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L’Œuf impérial « Hiver » de Fabergé en vente chez Christie’s
Chef-d’œuvre ultime de Fabergé, l’Œuf d’Hiver, créé en 1913 pour la famille Romanov, s’apprête à passer sous le marteau chez Christie’s. Pièce d’une virtuosité technique inégalée, mêlant cristal de roche, platine et diamants, cet objet impérial rarissime pourrait dépasser les 22 millions d'euros lors de sa mise en vente en décembre

« L'Œuf d'Hiver », conçu par Alma Pihl, est un œuf de Pâques impérial Fabergé d’une importance majeure et d’une beauté exceptionnelle.
Photo: Christie’s
L’Œuf d’Hiver fait partie des 50 célèbres œufs de Pâques impériaux créés par la prestigieuse maison russe Fabergé entre 1885 et 1916 pour la famille impériale Romanov. Ces objets d’art incarnent l’apogée de la création artistique de la fin du XIXᵉ et du début du XXᵉ siècle. La plupart des exemplaires conservés appartiennent aujourd’hui à des musées. Seuls sept d’entre eux, dont l’Oeuf d’Hiver de 1913, demeurent entre des mains privées.
Le 2 décembre 2025, Christie’s Londres mettra aux enchères l’Oeuf d’Hiver aux côtés d’autres œuvres majeures de Fabergé, issues d’une collection princière. Cette pièce poétique, exceptionnelle par sa beauté esthétique et l’éclat de sa virtuosité technique, est estimée à plus de 26 millions de dollars (soit plus de 22 millions d’euros).
La tradition joaillière des tsars
En 1885, Alexandre III de Russie inaugura la tradition des œufs de Pâques impériaux, commandés à Fabergé pour être offerts à l’impératrice. Le joaillier bénéficiait d’une totale liberté dans le choix du thème et de l’exécution du précieux objet, qui renfermait généralement une surprise. Après la mort d’Alexandre III en 1894, son fils, Nicolas II, perpétua et enrichit cette coutume.

(À g.) Alexandre III et son épouse, l’impératrice Maria Feodorovna, en vacances à Copenhague en 1893 ; (à dr.) la photo officielle des fiançailles du tsar Nicolas II et d’Alexandra Feodorovna en avril 1894. (Domaine public)
À chaque Pâques, Nicolas II demandait à Fabergé de réaliser un œuf pour sa mère, la grande-duchesse Maria Feodorovna, et un autre pour son épouse, l’impératrice Alexandra Feodorovna. La plupart de ces pièces représentaient de véritables défis techniques et demandaient un travail d’une extrême minutie. Leur conception s’étendait sur près d’un an et mobilisait une multitude d’artisans : dessinateurs, lapidaires, sertisseurs, émailleurs, graveurs et polisseurs.
L’artisan de génie derrière le prestige mondial de Fabergé était Peter Carl Fabergé (1846–1920). Formé comme orfèvre, il reprit à 26 ans le petit atelier de joaillerie fondé par son père. Il en fit une marque internationale, synonyme d’opulence et de virtuosité. Comptant 500 employés, l’entreprise devint la plus importante du genre au monde. La maison Fabergé produisait des bijoux délicats, d’élégantes sculptures d’animaux en pierres dures, des pendules, étuis à cigarettes, boîtes, cadres et, surtout, ses fameux « œufs », considérés comme son accomplissement suprême. Ces créations féeriques, souvent inspirées du rococo ou du néoclassicisme, étaient commandées par la famille impériale et de prestigieux mécènes.
Outre les Romanov, Fabergé fournissait également la royauté britannique et danoise (toutes deux liées par mariage), l’aristocratie européenne et les nouveaux riches. La Révolution russe de 1917 mit fin non seulement au règne des Romanov mais aussi à la dynastie Fabergé. La maison fut nationalisée, et Peter Carl Fabergé dut s’exiler ; il mourut peu après en Suisse.
L’œuf hivernal d’Alma Pihl
La créatrice de l’Oeuf d’Hiver était une exception au sein des ateliers Fabergé : une femme. Alma Pihl (1888–1976) était issue d’une illustre lignée d’orfèvres. Petite-fille du maître d’atelier de Fabergé, August Holmstrom, fille du maître orfèvre Knut Oscar Pihl et nièce d’Albert Holmstrom, joaillier en chef de la maison, elle révéla très tôt un talent pour le dessin et demeura en grande partie autodidacte. En 1908, à seulement 20 ans, elle rejoignit l’atelier de son oncle en tant que dessinatrice.
Le tournant décisif de la carrière d’Alma Pihl survint en janvier 1911. La maison lui confia une importante commande d’Emanuel Nobel, prestigieux client qui avait demandé 40 petits bijoux. En quête d’inspiration, Alma Pihl leva les yeux vers la fenêtre de l’atelier de Saint-Pétersbourg et fut frappée par l’éclat du soleil traversant les motifs fractals de givre qui tapissaient la vitre, tels des fleurs gelées. Elle eut alors l’idée d’utiliser le cristal de roche, le platine et les diamants taille rose pour créer de délicats bijoux inspirés de l’hiver.

(À g.) Peter Carl Fabergé, l’esprit visionnaire de la maison, au travail à Saint-Pétersbourg dans les années 1900. (À dr.) Alma Pihl, créatrice de l’Oeuf d’Hiver, photographiée vers 1910. (Domaine public)
Séduit par ces créations, Nobel commanda de nombreuses pièces supplémentaires et acheta les droits du concept. Ces bijoux de givre comptent parmi les œuvres les plus appréciées et les plus avant-gardistes jamais produites par Fabergé. Ils repoussent les limites techniques du travail du cristal de roche – extrait des montagnes de l’Oural – pour donner naissance à des designs totalement originaux.
Alma Pihl apporta d’autres contributions majeures à Fabergé au cours de sa brève carrière au sein de la maison, brutalement interrompue par la Révolution russe ; elle émigra ensuite en Finlande. Durant son passage chez Fabergé, elle conçut deux œufs impériaux.

L’Œuf Mosaïque et sa surprise, contenant un portrait des cinq enfants du tsar Nicolas II et d’Alexandra, exposés à la Queen’s Gallery de Londres. (John Phillips/Getty Images)
L’Œuf Mosaïque, réalisé en 1914, appartient aujourd’hui au Royal Collection Trust. Considéré comme l’un des œufs impériaux les plus complexes sur le plan technique et artistique, il s’inspire du travail au petit-point qu’Alma Pihl observait chez sa belle-mère. Sa destinataire, Alexandra Feodorovna, appréciait d’ailleurs beaucoup cette activité. Les motifs de l’œuf sont composés de pierres précieuses et semi-précieuses parfaitement taillées, polies et calibrées, serties dans une armature de platine. La surprise qu’il renferme est un médaillon peint représentant les cinq enfants de Nicolas II et d’Alexandra, posé sur un socle orné de bijoux.
L’année 1913 fut essentielle pour la dynastie Romanov, car elle marquait son tricentenaire. Fabergé réalisa alors deux œufs impériaux exceptionnels. Nicolas II offrit à son épouse, Alexandra Feodorovna, le majestueux Œuf du Tricentenaire des Romanov, contenant un globe rotatif – aujourd’hui conservé en Russie, au musée de l’Arsenal du Kremlin -, et à sa mère l’Œuf d’Hiver conçu par Alma Pihl.

L’Œuf du Tricentenaire des Romanov présenté au Victoria and Albert Museum de Londres lors de l’exposition « Fabergé : Romance to Revolution » en 2021 à Londres. (Justin Tallis/Shutterstock)
Emanuel Nobel accepta de suspendre temporairement ses droits sur le motif de givre, permettant ainsi à Alma Pihl de créer un Œuf impérial sur le thème de l’hiver. L’Œuf d’Hiver symbolise la transition entre l’hiver rigoureux et le printemps, saison vibrante de renouveau. Un symbole parfaitement adapté à Pâques, évoquant l’idée de résurrection. Son style marque une rupture nette avec les précédents œufs de Fabergé, inspirés de l’histoire de l’art : la vision d’Alma Pihl est résolument originale et moderne. La facture témoigne d’un prix de 24 600 roubles (l’équivalent en moyenne de 2 millions d’euros actuels), le plus élevé jamais demandé pour un Œuf impérial avant la Révolution.
L’objet est taillé dans un cristal de roche d’une finesse exceptionnelle. L’extérieur de l’œuf, haut d’env. 14 cm, présente des motifs de flocons de neige formés de diamants sertis dans le platine. L’intérieur est gravé d’un décor de givre. Le socle, en cristal de roche également, évoque un bloc de glace fondant, avec une ornementation en platine sertie de diamants taille rose. Au lieu de flocons, on y voit couler de délicats ruisselets.

L’Œuf d’Hiver 1913, conçu par Alma Theresia Pihl pour Fabergé. L’œuf avec son socle mesure env. 14,3 cm de hauteur, et la « surprise » env. 8,3 cm. (Christie’s)
La surprise de l’œuf, haute d’env. 8,3 cm, est un panier ajouré en platine rempli d’anémones des bois, l’une des premières fleurs du printemps. Les pétales sont en quartz blanc finement sculpté, les feuilles en néphrite, le tout reposant sur un lit de mousse d’or.
Lorsque la Révolution éclata, l’Œuf d’Hiver fut confisqué à la famille impériale. Il fut transporté de Saint-Pétersbourg à l’Arsenal du Kremlin à Moscou, avec de nombreux trésors des Romanov. À la fin des années 1920, l’Union soviétique, à court de liquidités, le vendit à Wartski, à Londres, spécialiste des bijoux anciens. L’œuf passa ensuite entre plusieurs collections privées. Entre 1975 et 1994, sa trace disparut : on le croyait perdu.
Il réapparut en 1994 lors d’une vente Christie’s à Genève, où il fut adjugé 7 263 500 francs suisses (environ 2,87 millions de dollars en 2025), un record mondial pour une œuvre Fabergé. En 2002, il se vendit de nouveau chez Christie’s, à New York, pour 9,58 millions de dollars (ce qui représente environ 17,25 millions en 2025).
Tous les regards se tourneront vers Londres pour découvrir si l’Œuf d’Hiver dépassera ces anciens records et atteindra de nouveaux sommets dignes d’un chef-d’œuvre impérial né de la main d’une artiste de génie au sein d’une maison virtuose.
« The Winter Egg and Important Works by Fabergé From a Princely Collection » sera exposé dans trois lieux Christie’s :
— New York, du 7 au 13 novembre
— Hong Kong, du 20 au 22 novembre
— Londres, du 27 novembre au 2 décembre 2025
Plus d’informations sur christies.com.
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