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Opinion

Pierre Bentata : « Les Argentins ont compris que les réformes de Milei, bien que difficiles à supporter, étaient nécessaires »

ENTRETIEN – Dimanche 26 octobre, le parti de Javier Milei, La Libertad Avanza a largement remporté les élections législatives de mi-mandat en Argentine avec 40,7 % des suffrages, déjouant ainsi les pronostics. De son côté, l’alliance péroniste Fuerza Patria a seulement récolté 31,6 % des voix.

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Photo: Crédit photo : Pierre Bentata

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Durée de lecture: 9 Min.

Pierre Bentata est économiste et essayiste libéral. En renouvelant leur confiance dans Javier Milei, les Argentins ont montré qu’ils étaient pragmatiques, salue-t-il.
Epoch Times – Quelle lecture faites-vous de la victoire surprise de Javier Milei ? 
Pierre Bentata – Vous venez de le dire. Cette victoire est une surprise. Javier Milei a été tellement moqué et critiqué par les médias européens et notamment français que personne ne s’attendait à un tel score.
Tout cela montre bien que nous avons vraiment du mal à comprendre comment d’autres pays et sociétés fonctionnent, à commencer par la société argentine.
Nous nous sommes montrés incapables de comprendre les espoirs que Javier Milei nourrit auprès des Argentins, fatigués par des décennies de système péroniste. Un système peu éloigné du socialisme qui se maintenait au pouvoir grâce à la manipulation de la monnaie.
Je note également le pragmatisme du peuple argentin. Les réformes structurelles ont été difficiles à supporter. Mais les Argentins ont compris qu’elles étaient nécessaires et que Javier Milei avait besoin d’avoir la main sur le Congrès pour mettre en œuvre le reste de son programme.
Les Argentins sont-ils, dans l’ensemble, satisfaits de la politique qu’il mène depuis son arrivée au pouvoir en 2023 ?
C’est une bonne question ! Nous appelons cela en économie le paradoxe entre les préférences déclarées et les préférences démontrées.
Quand on regarde la situation économique du pays, elle s’est améliorée au niveau macroéconomique. En Argentine, la croissance est repartie, les finances ont été enfin assainies, et le taux de pauvreté a baissé, même s’il reste important.
Selon certaines enquêtes d’opinion, 60 % des Argentins disent avoir des difficultés à boucler leurs fins de mois.
En même temps, lors des élections, ils renouvellent leur confiance dans le parti de Milei.
Cela montre qu’il y a toujours chez les Argentins cette volonté de mettre un terme à des années de péronisme et d’essayer une politique libérale.
Quels sont les plus grands succès de la politique économique du président argentin ? La baisse de l’inflation et la chute de la pauvreté ?
 Le parcours de Milei nous enseigne une chose : son combat, en bon libéral de l’école autrichienne, c’est celui contre l’inflation.
Dans la vision de l’école autrichienne, l’inflation est le problème fondamental parce qu’elle empêche de faire des calculs intertemporels. C’est-à-dire la possibilité de penser à la rentabilité des investissements, en somme, la rentabilité des politiques publiques.
Milei s’est donc concentré sur ce point, et on peut affirmer que pour l’instant, sa politique est couronnée de succès. L’Argentine est passée de 25 % d’inflation par mois en décembre 2023 à 2 % d’inflation par mois aujourd’hui.
Même s’il reste encore beaucoup à faire, le pays est incontestablement sur la bonne voie.
En même temps, le président argentin a assaini les comptes publics. L’Argentine a enfin renoué avec l’excédent budgétaire en 2024. Une première en douze ans.
Et du côté des entreprises, la confiance est de retour. Elles embauchent, augmentent les salaires et lancent de nouveaux projets, faisant ainsi mécaniquement baisser la pauvreté.
Javier Milei a prouvé l’efficacité de la théorie du ruissellement, très décriée en France.
 Quid des défis économiques que Javier Milei doit encore relever ?
Ils sont énormes. La situation reste très précaire en Argentine puisque le système offre au Congrès et aux syndicats des marges de manœuvre considérables, bloquant toute volonté de réforme.
Le droit du travail demeure, par ailleurs, très complexe pour les entreprises et ne protège pas suffisamment les employés. Un ancien conseiller du président parlait même de « système communiste. »
Le pays est donc sur la bonne voie, mais des réformes structurelles supplémentaires doivent être mises en œuvre.
Mais pour ce faire, il ne faut surtout pas qu’il y ait une crise de confiance au niveau international.
La possibilité pour Milei de mettre en place ces politiques vitales, tient au fait qu’il puisse faire rouler la dette abyssale de l’Argentine. C’est-à-dire emprunter régulièrement pour rembourser les intérêts des dettes passées.
Autrement dit, maintenir un peso fort par rapport au dollar. Le président argentin a donc besoin de dollars pour atteindre cet objectif. C’est la raison pour laquelle il s’est tourné vers Donald Trump et le FMI.
L’Argentine est donc toujours en proie à une instabilité économique, et le chemin du succès est étroit pour Milei. Il l’est d’autant plus que les prochaines élections présidentielles vont se tenir dans seulement deux ans.
 Libéral, néolibéral, libertarien. Quel terme se rapproche le plus de Javier Milei et de sa politique ?
En réalité, Javier Milei est un libéral classique. Il n’y a qu’à se pencher sur ses références pour s’en convaincre, à savoir Friedrich Hayek, Jean-Baptiste Say et Frédéric Bastiat. Ce sont tous des libéraux classiques.
Et même s’il a exprimé à plusieurs reprises une vraie défiance vis-à-vis de l’État, il ne considère pas pour autant qu’il doit être détruit. On peut donc difficilement le qualifier d’anarchiste ou de libertarien.
En outre, il est animé par cette idée très Hobbesienne que l’État est un Léviathan et que s’il grossit trop, il finit par nuire à la population.
Parlons désormais de la situation en France. Diriez-vous qu’aujourd’hui le libéralisme est incarné politiquement ?
 Il y a des personnalités politiques libérales à l’instar de Guillaume Kasbarian, David Lisnard ou même Alain Madelin à travers le projet Kairos, mais on ne peut pas dire qu’il soit complètement incarné politiquement.
Guillaume Kasbarian n’a pas de surface politique et médiatique suffisante pour pouvoir réellement l’incarner. David Lisnard est coincé par les appareils politiques. Il est toujours chez les Républicains, alors qu’ils n’ont pas du tout d’ADN libéral. Et Alain Madelin ne peut pas se relancer en politique.
Il va donc falloir attendre avant de voir un « Javier Milei français » émerger ?
L’histoire nous apprend que des politiques libérales sont mises en œuvre dans les démocraties uniquement lorsqu’elles sont au pied du mur. Nous l’avons vu avec le Portugal et l’Argentine.
Mais la France est malheureusement victime de sa très bonne réputation. Elle bénéficie, à tort, d’un traitement anormal sur les marchés par rapport à ses voisins européens.
Ce traitement de faveur fait qu’elle n’est pas considérée comme un pays en faillite et à la fin, les Français ne comprennent toujours pas qu’il est temps de redresser la barre.
Et le biais anti-libéral de la plupart des médias traditionnels n’arrange rien dans cette affaire.
Regardez comment ils ont fait la promotion de la taxe Zucman ces derniers mois. Il va donc être très difficile pour un candidat libéral d’émerger dans les années à venir.
À mon avis, un parti politique authentiquement libéral ne va pas voir le jour avant au moins dix ans en France.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.