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Accord franco-algérien de 1968 : un rapport parlementaire chiffre le coût faramineux d’un régime d’exception hors de contrôle

DÉCRYPTAGE - Cinquante-sept ans après sa signature, l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 n’a plus de bilatéral que le nom, mais gouverne dans l'ombre une part considérable de l'immigration vers l’Hexagone. Entre héritage colonial non soldé et accumulation de privilèges par sédimentation jurisprudentielle, les dispositions dérogatoires applicables aux Algériens dessinent les contours d'une coûteuse exception à la française.

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Photo: photo LUDOVIC MARIN/AFP via Getty Images

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Durée de lecture: 18 Min.

Un rapport parlementaire de plus d’une centaine de pages, dévoilé le 15 octobre et rédigé par deux députés du camp présidentiel, Charles Rodwell et Mathieu Lefèvre, s’est attelé à cartographier les implications juridiques et budgétaires d’un texte qui encadre le statut juridique à part de la première nationalité étrangère présente sur le sol français. Un dispositif exceptionnel dont le coût pour le contribuable est estimé par les auteurs à environ 2 milliards d’euros par an, sans compter les dépenses connexes supportées par la justice, la police ou les services sociaux.
L’ironie de l’histoire veut que cet accord, conçu pour maîtriser les flux migratoires entre la France et l’Algérie, produise aujourd’hui l’exact effet inverse. En 1968, il s’agissait d’encadrer une immigration de travail explosive : près de 200.000 Algériens s’étaient installés en France dans les années suivant l’indépendance, profitant du maintien de la libre circulation prévue par les accords d’Évian. Le contingentement annuel de travailleurs (35.000, puis 25.000) et l’introduction d’un titre de séjour pour les Algériens marquaient une volonté de reprise en main.
Comme le souligne Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie, dans une tribune au Figaro, les lecteurs découvrent dans ce rapport un « document exhaustif, complet, argumenté, non politique mais objectif sur le coût de l’immigration algérienne en France rédigé par des parlementaires de la majorité ». Cette « Bible », selon les termes du diplomate, évoque la mise en place d’un statut exceptionnel et spécifique de l’Algérien en France, qui s’est constitué progressivement. Trois avenants (1985, 1994, 2001) ont très largement modifié l’accord initial, tandis que la « folle » jurisprudence du Conseil d’État lui a ensuite conféré une portée sans équivalent. Parallèlement, les évolutions du droit commun des étrangers, de plus en plus restrictives, ne s’appliquaient pas aux Algériens, creusant mécaniquement l’écart.
Le résultat : un édifice juridique baroque où « les Algériens bénéficient d’un dispositif exceptionnel et dérogatoire à toutes les étapes du parcours migratoire », selon les mots de l’ambassadeur. Une formule résume cette accumulation d’avantages : « cadeau tous les jours à tous les étages ».
Des privilèges en cascade
Le rapport parlementaire détaille méthodiquement ces facilités. À l’entrée, d’abord : certains certificats de résidence peuvent être obtenus avec un simple visa de court séjour, voire sans condition d’entrée régulière pour les titres « vie privée et familiale ». Un Algérien peut aussi obtenir de plein droit un certificat après seulement dix ans de présence habituelle en France, sans même que ce séjour ait été régulier ni qu’il ait débuté avant la majorité. Cette voie d’accès « autonome » au séjour a pourtant été supprimée du droit commun en 2006 pour les autres étrangers.
Pour le regroupement familial, les conditions sont allégées : douze mois de présence suffisent contre dix-huit pour les autres nationalités ; le seuil de ressources est fixé au SMIC, contre des montants plus élevés selon la taille du foyer pour les autres étrangers (1982 euros mensuels pour quatre personnes). Surtout, les prestations sociales de revenu minimum (RSA) ou de minimum vieillesse (APSA) comptent dans le calcul des ressources pour les Algériens, alors qu’elles en sont exclues pour les autres. « Un couple qui vit uniquement de prestations sociales françaises » peut ainsi faire venir sa famille, note le rapport.
L’accès au titre de dix ans, renouvelable automatiquement, est facilité : trois ans de résidence régulière suffisent, contre cinq ailleurs, avec des conditions de ressources moins strictes. Le conjoint d’un Français l’obtient après un an de mariage seulement, sans visa long séjour préalable. Et un Algérien ayant des « liens personnels et familiaux » en France peut prétendre à un titre de dix ans après cinq ans de présence : « le seul cas de délivrance d’un titre de séjour valable dix ans à un ressortissant étranger en situation irrégulière », précise une circulaire de 2005.
L’impossible retrait
Plus frappant encore : l’impossibilité de retirer un titre de séjour algérien. Depuis l’abrogation en 1994 de l’article 10 sur les Algériens « oisifs », l’accord ne prévoit aucune stipulation permettant ce retrait. La jurisprudence administrative a comblé ce vide… en faveur des ressortissants algériens. Résultat : « Le titre de séjour d’un Algérien dont la présence en France constitue une menace pour l’ordre public ne peut pas être retiré », rappelle le rapport, citant un jugement de janvier 2025 adossé à la jurisprudence du Conseil d’État concernant un individu condamné pour violences conjugales et emploi d’étranger en situation irrégulière.
Les dispositions sur la polygamie, le non-respect des valeurs de la République, ou certaines condamnations pénales ne s’appliquent pas non plus. Seule l’expulsion, procédure lourde réservée aux menaces graves, permet d’éloigner un Algérien titulaire d’un titre de dix ans, avec peu de chances que celle-ci aboutisse en raison du manque de coopération d’Alger. Cette protection juridique quasi-absolue crée un « droit à se maintenir régulièrement sur le territoire national qui est exorbitant », conclut le rapport.
Le volet social : une égalité à géométrie variable
Le statut dérogatoire s’étend à la protection sociale. Sur la base d’une interprétation extensive de l’article 7 des accords d’Évian de 1962, qui prévoyait que les Algériens auraient « les mêmes droits que les nationaux français », le Conseil d’État a écarté en 2007 la condition de cinq ans de résidence pour le RSA. Même chose pour l’ASPA (allocation de solidarité aux personnes âgées) : la condition de dix ans ne s’applique pas aux Algériens.
Cette jurisprudence place paradoxalement les Algériens dans une situation plus favorable que les ressortissants de l’Union européenne, pour lesquels le principe de non-charge pour le système d’assistance sociale s’applique. Un ressortissant européen venu chercher un emploi en France n’a pas droit au RSA ; un Algérien, si.
Les conventions de sécurité sociale ajoutent une couche supplémentaire. L’Algérie refuse depuis près de quarante ans de verser les pensions de retraite aux Algériens résidant en France, invoquant un « principe de territorialité » contestable. De fait, c’est… la France qui compense en versant l’ASPA : « Selon les informations dont dispose le rapporteur, dans cette attente, la France fait malgré tout droit aux demandes d’allocations de substitution qui émanent de travailleurs pourtant pensionnés algériens ».
En outre, en 2023, 361.771 pensions françaises (vieillesse et réversion) étaient versées à des résidents en Algérie, pour un montant total d’1 milliard d’euros, sans que l’Algérie honore ses propres engagements en sens inverse et qu’elle soit sanctionnée pour ses manquements.
Les angles morts statistiques
L’un des apports majeurs du rapport est de révéler l’aveuglement statistique de l’État français. Interrogés sur le nombre de bénéficiaires algériens du RSA, de l’ASPA ou de l’aide médicale d’État, les ministères ont invoqué le RGPD, le principe de « minimisation des données » ou encore la loi informatique et libertés pour ne pas fournir les chiffres. La nationalité ne serait « pas une donnée discriminante » pour identifier les ayants droit.
Pourtant, elle l’est bien, puisque des règles spécifiques s’appliquent aux Algériens. Les formulaires de demande collectent d’ailleurs le lieu de naissance (RSA) ou la nationalité (ASPA). « Le rapporteur spécial doute de l’indisponibilité des données demandées », note sèchement le texte. Un échantillonnage de 100 dossiers d’ASPA en Île-de-France révèle que 50% des demandeurs sont de nationalité étrangère et que les Algériens représentent 24 % de ces demandeurs, alors même qu’ils ne constituent que… 2,4 % des plus de 55 ans dans la région.
Pour le logement social, même opacité. L’Insee franc-comtois notait en 2011 qu’« un immigré d’origine algérienne a une probabilité d’habiter en HLM neuf fois plus importante qu’un immigré issu d’un pays de l’Union européenne ». En 2019-2020, 49 % des immigrés algériens vivaient dans un logement social, contre 44 % pour leurs descendants de deuxième génération. Mais aucune donnée nationale consolidée n’existe.
Coût de deux milliards d’euros par an
C’est sur l’évaluation budgétaire que le rapport a suscité le plus de controverses. L’estimation de « deux milliards d’euros par an » repose sur une méthodologie assumée comme incomplète. Le rapporteur distingue deux types de surcoûts : les charges administratives directes (traitement des dossiers, contentieux, rétention) estimées entre 200 et 300 millions d’euros ; et les dépenses sociales liées à une « immigration plus familiale et une moindre insertion socio-économique », évaluées annuellement entre 1,5 et 2 milliards.
Les critiques ont fusé lors de la présentation en commission. « Comment passez-vous à 2 milliards par an ? » a interrogé le président socialiste Philippe Brun, soulignant l’absence de tableaux détaillés. Pour Karim Ben Cheikh, le seul chiffre « fiable » cité, 1,55 milliard pour le logement social, provient de l’Observatoire de l’immigration et de la démographie, un think tank que le député écologiste des Français établis au Maghreb juge peu sérieux.
Le rapport reconnaît ses limites : « En l’état actuel des données, il est délicat de procéder à un chiffrage rigoureux. » Mais il assume l’estimation : 60 millions par an pour la dette hospitalière de la France envers l’Algérie, 20 millions en sens inverse ; des milliers de dossiers d’ASPA versée à d’anciens cotisants algériens privés de leur pension par Alger ; une surreprésentation dans les minima sociaux. « Ce sont des estimations dont nous assumons le caractère imparfait », a répondu Charles Rodwell en commission.
Par ailleurs, le rapporteur spécial note « une présence importante de ressortissants algériens au sein du système pénal et carcéral français, présence qui s’accentue avec la gravité des sanctions, notamment pour les mineurs » et rappelle que les « coûts associés à la délinquance et aux fraudes sont massifs pour la société », estimés à plusieurs dizaines de milliards d’euros par an, selon des chercheurs.
Une question constitutionnelle
Au-delà des chiffres, le rapport pose une question juridique de fond : ce statut dérogatoire est-il constitutionnel ? L’article 6 de la Déclaration de 1789 dispose que « la loi doit être la même pour tous ». En 1990, le Conseil constitutionnel a jugé que le principe d’égalité interdisait de réserver certains droits « aux seuls étrangers pouvant se prévaloir de conventions internationales ». En 1996 puis 1998, le Conseil d’État a rappelé qu’en droit interne, les normes constitutionnelles l’emportent sur les normes internationales.
« Peut-on considérer qu’une telle mesure [le contrat d’engagement au respect des principes de la République] est inapplicable aux ressortissants algériens sans méconnaître les exigences constitutionnelles ? » interroge le rapport, citant une décision de 2024 où le Conseil constitutionnel a validé ce contrat au nom de principes « qui s’imposent à tous ceux qui résident sur le territoire de la République ». La rupture d’égalité entre un Guinéen et un Algérien – dix-huit mois contre douze pour le regroupement familial, un an de titre contre dix – soulève des questions que le juge constitutionnel n’a jamais eu à trancher.
« C’est donc au Gouvernement de tirer lui-même les conséquences de ce constat », considère le rapporteur, qui propose de « déclarer l’accord franco-algérien de 1968 inapplicable, voire caduc, au regard des principes constitutionnels ».
Une relation asymétrique
L’accord présente une particularité : il ne comporte « aucune disposition concernant la partie algérienne, ni aucune clause de réciprocité », note le rapport. Qualifié d’« accord bilatéral », il s’apparente davantage à « un engagement unilatéral de la France ». L’Algérie refuse la plupart du temps de délivrer les laissez-passer consulaires, n’applique pas la convention de sécurité sociale, et va jusqu’à refouler ses propres ressortissants munis de passeports algériens (113 cas au 23 juin 2025), violant par la même occasion le droit à séjourner légalement dans son propre pays. C’est ainsi que l’auteur sous OQTF de l’attentat au couteau perpétré à Mulhouse en février 2025 a pu demeurer sur le territoire national, l’Algérie ayant refusé à quatorze reprises de donner suite aux demandes de réadmission émises par la France au cours de la période précédant l’acte terroriste.
Cette asymétrie a un coût politique et humain. Les Algériens représentent 48 % des personnes placées en centre de rétention en 2024, mais seulement 19 % sont effectivement éloignés, contre 56 % pour les autres nationalités. En 2024, 22.426 mesures d’éloignement ont été prononcées contre des Algériens ; 1719 ont été exécutées. Taux de réussite : 5 %.
Dénoncer, réviser, ou laisser mourir ?
Face à ce constat, les recommandations du rapport sont claires : « Le rapporteur spécial invite le Gouvernement à procéder au recensement des accords comprenant des dispositions plus ou moins favorables que la législation générale » et à « garantir une application uniforme et équitable du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) ». Juridiquement, il ne s’agirait pas d’une « dénonciation » classique mais d’une « rétractation pour changement de circonstances de droit », en l’absence de réciprocité.
À défaut, le rapport propose d’insérer dans le Ceseda des dispositions prévoyant que le droit commun s’applique dans toutes les matières que les conventions ne traitent pas, permettant notamment d’opposer aux Algériens les motifs d’ordre public, le respect des valeurs de la République (la liberté personnelle, la liberté d’expression et de conscience, l’égalité entre les femmes et les hommes, la dignité de la personne humaine, la devise et les symboles de la République, l’intégrité territoriale, la laïcité) ou encore une connaissance minimale de la langue française.
L’ironie finale : même le président algérien Tebboune a déclaré début 2025 que cet accord était totalement dépassé et devenu inutile pour les Algériens, bien que Xavier Driencourt doute de sa maitrise du dossier. Reste à voir si le gouvernement d’Emmanuel Macron trouvera le courage politique de tourner enfin la page de cette histoire qui s’obstine à ne pas se refermer. Au vu de la timidité du chef de l’État face au sort réservé à l’écrivain Boualem Sansal, on peut craindre qu’il faille patienter, au mieux, jusqu’en 2027.