Opinion
Vers des institutions démocratiques au Népal ? Les manifestations de la « génération Z » ont renversé le gouvernement - un revers pour Pékin

La Première ministre nouvellement élue du gouvernement intérimaire du Népal, Sushila Karki (au c.), et des responsables observent une minute de silence pour commémorer les victimes des récentes manifestations à Katmandou, le 14 septembre 2025, date à laquelle Mme Karki a promis de répondre aux demandes des manifestants pour une « fin de la corruption ».
Photo: Prabin Ranabhat/AFP via Getty Images
Un mouvement de protestation, constitué majoritairement de la jeune génération au Népal, a renversé le gouvernement du Parti communiste dirigé par Khadga Prasad Oli. L’ancienne juge constitutionnelle Sushila Karki a été nommée cheffe du gouvernement par intérim. Des élections anticipées sont fixées au 5 mars 2026.
Le retrait du Premier ministre Khadga Prasad Oli est intervenu après plusieurs jours d’émeutes violentes. Au moins 51 personnes sont mortes lors de ce que les manifestants ont qualifié de révolte de la « génération Z », durant laquelle des bâtiments administratifs et des palais ont été incendiés.
L’ancienne juge constitutionnelle Sushila Karki a depuis pris provisoirement les rênes de l’exécutif. Elle doit diriger le pays jusqu’à l’élection d’un nouveau gouvernement, selon un accord entre l’armée et les représentants du mouvement de protestation. Des élections parlementaires anticipées sont programmées pour le 5 mars 2026. L’ancien chef du gouvernement Oli et plusieurs ministres de son cabinet se sont provisoirement réfugiés à l’étranger.
Un chemin semé d’embûches vers la démocratie et la stabilité
Les manifestations se sont succédées au Népal depuis plusieurs mois, dénonçant la corruption endémique des classes politiques et leur incapacité à offrir des perspectives à la jeunesse. Après l’indépendance de l’Inde en 1947, le pays était sous l’influence de New Delhi et fonctionnait comme une monarchie constitutionnelle. Entre 1960 et 1991, les partis politiques étaient interdits.
Bien qu’un code civil adopté en 1963 ait interdit les discriminations liées à l’appartenance sociale, le système de castes, transmis de génération en génération, a perduré de facto. La mobilité sociale ascendante en a souffert, tout comme le dynamisme économique. À cela s’ajoutaient des querelles internes au sein de la famille royale et un niveau élevé de corruption dans l’appareil d’État.
Les maoïstes ont exploité ces fractures sociales, bénéficiant d’un soutien du régime communiste à Pékin. Dans les années 1990, une guérilla s’inspirant du « Sentier lumineux » péruvien a livré une guerre civile contre les forces gouvernementales. En novembre 2006, un accord de paix a mis fin aux hostilités — la monarchie a été abolie et tous les acteurs politiques se sont engagés en faveur d’une démocratie parlementaire assortie d’une nouvelle Constitution.
Économie souterraine et exode massif des jeunes
Le Népal est finalement devenu une république parlementaire. La mise en œuvre de ces réformes s’est révélée longue, et le pays était dominé politiquement par des formations communistes, notamment les maoïstes qui jouissaient d’un appui de la Chine.
L’instabilité s’est installée avec des coalitions éphémères, treize gouvernements en seize ans. Les réformes sont restées largement inappliquées et la corruption endémique. Les jeunes népalais ont souffert d’un manque de perspectives dans le pays : selon la Banque mondiale, le taux de chômage des 15–24 ans était d’environ 20 % l’an dernier.
Ces chiffres cachent une réalité plus large : près de 82 % des personnes actives travaillent dans l’économie informelle. Chaque année, environ 2000 jeunes quittent le pays pour les États du Golfe ou l’Asie du Sud‑Est, envoyant des devises indispensables aux familles — des flux qui, selon les observateurs, transiteraient en partie par des circuits opaques. Environ 14 % de ressortissants népalais vivent à l’étranger.
Indignation à propos des « nepo‑kids » et médias proches du pouvoir
La mobilisation contre la corruption a été amplifiée par les réseaux sociaux. Des vidéos montrant les enfants de responsables politiques exhibant voitures de luxe, marques internationales et voyages à l’étranger ont provoqué l’indignation. Contrairement aux citoyens ordinaires, ces héritiers profitent de réseaux d’influence qui leur assurent un train de vie fastueux : on les a surnommés « nepo‑kids », symboles du népotisme.
Le 4 septembre, le gouvernement a mené une opération et bloqué 26 plateformes sociales, dont Facebook, Instagram et YouTube, invoquant un défaut d’enregistrement auprès du ministère des Technologies de la communication et la lutte contre la « désinformation ». Pour de nombreux jeunes, cette coupure a aussi signifié la perte d’un canal essentiel vers des opportunités d’emploi à l’étranger.
L’intervention brutale des forces de l’ordre le 8 septembre a encore renforcé la détermination des protestataires. Des tirs à balles réelles ont fait au moins 19 morts et près de 300 blessés selon les comptes rendus.
Bilan porté à 51 morts
Le 8 septembre, le ministre de l’Intérieur, Ramesh Lekhak, a été le premier membre du cabinet à démissionner. Le lendemain, le Premier ministre Oli a évoqué une « solution politique ». Peu après, il a été annoncé que l’homme élu à la tête du gouvernement en 2015, 2018, 2021 et 2024 ne se trouvait plus dans le pays.
Le 9 septembre, les manifestants ont continué à défier les couvre-feux imposés et ont pris d’assaut le palais du Parlement, la résidence du chef du gouvernement, des ministères et la résidence privée de Khadga Prasad Oli. Des locaux de presse ont été attaqués et le siège du groupe Kantipur Media Group incendié. Les protestataires ont accusé les médias d’être les prolongements du régime et sources de déstabilisation.
Le 12 septembre, le porte‑parole de la police Binod Ghimire a indiqué que le nombre de morts s’élevait à 51, dont 21 manifestants, 9 détenus et 3 policiers. Plus de 1300 personnes auraient été blessées. Dans le chaos, environ 13.500 détenus se sont évadés ; seuls environ 1000 d’entre eux ont pu être rattrapés.
Le Premier ministre indien Modi félicite la population népalaise
Le départ du Premier ministre Oli est une défaite cuisante pour le Parti communiste chinois, pour lequel Oli était un fidèle représentant – il s’était récemment rendu à Pékin pour assister, aux côtés du dirigeant Xi Jinping, à la parade militaire organisée à l’occasion de l’anniversaire de la capitulation japonaise.
Oli avait aussi promu l’adhésion du Népal à l’initiative chinoise « Ceinture et Route », ou Nouvelle route de la Soie, un projet d’infrastructures stratégique pour la projection de puissance de Pékin au niveau international. Celui-ci a permis à la Chine d’accroître son influence dans des États souvent pauvres et dépendants de l’aide étrangère — beaucoup étant déjà tombés dans ce que les spécialistes qualifient de « piège de la dette ».
Si les maoïstes subissaient une défaite nette lors des élections de mars, l’influence chinoise au Népal s’en trouverait affaiblie, au profit d’un renforcement de celle de l’Inde. Depuis Pretoria, le Premier ministre indien, Narendra Modi, a félicité les citoyens népalais pour avoir « défendu les valeurs démocratiques en des temps difficiles ».
Des soutiens contestés et des risques persistants
La nouvelle cheffe du gouvernement, Sushila Karki, et les protagonistes de la révolte de la génération Z ne font cependant pas l’unanimité. De nombreux acteurs et structures au sein de l’État, qui avaient auparavant bloqué des réformes non conformes à leurs intérêts, existent toujours et pourraient continuer à le faire. Rien ne garantit que le changement de pouvoir actuel sera suivi d’une stabilité durable.
Une ONG suspectée de vouloir mettre en place un système de népotisme
Des critiques se font déjà entendre à l’encontre des dirigeants du mouvement. Le YouTubeur Bhavesh Gujrati affirme qu’une ONG aurait transmis à la cheffe du gouvernement une liste de demandes : attribuer trois à quatre sièges ministériels aux membres des familles des protestataires tués, ériger des portraits des victimes dans les aéroports internationaux et ériger des statues au Parlement.
Bhavesh Gujrati accuse l’ONG Hami Nepal de vouloir à son tour instaurer un système de népotisme. Il affirme que son directeur, le DJ Sudan Gurung, aurait menacé l’armée d’affrontement si celle‑ci n’instaurait pas immédiatement Sushila Karki comme cheffe du gouvernement. Bhavesh Gujrati craint une nouvelle infiltration et une nouvelle mainmise sur la démocratie par des ministres non qualifiés. Il met en garde contre une possible infiltration et récupération de la démocratie et appelle à des mesures concrètes :
« La bonne voie est simple : mener une enquête approfondie, indemniser équitablement les familles et mettre en œuvre des réformes significatives pour que de telles tragédies ne se répètent jamais. Tout le reste n’est que mise en scène », a-t-il écrit.
À court terme, la priorité après le renversement est de stabiliser la sécurité, d’examiner les violences et de préparer les élections. À long terme, l’enjeu sera de savoir si la nouvelle direction parviendra à enrayer durablement la corruption et à créer de réelles perspectives d’emploi et de promotion sociale pour les jeunes. Sans progrès tangible, la vieille garde et l’influence chinoise pourraient bientôt trouver une nouvelle occasion de reprendre pied.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

Reinhard Werner écrit pour Epoch Times sur l'économie, les dynamiques sociales et les questions géopolitiques. Il s'intéresse particulièrement aux relations internationales, aux migrations et aux conséquences économiques des décisions politiques.
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