Des Hittites d’Anatolie aux bâtisseurs d’Angkor, en passant par les Perses d’Asie et le royaume africain d’Aksoum, ces empires oubliés ont, chacun à leur manière, façonné la destinée de continents entiers. Leur gloire s’est éteinte, mais leurs traces demeurent, incrustées dans les pierres, les langues et les mythes des peuples d’aujourd’hui.
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Le sanctuaire central d’Angkor Wat, dans l’actuel Cambodge. Suryavarman II entreprit des réformes religieuses et fit ériger ce temple.
Les grandes civilisations de la Grèce, de Rome et de l’Égypte dominent notre imaginaire collectif, et l’érudit curieux trouvera – rayonnage après rayonnage – des ouvrages consacrés à ces puissants et influents empires de l’Antiquité.
Pourtant, d’innombrables royaumes et empires – rarement évoqués dans les manuels d’histoire – se sont élevés, ont lutté, triomphé puis disparu au cours du long fleuve des siècles.
Voici quatre civilisations méconnues qui, bien qu’éclipsées par des peuples plus célèbres, ont pourtant contribué de manière décisive à façonner le monde tel que nous le connaissons.
L’Empire hittite
La porte du Sphinx, entrée de la cité de Hattusa, dans l’actuelle Turquie, compte parmi les plus grandes sculptures encore visibles de la civilisation hittite. (Crédit photo : Bernard Gagnon/CC BY-SA 3.0)
L’Empire hittite fut l’une des grandes civilisations de l’Antiquité, s’étendant sur l’Anatolie – cette vaste péninsule correspondant à l’actuelle Turquie – et, à son apogée, jusque dans le nord de la Syrie. La civilisation hittite émerge de la brume des âges vers 1700 av. J.-C. et demeure surtout connue grâce aux références de l’Ancien Testament, où les Hittites apparaissent comme les ennemis des Israélites. Selon la Genèse, ils descendraient de Cham, fils de Noé, par Heth, fils de Canaan. Les Hittites sont également mentionnés dans les Lettres d’Amarna, une correspondance diplomatique entre l’Égypte et les royaumes du Proche-Orient ancien.
Leur première capitale se nommait Hattusa, et l’un des fondateurs de l’empire, Hattusili Ier – dont le nom signifie « l’homme de Hattusa » -, reconstruisit la cité et soumit les territoires environnants. Son petit-fils, Mursili, poursuivit l’œuvre militaire de son aïeul en descendant le cours de l’Euphrate et en renversant la dynastie amorrite de Babylone. Près de deux siècles plus tard, durant la seconde grande période de la civilisation hittite, connue sous le nom de Nouveau Royaume (1400–1200 av. J.-C.), les Hittites s’affrontèrent avec l’Égypte pour le contrôle de la Syrie. Ces tensions aboutirent finalement à un traité de paix, à un pacte de défense mutuelle et à des mariages dynastiques entre familles royales hittites et égyptiennes.
Politiquement, le royaume hittite reposait sur la figure d’un monarque tout-puissant, à la fois juge suprême, chef militaire et grand prêtre. Les Hittites croyaient qu’à sa mort, le roi devenait un dieu. Sur le plan culturel et économique, ils formaient un peuple essentiellement agricole. Leur civilisation joua un rôle pionnier dans l’avènement de l’âge du fer, en exploitant les riches filons d’argent et de fer qui striaient le sous-sol anatolien.
L’Empire perse
Les Perses étaient les antagonistes dans le récit de l’historien grec antique Hérodote sur le conflit titanesque entre les peuples anciens de l’Iran moderne et les cités-États grecques. À l’époque des guerres médiques (env. 500 av. J.-C. – 449 av. J.-C.), la Perse était déjà un empire vaste et opulent, tandis que la Grèce n’était encore qu’une confédération désordonnée de tribus en guerre, luttant pour s’imposer comme une puissance majeure dans le monde méditerranéen.
Le conflit entre ces deux puissances joua un rôle déterminant dans la formation du monde antique : la victoire inespérée des Grecs mit un frein à l’expansion perse et fit de la Grèce la force dominante du bassin méditerranéen.
Pourtant, l’empire perse achéménide a perduré longtemps après ces guerres, tout comme il existait bien avant elles. Cyrus le Grand fonda l’empire vers 559 avant J.-C. C’est l’un de ses successeurs, quelques décennies plus tard, Darius Ier, qui envoya pour la première fois des forces armées pour soumettre les Grecs rebelles aux frontières de son empire, qui s’étendait de la Macédoine à l’est jusqu’à la mer d’Aral au nord, et du golfe Persique au désert d’Arabie au sud. Les Perses divisèrent leur territoire en provinces (satrapies) gouvernées par un satrape. Ils régnaient sur les peuples conquis d’une main relativement libérale.
Le tombeau de Cyrus le Grand, situé à Pasargades, en Iran. (Crédit photo : Bernd81/CC BY-SA 4.0)
Au fil des siècles, cependant, les satrapes ont commencé à établir des bases de pouvoir indépendantes et l’armée est devenue un ensemble désordonné et hétéroclite composé de divers peuples parlant différentes langues et utilisant différentes armes. L’empire était en déclin et sur le point de s’effondrer lorsque Alexandre le Grand est arrivé sur la scène en 334 avant J.-C. Les Perses ont néanmoins laissé un héritage durable et ont fourni un modèle pour les empires futurs, tels que celui d’Alexandre lui-même et celui des Romains.
Le royaume d’Aksoum
Le royaume d’Aksoum s’imposa comme une grande civilisation africaine à la fin de l’Antiquité et subsista jusqu’au Moyen Âge. À son apogée, il dominait l’Érythrée, l’actuelle Éthiopie, ainsi que des portions du Yémen, du Soudan, de la Somalie et de l’Arabie saoudite. Sa position géographique, au carrefour de l’Arabie, de l’Afrique et du monde gréco-romain, lui assura une prospérité exceptionnelle durant l’âge d’or de l’Empire romain, en lui donnant accès aux riches routes commerciales de l’époque.
Le climat et la position du royaume offraient également à ses habitants des sols fertiles propices à l’agriculture. Aksoum sut pleinement tirer profit de cette situation avantageuse, exportant or, ivoire, carapaces de tortue, cornes de rhinocéros, encens, myrrhe, émeraudes, sel, animaux et esclaves. Ces précieuses marchandises circulaient depuis Aksoum à travers un vaste réseau d’échanges, pour atteindre des contrées lointaines, jusqu’en Inde et en Chine.
Aksoum eut le mérite d’être la première nation africaine à frapper sa propre monnaie, et le premier État d’Afrique subsaharienne à adopter officiellement le christianisme. Un Phénicien chrétien du nom de Frumence devint conseiller à la cour d’Aksoum et précepteur du jeune prince Ezana. Lorsque celui-ci monta sur le trône, il proclama le christianisme religion d’État. Les monnaies de son règne furent les premières à porter le symbole de la croix. Le royaume atteignit son apogée entre les IIIᵉ et Vᵉ siècles de notre ère, mais finit par décliner avec la montée de l’islam au VIIᵉ siècle – non sans avoir auparavant transmis la foi chrétienne au reste de l’Afrique subsaharienne.
La stèle du roi Ezana, à Aksoum, en Éthiopie. (Crédit photo : Pzbinden7/CC BY-SA 3.0)
L’Empire khmer
Parmi les empires orientaux les plus récents, la civilisation khmère se distingue comme une puissance majeure dans l’histoire politique et artistique de l’Asie du Sud-Est continentale. À l’apogée de sa gloire, cet empire, profondément marqué par la culture indienne, s’étendait sur une grande partie du Cambodge, du Laos, du Vietnam et de la Thaïlande, et se couvrait de cités splendides dotées de systèmes hydrauliques d’une étonnante sophistication.
En 802 de notre ère, le prince cambodgien Jayavarman II proclama l’indépendance du royaume khmer à l’égard d’un État indianisé nommé Java, situé dans l’actuelle Indonésie, et s’attribua les modestes titres de « roi-dieu » et de « maître du monde ». Le royaume qu’il fonda entreprit d’unifier une mosaïque de petits États voisins et s’engagea ainsi sur la voie de l’empire. L’un de ses successeurs, Yasovarman Ier, qui régna à la charnière des IXᵉ et Xᵉ siècles, établit la capitale qui allait devenir Angkor – l’un des plus grands sites archéologiques du monde.
Parmi les autres souverains khmers notables, citons Rajendravarman II, qui régna au milieu du Xe siècle et inaugura une période de prospérité qui dura près de 100 ans. Suryavarman Ier, qui régna du début au milieu du XIe siècle, étendit l’empire jusqu’à l’actuelle Thaïlande et ajouta une trentaine de villes à la couronne khmère.
Suryavarman II étendit encore davantage le pouvoir khmer, entreprit des réformes religieuses et fit ériger le temple d’Angkor Wat. Construit vers 1150 en l’honneur du dieu Vishnou, et sans doute conçu à l’origine comme observatoire astronomique, le temple d’Angkor Wat fut progressivement transformé, à la fin du XIIᵉ siècle, en sanctuaire bouddhiste. Il demeure aujourd’hui le plus vaste monument religieux du monde.
Le sanctuaire central d’Angkor Wat, dans l’actuel Cambodge. Suryavarman II entreprit des réformes religieuses et fit ériger ce temple. (Crédit photo : Jakub Halun/CC BY-SA 4.0)
L’Empire khmer atteignit son apogée sous le règne de Jayavarman VII, à la fin du XIIᵉ et au début du XIIIᵉ siècle. Jayavarman VII régna durant trente ans et se distingua par l’ampleur de ses projets architecturaux et culturels. L’adoption du bouddhisme par l’empire favorisa les échanges culturels avec Ceylan (l’actuel Sri Lanka), l’Inde et la Chine, tout en contribuant à la diffusion des idées et des arts bouddhiques dans l’ensemble de l’Asie du Sud-Est.
Malgré sa vigueur, l’empire khmer finit par succomber à des envahisseurs en 1431, suivant le destin inéluctable de tous les empires. Son peuple a disparu ; ses monuments, pour la plupart, se sont lentement dissous dans la poussière et les sables du temps.
Sous les ruines, la mémoire du monde
Ils ont régné sur des terres aujourd’hui dispersées entre ruines, forêts et déserts. Les Hittites, les Perses, les rois d’Aksoum et les souverains d’Angkor furent tour à tour conquérants, bâtisseurs et visionnaires. Leurs empires se sont effondrés comme s’écroule toute œuvre humaine, mais leur souvenir, patiemment exhumé par les historiens et les archéologues, redonne à l’Histoire sa profondeur.
De ces civilisations effacées, il ne subsiste souvent que des vestiges, des stèles brisées, ou la silhouette d’un temple perdu dans la jungle. Pourtant, derrière ces pierres muettes, se dessine la même ambition universelle : bâtir un monde à l’image de la grandeur des hommes.
Walker Larson enseigne la littérature et l'histoire dans une académie privée du Wisconsin, où il réside avec sa femme. Il est titulaire d'une maîtrise en littérature et langue anglaises, et ses écrits sont parus dans The Hemingway Review, Intellectual Takeout, et dans son Substack, "TheHazelnut".