Lisier, pneus usagés et autres déchets agricoles ont été déversés devant des sites symboliques : la préfecture, le palais de justice, la Direction départementale de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations, ainsi que la Direction départementale des territoires et les locaux de la Mutualité sociale agricole. Cette manifestation nocturne traduit l’exaspération croissante d’une profession qui se sent abandonnée par les autorités.
La justice saisie après les débordements
Face à l’ampleur des dégradations constatées, le parquet d’Agen n’a pas tardé à réagir. Une enquête pénale a été ouverte dès le lendemain des faits. Les chefs d’accusation retenus incluent notamment les « dégradations de biens » et « l’abandon illégal de déchets » sur la voie publique. Cette intervention judiciaire intervient alors que les tensions entre le monde agricole et les pouvoirs publics atteignent un point de rupture dans le département du Lot-et-Garonne.
Anticipant cette mobilisation, le représentant de l’État avait pris les devants mercredi en reportant une réunion initialement prévue vendredi matin. Cette rencontre devait rassembler les différents représentants du secteur agricole départemental, dans l’objectif d’« entendre les préoccupations » de la profession et de « répondre à ses difficultés ». Un report qui n’a manifestement pas suffi à calmer les esprits.
« Deux ans de lutte pour rien »
Le responsable de la CR47, José Pérez, n’a pas mâché ses mots en s’adressant aux manifestants. « Ça fait deux ans qu’on a commencé à manifester. Deux ans après, rien ne bouge, rien ne change. Ici, 10% des agriculteurs vont déposer le bilan, soit 500 exploitations, et 75% sont dans une situation financière très difficile », a-t-il déclaré avec amertume. Le dirigeant syndical accuse directement le préfet de « fuir ses responsabilités » et le gouvernement de « mépriser » les agriculteurs.
La détresse économique du secteur est palpable dans ces chiffres alarmants. Avec un exploitant sur dix menacé de faillite imminente et les trois quarts confrontés à de graves difficultés financières, le monde paysan lot-et-garonnais traverse une crise sans précédent.
Paris dans le viseur des manifestants
Loin de marquer la fin du mouvement, cette action nocturne pourrait n’être qu’un prélude à une mobilisation d’ampleur nationale. José Pérez l’a clairement annoncé à ses troupes : « Il va falloir monter à Paris rapidement (…) Il faut à un moment donné qu’on se fasse voir, qu’on se fasse entendre (…) On est en train de voir au niveau national comment on s’organise ».
Le leader syndical a déjà identifié ses prochaines cibles : « les organismes qui ne nous servent à rien et nous font chier tous les jours ». Plus significatif encore, il a évoqué une possible action à Matignon, siège du gouvernement. « Et après, par principe, il faudra aller faire un tour à Matignon », a-t-il lancé, ajoutant avec pragmatisme : « On ne partira pas en tracteur parce qu’on est trop visible, il faudra partir en voiture ».
Un climat national explosif
La contestation dépasse largement les frontières du Lot-et-Garonne. Le syndicat local s’était déjà mobilisé jeudi en Ariège, aux côtés de la Confédération paysanne, pour contester l’abattage de plus de 200 bovins suite à la détection d’un cas de dermatose nodulaire contagieuse (DNC). La CR47 avait alors qualifié la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, de « pompier pyromane ».
La Confédération paysanne a publié un communiqué virulent, dénonçant l’attitude des pouvoirs publics : « L’État ne veut plus entendre les paysans. L’État persiste à les ignorer, à appliquer des politiques mortifères qui détruisent les fermes, les vies, et les territoires ». Le syndicat appelle désormais « tous les citoyens » et les élus à « rejoindre le mouvement » paysan.
Le mécontentement s’étend également à Bordeaux, où des agriculteurs de la Coordination rurale se sont rassemblés durant la même nuit. Plusieurs bennes de déchets agricoles ont été déversées près de bâtiments administratifs, tandis qu’une carcasse animale a été suspendue sur la façade de l’un d’entre eux, illustrant la radicalisation du mouvement de protestation.
Avec AFP