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plus-iconQuand la nature soigne

Theodore Roosevelt, les Badlands et le pouvoir guérisseur de la nature sauvage

Brisé par la perte de sa femme et de sa mère le même jour, Theodore Roosevelt s’enfuit vers la rudesse des Badlands. Dans ces terres sauvages, entre chevauchées solitaires, chasse et nuits glaciales, il trouva une renaissance. Cette retraite marqua profondément sa vie - jusqu’à façonner l’un des présidents les plus engagés dans la protection de la nature.

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« Cowboys dans les Badlands », 1888, par Thomas Eakins. Le séjour de Theodore Roosevelt dans les Badlands contribua à remonter son moral.

Photo: Domaine public

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Durée de lecture: 17 Min.

Des coups de feu retentirent à l’intérieur du saloon. Un homme gisait inconscient sur le sol. Theodore Roosevelt, désarmé, se tenait debout devant le malfrat, savourant l’instant qui allait lui assurer une place parmi les personnages hauts en couleur des Badlands.

Le tireur avait provoqué les clients du saloon isolé, allant même jusqu’à tirer sur l’horloge de l’établissement. « Quatre Yeux ! » cria l’homme à Roosevelt lorsqu’il entra. « Quatre Yeux va nous offrir à boire ! » Roosevelt rit et se dirigea vers une table dans un coin. Les deux armes chargées, l’homme s’approcha de Roosevelt, se pencha sur lui et lui demanda de payer une tournée. Roosevelt se leva, feignant d’obéir à la demande, puis asséna rapidement trois coups de poing à la tête de l’homme.

« En tombant, il a heurté le coin du bar avec sa tête », se souvient Roosevelt. « Je lui ai pris ses armes, et les autres personnes présentes dans la salle, qui le dénonçaient désormais bruyamment, l’ont poussé dehors et l’ont mis dans la remise. »

C’était durant l’été 1884. Roosevelt était revenu dans les Badlands pour devenir « éleveur ». Il venait tout juste de donner aux propriétaires du ranch Maltese Cross un chèque de 14 000 dollars pour 450 têtes de bétail, avec l’intention de fonder son propre ranch. L’arrivée de Roosevelt n’était pas motivée par la fortune et l’opportunité. C’est le chagrin qui l’avait poussé à quitter l’agitation de Manhattan pour les « plaines mélancoliques et sans chemins » des Badlands.

Poussé par le chagrin

Portrait de Theodore Roosevelt en député, 1884. Library of Congress (Domaine public)

Roosevelt venait de traverser l’hiver le plus cruel de sa vie. Le 14 février 1884, il dessina un grand « X » dans son journal, accompagné de huit mots : « La lumière s’est éteinte dans ma vie. »

La femme de Roosevelt, Alice, et sa mère, Mittie, moururent ce jour-là, deux jours seulement après qu’Alice eut donné naissance à leur fille. Sa réaction immédiate à ces décès fut de travailler sans relâche. Il avait réagi de la même manière lorsque son père était décédé six ans auparavant. Malgré la lourde charge de travail qu’il s’était imposée, le chagrin le consumait.

« Il ressent de plus en plus cette terrible solitude », rapporte sa sœur Corinne. « Et je crains qu’il ne dorme pas beaucoup, car il marche beaucoup la nuit et ses yeux sont rougis par la fatigue. »

Portrait d’Alice Hathaway Lee, première épouse de Roosevelt, vers 1880–1884. Hormis un éloge écrit, Roosevelt ne parla plus jamais d’elle après sa mort en 1884. Library of Congress (Domaine public)

Souhaitant effacer tout souvenir physique de sa femme et de sa mère, Roosevelt décida de vendre sa maison ainsi que la demeure familiale achetée par son père en 1873. Les Roosevelt avaient jusqu’au mois de mai pour quitter les lieux. À la fin du mois de mai, Roosevelt arriva à Chicago pour la Convention nationale républicaine en tant que délégué général de New York. Après avoir soutenu le candidat James G. Blaine, un homme qu’il méprisait, Roosevelt poursuivit son chemin vers l’ouest, laissant derrière lui sa carrière politique. Il confia également sa fille en bas âge à sa sœur, Bamie.

Les Badlands, qu’il avait brièvement visitées en 1883, représentaient pour lui bien plus qu’un simple changement de décor. C’était un monde à part, un lieu où « la civilisation semblait aussi lointaine que si nous vivions dans une époque depuis longtemps révolue ». Ici, Roosevelt chassait, montait à cheval, conduisait du bétail, lisait ses livres et écrivait avec frénésie.

(De g. à dr.) Wilmot Dow, Theodore Roosevelt et Bill Sewall au ranch Elkhorn, vers 1886. Les deux hommes avaient guidé Roosevelt dans le Maine, et ce dernier les engagea pour construire et gérer le ranch Elkhorn. (Domaine public)

Ce diplômé de Harvard et ancien homme politique avait une étrange admiration pour les territoires isolés des Badlands. Son ami Bill Sewall, qui avait contribué à la construction du ranch Elkhorn, était perplexe face à la vision que Roosevelt avait de cette région, suggérant que quiconque partageait cette opinion « devait avoir une conception dépravée de la vie, se détester lui-même, ou les deux ». Peut-être avait-il raison. La lumière de Roosevelt s’était éteinte. Ses actions au cours des mois précédents à New York, ses errances sans fin dans les plaines et la récente bagarre dans un bar suggéraient qu’il ne craignait pas la mort. Mais cela suggérait également qu’il espérait retrouver cette lumière.

Surmonter le deuil

Theodore Roosevelt en tenue de cow-boy, aux côtés de son cheval Manitou dans les Badlands, 1884. Library of Congress (Domaine public)

Sur son cheval « au pied parfaitement sûr », Manitou, il chevauchait souvent du crépuscule à l’aube. Il s’épanouissait dans une liberté que peu de gens, à l’exception de ceux qui étaient prêts à vivre dans la nature sauvage, avaient la chance de connaître. Son cheval, « aussi rapide que n’importe quel cheval sur le fleuve [Missouri] », lui permettait de fuir son chagrin. « Les soucis obscurs s’installent rarement derrière un cavalier dont l’allure est suffisamment rapide », écrivait-il.

En août, Roosevelt, Sewall et Wilmot Dow fondèrent le ranch Elkhorn, mais la construction de la maison du ranch ne commença qu’en octobre. Un lieu idéal pour un homme désireux d’être seul. Ses voisins les plus proches se trouvaient à une distance de 15 ou 25 km, et le ranch Maltese Cross à environ 65 km. Jamais Roosevelt ne restait inactif : il sillonnait sans cesse ce qu’il appelait son « pays idéal des héros ».

Le ranch Elkhorn de Theodore Roosevelt sur les rives de la rivière Little Missouri, Dakota du Nord. (Domaine public)

Le même mois, il partit avec deux compagnons vers les montagnes Bighorn. Chevauchant Manitou et armé de sa Winchester 45-75 gravée d’élans, de bisons et d’antilopes, il disparut près de deux mois. Il semblait insensible aux conditions difficiles.

« Un jour nous avons chevauché sous une pluie battante, devenue tempête de grêle et de vent, manquant de renverser le chariot, rendant les poneys fous ; nous nous sommes abrités dans un ravin », écrivit-il à Bamie. « Une autre nuit, un vent brutal nous a frappés alors que nous dormions à la belle étoile (nous n’avons pas de tente), et nous avons tremblé sous nos couvertures trempées jusqu’au matin. »

Durant ce voyage, il tua des centaines d’oiseaux et de petits gibiers, ainsi que des cerfs, des élans et un grizzly de plus de 500 kg.

Les Badlands, avec leur solitude et leur environnement hostile, avaient commencé à guérir Roosevelt, lui apportant quelque chose qui lui échappait à New York et même pendant ces premiers mois passés dans les plaines.

Vue aérienne de la vallée de Medora, dans le Dakota du Nord, où Theodore Roosevelt possédait autrefois un ranch. Library of Congress (Domaine public)

« J’ai donc pris beaucoup de plaisir », écrivait-il à Bamie le 20 septembre, « et j’ai eu suffisamment d’excitation et de fatigue pour m’empêcher de trop réfléchir ; de plus, j’ai enfin pu bien dormir la nuit. »

Une préoccupation pragmatique

Dans Mornings on Horseback, l’historien David McCullough écrivit que « le bénéfice le plus immédiat et le plus important des Badlands fut de restaurer Roosevelt dans son corps et dans son esprit ».

Roosevelt vécut de 1883 à 1886 dans les Badlands, même s’il retournait souvent à New York. Le transport du bétail, la chasse et les balades à cheval dans les plaines occupaient une grande partie de son temps, mais ses compatriotes étaient toujours surpris de voir qu’après de longues journées, il trouvait encore le temps de lire et d’écrire.

Frontispice de Hunting Trips of a Ranchman, 1885, par Theodore Roosevelt. Internet Archive (Domaine public)

En 1885, il publia Hunting Trips of a Ranchman, dans lequel il détaillait ses aventures. Il adoptait une vision pragmatique de l’avenir de ces territoires.

Conformément à cette période de sa vie, son analyse était empreinte de mélancolie : « La vie libre et au grand air de l’éleveur, la plus agréable et la plus saine d’Amérique, est par nature éphémère », écrivait-il.

« Les larges prairies sans limites ont déjà été circonscrites et seront bientôt restreintes. Ce n’est guère une figure de style que de dire que le flot de la colonisation blanche a, ces dernières années, déferlé sur l’Ouest comme une inondation ; et les éleveurs ne sont que l’écume au sommet de la vague, projetés loin en avant, mais bientôt rattrapés. »

L’Amérique devenait une puissance industrielle, et cette puissance s’accompagnait d’une dévastation environnementale. Roosevelt s’inquiétait de voir les plus beaux paysages du pays tomber aux mains de la commercialisation. Il craignait également que de vastes terres ne deviennent la propriété des riches, reléguant l’Américain moyen à l’écart.

« Par nature, la vie du chasseur est, dans la plupart des endroits, évanescente ; et lorsqu’elle disparaît, il n’existe plus de véritable substitut dans les pays anciens et peuplés », écrivit-il dans The Wilderness Hunter, publié en 1893.

« Chasser dans une réserve privée n’est qu’une triste parodie ; les traits les plus virils et les plus sains de ce sport se perdent avec le changement des conditions. Il nous faut, dans l’intérêt de la communauté tout entière, un système rigoureux de lois sur le gibier, rigoureusement appliqué, et il n’est pas seulement admissible, mais presque nécessaire d’établir, sous le contrôle de l’État, de vastes réserves forestières nationales, qui serviront également de lieux de reproduction et de nurseries pour le gibier sauvage ; mais je regretterais grandement de voir se développer dans ce pays un système de grandes réserves de chasse privées destinées au plaisir des très riches. L’un des attraits essentiels de la vie sauvage est sa démocratie robuste et vigoureuse ; là-bas, chaque homme vaut ce qu’il est réellement, et peut le prouver. »

Dans The Wilderness Hunter (1893), il plaidait pour des lois de chasse strictes et la création de réserves forestières nationales.

Frontispice de The Wilderness Hunter, 1893, par Theodore Roosevelt. Internet Archive (Domaine public)

Protéger la nature sauvage

Roosevelt était bien sûr un homme riche, ce qui rend sa déclaration encore plus convaincante. Il était le fruit des vertus curatives de cette « démocratie robuste et solide ». À la fin de sa période de solitude, Roosevelt était en effet rétabli, tant physiquement que mentalement. La lumière qui avait disparu de sa vie était revenue. Il était prêt à reprendre sa carrière politique, mais surtout, il était prêt à aimer à nouveau. Il se remaria le 2 décembre 1886 avec son amie d’enfance Edith Carow. Roosevelt espérait que tous les Américains, qu’ils soient brisés ou entiers, auraient la chance de découvrir la nature sauvage comme lui.

Son moment arriva en 1901, lorsqu’il devint président après l’assassinat de McKinley. Il lança un vaste plan de préservation : 18 monuments nationaux, 5 parcs nationaux, 55 réserves naturelles, 150 forêts nationales, soit 93 millions d’hectares protégés. Il fonda le U.S. Forest Service et le National Wildlife Refuge System. On le surnomma bientôt « le président de la conservation ».

Lorsque Roosevelt rédigea la préface de The Wilderness Hunter, il chercha à transmettre l’importance de ce qu’il avait vécu personnellement. Il y énumère ce qui semble être l’ensemble des vertus réparatrices de la nature sauvage, des vertus qu’il espérait voir profiter aux Américains des générations futures.

« Nul, sinon celui qui en a fait l’expérience, ne peut comprendre la joie vive de chasser dans les terres solitaires. Pour lui, c’est la joie du cheval bien monté et du fusil bien tenu ; pour lui, les longues journées de labeur et de difficultés, endurées avec résolution et couronnées, au bout du chemin, par le triomphe. Dans les années suivantes reviendront sans cesse à son esprit le souvenir des prairies sans fin miroitant sous le soleil vif ; des vastes étendues enneigées, désertes sous un ciel gris ; des marais mélancoliques ; du tumulte des grands fleuves ; du souffle des forêts d’été ; du murmure des pins cuirassés de glace sous le vent d’hiver ; des cataractes rugissantes entre les montagnes antiques ; de toutes les innombrables visions et sonorités de la nature sauvage, de son immensité et de son mystère, et des silences qui planent dans ses profondeurs immobiles. »

Dustin Bass est le co-fondateur de The Sons of History (Les fils de l'Histoire), une série YouTube et un podcast hebdomadaire sur toutes ce qui concerne l'histoire. Il est un ancien journaliste devenu entrepreneur. Il est également auteur.

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