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« Dégage la France » : la colère anti-française embrase Madagascar après la fuite de l’ex-president Rajoelina

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Une manifestation de la société civile exigeant la démission de Rajoelina à Antananarivo, le 14 octobre 2025.

Photo: LUIS TATO/AFP via Getty Images

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Durée de lecture: 7 Min.

Les rues d’Antananarivo ont été le théâtre, ces derniers jours, de manifestations marquées par de nombreuses pancartes proclamant « Dégage la France » ou « Dégage Rajoelina et Macron ».

L’exfiltration du président Andry Rajoelina à bord d’un avion militaire français, rapportée par RFI, a ravivé un vieux ressentiment contre l’ex-puissance coloniale. Pour Koloina Andrianina Rakotomavonirina, ingénieure de 26 ans, cette intervention est insupportable : « Les Français nous colonisent encore, alors que nous sommes censés être indépendants. » Et d’ajouter : « C’est injuste qu’ils interviennent dans une affaire pareille. »

Fuite de Rajoelina et incertitude politique

Dans la nuit de mercredi à jeudi, l’entourage de l’ex-président Andry Rajoelina, destitué mardi par un vote de l’Assemblée nationale malgache, a confirmé pour la première fois que le président déchu avait « quitté le pays » entre le 11 et le 12 octobre.
Ce départ est intervenu après que « des menaces explicites et extrêmement graves ont été proférées contre la vie du chef de l’État », précise un communiqué de son entourage transmis à l’AFP dans la nuit.
C’est la première fois qu’Andry Rajoelina reconnaît son départ depuis que la radio française RFI avait annoncé son exfiltration dimanche. Lors d’une allocution lundi, il avait dit s’être réfugié dans un « lieu sûr », sans plus de précision.

L’Assemblée nationale l’a depuis destitué, ouvrant la voie à un régime militaire. Parmi les slogans des manifestants, l’un résume un sentiment profond : « Nous ne voulons pas d’un président français pour Madagascar », en référence à la double nationalité de Rajoelina, révélée en 2023.

Méfiance historique envers Paris

Cette défiance envers Paris s’ancre dans l’histoire. « Dans la perception malgache, la France, c’est la colonialité », analyse Christiane Rafidinarivo, chercheuse associée au Cevipof. La mémoire de la colonisation, achevée en 1960, reste marquée par la répression sanglante de l’insurrection de 1947, qui fit des dizaines de milliers de victimes. « Cette perception court dans l’opinion publique et s’active selon l’actualité », ajoute-t-elle.

Avant de disparaître, Andry Rajoelina avait gracié deux détenus : le Franco-Malgache Paul Maillot et l’ancien colonel Philippe François, impliqués dans une tentative de coup d’État. Ce geste a nourri les accusations d’un « marchandage entre Français », selon les manifestants.

Une légitimité contestée depuis 2009

Andry Rajoelina, arrivé au pouvoir en 2009 après un mouvement appuyé par les militaires, avait déjà suscité la méfiance de certains, dont l’ex-président Marc Ravalomanana. Ce dernier l’a accusé d’avoir bénéficié du soutien de Paris pour « coloniser à nouveau » le pays. En 2011, alors président de transition, Rajoelina avait été reçu à Paris par Nicolas Sarkozy, un épisode que beaucoup n’ont pas digéré. « Les gens n’ont pas pardonné à la France d’avoir donné à Rajoelina une forme de légitimité », explique le chercheur Adrien Ratsimbaharison. « Ils soupçonnaient aussi Sarkozy d’avoir aidé financièrement Rajoelina pour renverser Ravalomanana. »

La polémique sur la nationalité française de Rajoelina

Depuis la révélation de sa nationalité française, acquise selon le Journal officiel en 2014, les critiques se sont amplifiées. Rajoelina parle de « réintégration » liée à son père, ses opposants évoquent une naturalisation. « Le sentiment anti-français a repris depuis l’élection de 2023, car l’opposition l’a accusé d’être un agent de la France », poursuit Ratsimbaharison.

Antifrançaisisme et rancœurs économiques

Ce ressentiment s’alimente aussi de la situation économique. Madagascar attire de nombreuses entreprises françaises, notamment dans les centres d’appel des zones franches, où le salaire moyen tourne autour de 800.000 ariarys (environ 150 euros). « J’en avais marre d’être insulté par des Français », confie Mampionona Razafinjoelina, 27 ans, qui a quitté son emploi dans un centre d’appel. S’ajoutent à cela les contrats attribués à des sociétés françaises — comme le téléphérique ou l’autoroute d’Antananarivo — et la réputation du pays comme destination du tourisme sexuel, nourrissant un sentiment d’exploitation.

Des rumeurs ont également circulé sur un hypothétique déploiement de gendarmes français pour réprimer les manifestations, exacerbant la colère.

Les réactions de Paris

Dans ce climat tendu, Emmanuel Macron s’est abstenu de confirmer toute implication française, se contentant d’exprimer sa « grande préoccupation » face à la situation. Pourtant, quelques mois plus tôt, il s’était rendu à Madagascar pour prôner le « pardon » des pages coloniales et avait restitué des restes humains de victimes de la répression coloniale. Début septembre, Rajoelina avait lui-même accueilli, lors d’une cérémonie à Antananarivo, trois crânes restitués par la France. Moins d’un mois plus tard, commençait la contestation menée par la « Génération Z ».

Cette explosion de colère s’inscrit dans un contexte plus large de recul de l’influence française en Afrique, déjà contestée par des régimes issus de coups d’État militaires au Niger, au Mali et au Burkina Faso. Madagascar, à son tour, semble s’éloigner d’une France perçue comme toujours trop présente.

Des campagnes de désinformations étrangères

Néanmoins, plusieurs observateurs notent que ce sentiment anti-français fait l’objet d’une instrumentalisation par des puissances étrangères, notamment la Russie. Des campagnes de désinformation associées à des réseaux pro-russes ont déjà été repérées en Afrique, visant à discréditer Paris.
À Madagascar, certaines pages sur les réseaux sociaux relayent des narratifs hostiles à la France similaires à ceux diffusés au Sahel. Dans d’autres pays, comme le Mali ou le Niger, des médias liés au groupe Wagner ou à la diplomatie russe ont contribué à attiser la défiance envers la France, transformant une colère locale en un outil d’influence géopolitique.
Avec AFP