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Pourquoi la privation de SWIFT pourrait être plus efficace que d’autres sanctions sur le chemin vers la paix en Ukraine

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Le président américain Donald Trump et son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky posent pour une photo avec les dirigeants européens après leur réunion dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche, à Washington, le 18 août 2025.

Photo: Win McNamee/Getty Images

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Durée de lecture: 8 Min.

Lorsque les dirigeants européens et Donald Trump se sont réunis à la Maison-Blanche la semaine dernière, leurs images ont rapidement fait le tour du monde. Le président américain était assis derrière le grand bureau « Resolute desk », entouré de personnalités venues d’outre-Atlantique. Le positionnement des dirigeants et le cadre de l’événement semblaient confirmer un récit familier : Washington mène, l’Europe suit.
Cependant, ces images ne reflétaient pas la véritable situation du point de vue de l’influence – l’influence fondée sur des mécanismes plus discrets qui façonnent de plus en plus le cours des négociations autour de la guerre en Ukraine. Au cœur de cette structure de pouvoir invisible se trouve une institution peu connue – SWIFT, dont le siège est en Belgique, non loin de Bruxelles.
Dans le contexte de la guerre russo-ukrainienne, SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication) est devenue un instrument d’influence décisif. Souvent considérée à tort comme une simple plateforme de messagerie, elle est désormais un moyen stratégique capable de filtrer, de geler et d’exclure. Et dans la guerre en Ukraine, l’exclusion de SWIFT s’est avérée économiquement plus lourde de conséquences que n’importe quelle perte sur le champ de bataille.
Un cas illustre clairement les enjeux : la Rosselkhozbank d’État russe.
Méconnue de la plupart des milieux financiers extérieurs, la Rosselkhozbank joue un rôle essentiel dans l’économie rurale russe. Elle finance environ 15 % du secteur agroalimentaire du pays, notamment les exportations d’engrais et les expéditions de céréales. Moscou a toujours posé sa reconnexion à SWIFT comme condition à la prolongation des accords sur le transport des céréales par la mer Noire, soulignant ainsi l’importance cruciale de l’accès à SWIFT pour le maintien des flux commerciaux, même non liés aux opérations militaires.
Pourtant, cet accès reste limité. Sans SWIFT, la Rosselkhozbank ne peut traiter les paiements transfrontaliers de manière fiable. Les alternatives telles que le SPFS russe sont limitées, connues comme présentant un risque de sanctions et évitées même par certains des partenaires les plus proches de Moscou. Les institutions financières chinoises et turques sont devenues méfiantes. Le contrôle de l’Office de contrôle des avoirs étrangers (OFAC) américain rend la participation dans des affaires avec la banque russe bien coûteuse. Ainsi, sans SWIFT, les exportations russes doivent trouver des solutions de contournement alourdies d’incertitudes, de coûts et de retards.
Washington a manifesté sa flexibilité. Depuis le sommet Trump-Poutine en Alaska, la Maison-Blanche a évoqué l’idée d’un allègement ciblé : des exemptions de sanctions expérimentales liées à des progrès sur les questions humanitaires, le commerce de ressources naturelles, voire une feuille de route pour un cessez-le-feu. Cette approche reflète une stratégie plus large : utiliser l’allègement sélectif des sanctions comme un moyen de pression, et non comme une concession.
Mais l’Europe a un point de vue différent. Lors d’une réunion à Paris en début d’année, les dirigeants de l’Union européenne (UE) ont réaffirmé leur position : aucune banque russe n’aura accès à SWIFT avant le retrait complet des forces russes des territoires ukrainiens occupés. Cette politique n’est pas une simple tactique de négociation – elle est considérée comme fondamentale. La Commission européenne a réitéré cette position, qualifiant le retrait de la Russie de « condition préalable non négociable » à sa réintégration financière.
Cette divergence est significative. Alors que Washington traite les sanctions comme un outil fluide, Bruxelles les considère comme un principe. Et dans le cas de SWIFT, c’est Bruxelles qui détient la clé administrative. Malgré l’influence américaine, SWIFT relève de la juridiction de l’UE. Les décisions concernant l’adhésion, la reconnexion et la conformité à SWIFT passent par la Belgique, et non par Washington.
Et cela compte, car le Kremlin considère la Rosselkhozbank comme bien plus qu’une simple banque : il perçoit sa privation de SWIFT comme un véritable obstacle. Si cette banque peut être reconnectée à SWIFT pour des raisons humanitaires, la porte s’ouvrira à d’autres banques, comme celles de Gazprombank et Sberbank. Chaque nouvelle reconnexion devient un précédent, chaque exception sert à l’érosion du mur des sanctions.
Il n’est pas difficile de percevoir cette stratégie. La Russie lie ses exportations de céréales et d’engrais à l’accès aux services bancaires. La discussion des propositions de cessez-le-feu y est également liée. En associant la connectivité financière à une nécessité humanitaire, Moscou tente de transformer ses besoins opérationnels en moyen d’influencer les négociations.
Le fossé transatlantique dans l’approche à cette question est bien réel. L’administration Trump privilégie une flexibilité mesurée pour obtenir des concessions. Les institutions européennes, moins convaincues par les signes assez vagues manifestés par Moscou, restent dévouées à une conditionnalité stricte.
Cette divergence pourrait devenir plus que rhétorique. Les sanctions de l’UE doivent être renouvelées à l’unanimité de ses pays membres tous les six mois. La Hongrie, déjà marginale en matière de sa politique envers l’Ukraine, continue de menacer de veto. Certaines capitales européennes craignent qu’une pression américaine accrue en faveur d’une plus grande flexibilité ne fragilise la cohésion interne de l’UE. Certaines voix discrètes suggèrent déjà que l’unité par rapport aux sanctions n’est pas chose acquise, qu’elle est conditionnelle et limitée.
C’est tout un paradoxe. Les États-Unis commandent les forces de l’OTAN, mènent la diplomatie et sont un pays qui a fourni l’aide la plus importante à l’Ukraine. Mais l’Europe, en contrôlant l’accès à SWIFT, détient le pouvoir le plus durable sur la réinsertion économique de la Russie.
En fait, il ne s’agit pas de la puissance des armes, mais de la puissance des systèmes.
C’est pourquoi la question de la Rosselkhozbank, en apparence marginale, revêt un poids stratégique. Elle permet de vérifier si la politique de sanctions reste intacte ou commence à se fragmenter sous les pressions politiques et économiques. Elle mesure si l’unité transatlantique est résiliente ou conditionnelle. Et cela permet de voir si l’engagement européen en matière de sanctions est compatible avec la volonté de Washington de conclure des accords.
L’image de Donald Trump entouré des dirigeants européens fait peut-être la une des journaux, mais les décisions qui façonneront l’issue de la guerre en Ukraine pourraient bien se prendre dans des salles de conférence à des milliers de kilomètres de là – à Bruxelles, et non à Washington.
Derrière cette divergence discrète se cachent des divergences plus profondes : celles concernant les questions des délais, des conditions et des outils utilisés pour mettre fin à la guerre en Ukraine. Et, en fin de compte, peut-être celles d’influence.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

Tanvi Ratna est la fondatrice du groupe de réflexion sur les politiques technologiques émergentes Policy 4.0. Elle a travaillé au Capitole au sein de la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants du GOP et a également travaillé sur la stratégie de campagne du Premier ministre Modi. Vous pouvez suivre son travail sur X et Substack.

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