Comment la France veut décourager le chinois JD.com d’entrer au capital de Fnac-Darty
L'État français déploie son arsenal de contrôle des investissements étrangers pour contrer l'arrivée du géant chinois JD.com au capital de Fnac-Darty. Entre protection de la souveraineté et préservation de l'emploi industriel, Bercy mise sur une stratégie de dissuasion assumée.

Le logo de JD.com, Inc. ou Jingdong, numéro trois chinois du e-commerce, photographié sur un entrepôt à Pékin, le 11 novembre 2025.
Photo: ADEK BERRY/AFP via Getty Images
Une entrée indirecte sous haute surveillance
JD.com, numéro trois chinois du e-commerce, a pris pied dans le capital de Fnac-Darty par le biais du rachat de Ceconomy, détenant ainsi 22 % du distributeur français, soit la deuxième position derrière Daniel Kretinsky (29 %). Cette prise de participation ne résulte pas d’un projet de rachat direct, mais de l’acquisition du groupe allemand, actionnaire historique de Fnac-Darty depuis 2017, selon BFMTV. La nuance, pourtant, ne dissipe pas la vigilance gouvernementale.
Dans un contexte marqué par la tension autour d’autres acteurs chinois de la distribution – Shein ou Temu –, l’exécutif a immédiatement exigé de JD.com qu’il engage une demande de contrôle des investissements étrangers en France (IEF). Cette procédure, qui peut durer trois mois, relève moins d’une conformité réglementaire que d’une stratégie de ralentissement : Bercy cherche par ce délai à dissuader JD.com de pousser plus loin ses ambitions chez Fnac-Darty.
Une stratégie assumée de dissuasion
Bercy ne cache pas sa volonté d’inciter JD.com à revendre sa participation. « Nous serons très fermes, assure-t-on à Bercy. Et extrêmement sensibles à ce que les biens électroménagers fabriqués en France continuent à être produits sur le territoire », rapporte BFMTV. Le ministère envisage de faire intervenir Bpifrance pour « peser face au groupe chinois », en obtenant des engagements additionnels sur la gouvernance et l’implantation industrielle.
D’ores et déjà, l’IEF pourrait être accompagné de garanties sur l’emploi et l’origine des produits distribués dans les magasins Fnac-Darty. Si la manœuvre sert à gagner du temps, elle vise également à démontrer que la montée au capital ne fait pas de JD.com un acteur maître au sein du distributeur. Le géant chinois n’obtient d’ailleurs à ce stade, ni siège au conseil d’administration, ni pouvoir décisionnaire, son emprise passant par une structure intermédiaire, précise Clubic.
Prévenir l’influence chinoise, protéger la souveraineté
Les inquiétudes de l’exécutif ne se limitent pas à la filière électroménager.
« Fnac Darty commercialise des biens culturels, qui ne sont pas des biens comme les autres », ancre-t-on du côté de Bercy, d’après Le Figaro. C’est aussi la possibilité pour la France de réaffirmer, par la procédure, sa capacité à freiner les investissements étrangers lorsque des intérêts jugés stratégiques sont en jeu.
Même sans prise de contrôle directe, l’État entame un rapport de force préventif pour éviter qu’un acteur étranger acquière, demain, une part trop significative d’un fleuron national.
Un arsenal juridique étendu
Le ministère ne se contente pas d’agiter la menace administrative. À l’été 2024, un investisseur indien avait déjà dû jeter l’éponge sur Biogaran, redoutant un veto français. Les outils de contrôle permettent de bloquer une opération, mais aussi d’interdire à un actionnaire minoritaire une influence disproportionnée selon la structure du capital et le taux de participation en assemblée générale.
« Il est tenu compte de la structure actionnariale de la société, en particulier de la dispersion de son capital ou du taux de participation en assemblée générale afin de déterminer dans quelle mesure l’investisseur, même minoritaire, peut en fait disposer de la maîtrise », rappelle la direction générale du Trésor.
Au-delà du rejet pur et simple, l’État peut assortir son feu vert d’exigences : maintien de l’emploi, garanties sur le volume de production française, et limitation du remplacement des marques locales par des produits importés. Les exemples abondent, du refus de rapprochement entre Carrefour et le Canadien Couche-Tard en 2021, jusqu’à la cession d’Opella, filiale de Sanofi, au fonds américain CD&R sous conditions de maintien de la production du Doliprane en France.
Entre compétitivité et souveraineté : l’Europe face au modèle JD.com
Au-delà de la posture défensive, l’arrivée de JD.com illustre la bataille mondiale pour la distribution tech et la rapidité du commerce en Europe.
Le concurrent chinois vise à déployer son modèle logistique ultraperformant sur le continent, tout en s’appuyant sur la puissante marketplace Joybuy déjà active en Europe. Certains y voient un risque pour la production française, d’autres une ouverture vers plus d’innovation et de compétitivité tarifaire.
Mais pour Bercy, l’heure n’est pas à l’expérimentation : l’exécutif veut démontrer que la souveraineté économique et l’ancrage industriel demeurent au cœur de la ligne rouge à ne pas franchir, même à l’heure de la mondialisation accélérée par les géants de l’e-commerce.
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