Lorsque le président Donald Trump et le président russe Vladimir Poutine se rencontreront à Anchorage le 15 août, leur poignée de main fera les gros titres. Mais la véritable histoire est plus profonde : il s’agit d’une campagne de pression calibrée qui a duré tout l’été et qui a amené deux grandes puissances, et leurs partenaires stratégiques, dans la même pièce.
L’Ukraine n’est pas seule en cause. Il s’agit d’un test de résistance pour la capacité de l’Amérique à influencer les actions de deux grandes puissances rivales – la Russie et la Chine – sans tirer un seul coup de feu.
Le front énergétique : cibler la ligne de ressources vitales
En février, la production pétrolière de Moscou a subi un nouveau coup dur. Les sanctions, les frappes de drones et le durcissement des règles d’assurance maritime ont rendu la Russie de plus en plus dépendante de l’Inde et de la Chine pour l’achat de son brut. Selon les données de transport maritime de Kpler, en juillet 2025, près de 1,9 million de barils par jour de pétrole russe ont été importés par l’Inde, soit plus que par tout autre pays.
Le 6 août, M. Trump a doublé les droits de douane sur les produits indiens pour les porter à 50 %, citant les achats croissants de New Delhi de brut russe à prix réduit. Deux jours plus tard, il a menacé d’imposer des droits de douane allant jusqu’à 100 % à tout pays achetant du pétrole russe, s’attaquant ainsi directement aux revenus dont Moscou a besoin pour financer sa guerre.
Pour Washington, il s’agissait d’un véritable exercice stratégique : au lieu d’attaquer directement la Russie, les États-Unis ont ciblé les artères qui acheminent leurs flux financiers, utilisant leur influence commerciale sur des partenaires comme l’Inde pour étouffer les options du Kremlin. Pour M. Poutine, le signal était clair : l’Amérique pouvait transformer ses amis en points de pression.
Le goulot d’étranglement financier : contrôler les artères
Avant même la vague de droits de douane, Moscou s’efforçait d’obtenir une concession clé : sa réintégration dans le réseau bancaire SWIFT. En mars, la Russie a présenté une « liste de souhaits » aux responsables américains et européens, avec Rosselkhozbank – un prêteur agricole lié à l’État – en tête.
La réponse de Washington a été délibérément mitigée. Le Trésor américain a laissé expirer une licence russe de financement de l’énergie, maintenant ainsi la pression à un niveau élevé, mais a fait part de son ouverture conditionnelle au rétablissement de l’accès au [système interbancaire] SWIFT pour la Rosselkhozbank sous réserve que la Russie prenne des mesures vérifiables en vue d’un cessez-le-feu. L’Union européenne, quant à elle, a affirmé que toute décision concernant le SWIFT nécessitait son approbation.
Pour la Russie, le privilège d’une utilisation du SWIFT ne concerne pas seulement l’agriculture. C’est la première brèche dans le mur de l’isolement financier. Pour Washington, c’est un levier – l’équivalent moderne du contrôle de l’accès aux voies maritimes mondiales – qui peut être activé ou désactivé pour faire avancer les négociations.
Le levier militaire : exercer la pression
L’aide militaire a également été un élément variable. En juillet, le Pentagone a brièvement suspendu ses livraisons de munitions de précision à l’Ukraine, pour les reprendre quelques jours plus tard après un examen. Cette pause a été largement interprétée dans les cercles diplomatiques comme un signal adressé à Moscou, lui indiquant que la pression sur le champ de bataille pouvait être modulée en fonction des négociations.
Mais le soulagement fut de courte durée. En quelques semaines, M. Trump a ordonné la livraison de systèmes de missiles Patriot à l’Ukraine – Kiev prenant en charge la totalité du coût – et le Département d’État a notifié au Congrès des États-Unis l’achat de véhicules de combat Bradley pour 150 millions de dollars et de systèmes de missiles HAWK pour 172 millions de dollars. Le Kremlin s’est ainsi vu rappeler que l’Amérique pourrait reprendre l’escalade si les pourparlers échouaient.
L’échiquier multipolaire : plus de deux joueurs
Tandis que la chorégraphie américano-russe se déroulait, Pékin observait attentivement la situation. Les importations chinoises de brut russe ont augmenté au deuxième trimestre 2025, mais la perspective de droits de douane secondaires américains a donné aux planificateurs chinois une raison de garder leurs options ouvertes.
Au Moyen-Orient, Riyad a accueilli des discussions ministérielles discrètes entre responsables américains et russes, explorant une éventuelle normalisation des relations diplomatiques et un allègement ciblé des sanctions. Ces discussions se sont déroulées parallèlement aux offres américaines de coopération dans l’Arctique – routes commerciales, exploration énergétique et même coentreprises dans le domaine des terres rares – qui pourraient représenter des bénéfices d’après-guerre pour la Russie.
En arrière-plan, l’expansion des BRICS se profilait. Moscou s’est appuyé sur le bloc pour faire contrepoids aux sanctions occidentales, mais sans un allègement des systèmes financiers contrôlés par les États-Unis, son influence au sein des BRICS risque d’être plus symbolique que structurelle.
L’Alaska comme scène et signal
Le choix d’Anchorage ne se résume pas à des considérations logistiques. Historiquement, les sommets américano-russes se sont tenus à Genève, Helsinki ou Reykjavik, lieux imprégnés du symbolisme de la Guerre froide et de la médiation européenne. L’Alaska inverse la donne. La rencontre se déroule sur le territoire américain, mais loin du théâtre politique de Washington, et à proximité des discussions sur l’Arctique, qui sont à l’ordre du jour depuis des mois.
Pour M. Trump, c’est l’occasion d’accueillir un événement sans donner l’impression de concéder quoi que ce soit. Pour M. Poutine, c’est un lieu qui peut être perçu comme neutre et pragmatique, et non comme un pèlerinage dans la capitale américaine.
Qu’y a-t-il sur la table ?
Les négociateurs devraient se concentrer sur :
• Reconnexion SWIFT : commencer par Rosselkhozbank comme première mesure de renforcement de la confiance.
• Calendrier de levée des sanctions : allègement progressif lié à des mesures de cessez-le-feu vérifiables.
• Projets énergétiques et miniers : coopération post-conflit sur les routes arctiques, GNL et terres rares.
• Conditions du gel militaire : Suspension progressive de l’aide américaine à l’Ukraine si la Russie s’y conforme.
Les deux camps gardent leurs leviers les plus puissants en réserve. M. Trump peut encore déployer des sanctions secondaires complètes ou modifier la posture avancée de l’OTAN. M. Poutine peut intensifier ses hostilités sur de nouveaux théâtres d’opérations ou accélérer les initiatives monétaires des BRICS.
Les enjeux
Le sommet de l’Alaska n’est pas une conférence de paix. C’est un véritable test du « réseau de pression » avec quatre leviers interdépendants : les flux énergétiques, les ressources financières vitales, le rythme militaire et la posture diplomatique. Au cours des six derniers mois, chaque action a visé à réduire la marge de manœuvre de l’autre camp.
Si la réunion aboutit à un gel, même temporaire, des hostilités, elle démontrera que les États-Unis peuvent faire plier leurs rivaux grâce à des multiplicateurs de force économiques, financiers et diplomatiques, et pas seulement par leur puissance militaire. En cas d’échec, cela pourrait marquer le début d’un rapprochement plus marqué entre Moscou et Pékin, avec des répercussions en Europe, au Moyen-Orient et dans la région indopacifique.
Quoi qu’il en soit, le chemin vers Anchorage nous rappelle que dans la politique des grandes puissances, la poignée de main visible n’est que le dernier mouvement d’un jeu beaucoup plus long.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.