour prévoir les conséquences de nos actions, explique James Hyman, neuroscientifique et professeur associé au département de psychologie de l’université du Nevada à Las Vegas. Lorsque les résultats ne correspondent pas aux expériences passées, notre cerveau est censé utiliser ce retour d’information pour ajuster nos réponses futures.
Mais ce processus, appelé « traitement de l’erreur de prédiction », se dérègle dans la dépression : le cerveau réagit alors plus fortement aux événements désagréables. Au lieu de s’adapter, la personne dépressive en vient à croire que ses expériences seront toujours négatives.
C’est là qu’intervient une troisième zone cérébrale, le réseau en mode par défaut (DMN), qui pourrait jouer un rôle dans la dépression et l’anxiété.
Le DMN regroupe plusieurs régions interconnectées du cerveau qui s’activent automatiquement pendant les périodes de repos ou d’éveil calme. Lorsque nous ne sommes concentrés sur rien en particulier, le DMN s’active et dirige notre attention vers des pensées internes comme la rêverie, la remémoration, la projection dans l’avenir ou la réflexion sur nos émotions et nos relations sociales.
Certaines recherches montrent que l’activité du DMN est modifiée chez les personnes dépressives. Les connexions entre ses différentes zones semblent plus fortes que la normale, ce qui pourrait expliquer pourquoi ce réseau joue un rôle clé dans la rumination.
« La rumination engendre la rumination dans le cerveau », souligne James Hyman. Ainsi, lorsque le cerveau réagit de manière excessive aux expériences négatives, les pensées par défaut deviennent de plus en plus sombres. En s’habituant à ruminer, on risque de retomber dans une auto-focalisation inadaptée et de s’enliser dans une boucle du désastre.
Ces schémas coordonnés, appelés connectivité fonctionnelle, apparaissent sur les IRM sous forme de zones à flux sanguin accru, signe d’une activité simultanée dans plusieurs régions cérébrales. Les zones fréquemment actives ensemble tendent à renforcer leurs connexions.
Cependant, selon les connaissances actuelles, il reste difficile de déterminer pourquoi certaines personnes développent plus facilement ces schémas inadaptés que d’autres.

Les schémas cérébraux peuvent-ils prédire les troubles mentaux ?

L’étude de Columbia soulève une question : détecter le pré-schéma de soi pourrait-il aider à identifier les personnes à risque de dépression ou d’anxiété avant l’apparition des symptômes ?
« C’est presque un objectif impossible », estime James Hyman. Il ajoute que certaines recherches suggérant des similitudes entre les schémas cérébraux des parents et de leurs enfants pourraient indiquer des liens génétiques, mais « je n’ai encore rien vu de concluant qui permette de distinguer cela de l’influence de l’environnement ».
Janel Coleman, assistante sociale clinicienne et psychothérapeute, préfère évaluer les risques de ses patients à partir de facteurs extérieurs au cerveau, comme la qualité du soutien social provenant de la famille, des amis ou de la communauté.
« S’ils passent souvent du temps seuls, le risque d’entrer dans ces schémas de pensée inadaptés est plus élevé, car il n’y a personne pour dire : “Félicitations pour ceci” et vous remonter le moral », explique-t-elle.
Selon Amy Serin, même si prévoir les troubles mentaux reste difficile, il est possible d’évaluer les schémas de rumination existants pour anticiper l’évolution des pensées négatives et leurs effets à long terme en l’absence d’intervention.

Sortir de la pensée auto-centrée négative

Qu’on puisse ou non prédire la dépression par imagerie cérébrale, les experts s’accordent sur un point : reconnaître et interrompre les schémas de pensée négatifs est essentiel pour la santé mentale.
Katy Parker l’a compris après avoir été percutée accidentellement par la voiture d’une collègue. En un instant, elle est passée d’une vie active et voyageuse à une hospitalisation prolongée et une dépendance totale envers son mari. Elle a développé une forte anxiété et a été diagnostiquée d’un trouble de stress post-traumatique.
Incapable de travailler ou de s’occuper d’elle-même, Katy Parker s’est sentie désespérée et déprimée.
« Je me disais : “Si j’abandonne ce travail, que me reste-t-il ? Je ne vaux plus rien.” », raconte-t-elle à Epoch Times. Chrétienne, elle croyait que Dieu l’avait appelée à servir à travers son métier : « Si je quitte cela, je Le déçois, je déçois les autres. »
Ce combat l’a menée jusqu’à des pensées suicidaires. « Mais je ne voulais pas vraiment mourir », dit-elle. « Je ne voulais simplement plus de la vie que j’avais alors. »
Il lui a fallu du temps pour demander de l’aide. Lorsqu’elle a trouvé le bon soutien, elle a appris une méthode de thérapie cognitivo-comportementale appelée « technique de la flèche descendante », qui aide à identifier les croyances profondes erronées derrière les schémas de pensée inadaptés. L’un des déclics s’est produit lorsqu’elle s’est sentie découragée à la salle de sport pendant sa rééducation. Elle est sortie de la séance en se sentant « stupide », incapable de « faire quoi que ce soit ». Son thérapeute a utilisé cette technique pour remonter la chaîne de pensées jusqu’à l’enfance.
« Nous avons retrouvé cette croyance fondamentale : “Je suis stupide.” Quelqu’un me l’avait dit quand j’étais enfant », se souvient-elle. Elle a appris à reformuler cette expérience et à reconnaître qu’elle faisait de son mieux à ce moment-là de sa guérison. Avec le temps, elle a associé cette technique à sa foi chrétienne, en utilisant des passages de la Bible pour contredire d’autres croyances limitantes. Aujourd’hui, elle est autrice spécialisée en bien-être, coach en deuil et mentor en santé mentale.
Pour Grace Ogren, aujourd’hui rédactrice et chercheuse, un processus similaire de « vérification des faits » l’a aidée à passer de la validation de ses pensées négatives à leur remise en question. « J’ai commencé petit à petit, en cherchant une seule raison ou un seul élément prouvant qu’une pensée n’était pas vraie ou n’avait pas lieu d’être », explique-t-elle.

Des gestes concrets

Chacun peut utiliser ces techniques pour commencer à surmonter les schémas mentaux inadaptés.
Janel Coleman suggère de tenir un journal de pensées pour repérer où notre esprit tend à aller pendant les moments d’introspection. Nous pouvons ensuite pratiquer une véritable réflexion sur soi — un examen attentif de notre caractère et de nos motivations — à l’aide de questions comme : « Qu’est-ce que cela dit de moi ? » ou « Dans quelle mesure cela me semble-t-il vrai ? », afin d’identifier et de reformuler nos croyances de base.
James Hyman ajoute qu’il est utile de prêter attention à la manière dont nous parlons de nous-mêmes. Selon lui, le CCA surveille notre langage, et lorsque nous nous adressons des propos négatifs, le cerveau réagit comme si quelqu’un d’autre nous insultait. « Mais si nous faisons l’inverse, cela devrait avoir le même effet positif que si une autre personne nous félicitait ou nous encourageait », dit-il.
C’est peut-être pour cela qu’un réseau de soutien est si important pour se libérer de la pensée inadaptée. Comme le souligne Janel Coleman, avoir autour de soi des personnes capables de dire des choses positives et de rappeler la réalité aide à éviter de sombrer dans la dépression ou l’anxiété.
Grace Ogren a trouvé ce soutien auprès d’un thérapeute, de ses parents et de son église. « J’ai l’impression qu’ils sont les propulseurs qui m’ont remise en mouvement », dit-elle. « Quelqu’un croyait que je pouvais aller mieux, et en fait, ils l’ont tous cru, et cela m’a énormément aidée.
 
Theresa "Sam" Houghton est une écrivaine indépendante et coach en santé qui s'intéresse à l'alimentation, à la santé et au bien-être depuis plus d'une décennie. Ses écrits apparaissent régulièrement sur le blog The Upside de Vitacost et ont été présentés sur NutritionStudies.org et Green Queen Media.

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