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L’essor du solaire en Europe met à nu les failles d’un réseau vieillissant, préviennent des analystes
Les réseaux électriques européens ont été confrontés à une recrudescence des problèmes de tension l'année dernière, avec 8645 incidents de surtension signalés en 2024.

Vue aérienne d’un parc photovoltaïque près de Weilheim, en Allemagne, le 16 octobre 2025.
Photo: Philipp Guelland/Getty Images
L’essor fulgurant du solaire met sous forte pression des réseaux européens qui n’ont jamais été conçus pour absorber un tel afflux d’énergies renouvelables, préviennent des analystes.
Alors qu’un nombre record de panneaux est installé chaque année, l’architecture historique des réseaux peine à suivre.
La capacité solaire installée dans l’Union européenne poursuit sa progression et a atteint environ 338 GW en 2024, selon SolarPower Europe.
Pour réduire sa dépendance à l’énergie russe et accélérer sa transition verte, l’UE s’est fixé en 2022 l’objectif d’installer au moins 700 gigawatts de solaire d’ici 2030, de quoi fournir de l’électricité à des centaines de millions de foyers.
Mais cette expansion rapide met en lumière des fragilités du système, au risque de ralentir la transition si les réseaux ne rattrapent pas leur retard.
Les réseaux européens ont subi une vague d’incidents de tension l’an passé, avec 8645 surtensions signalées en 2024 — près de dix fois plus qu’en 2023, selon le réseau européen des gestionnaires de transport d’électricité (ENTSO‑E).
Le vieillissement des infrastructures de distribution complique l’équation. L’association professionnelle Eurelectric estime que près de la moitié des réseaux de distribution européens auront plus de 40 ans en 2030.
Analyste de l’énergie et cheffe de projet au Helmholtz Center Berlin, Susanne Nies indique que le système électrique européen est soumis à de fortes tensions, car il a été pensé pour une époque où l’électricité ne représentait qu’une faible part de la consommation totale.
« À la campagne, en France comme en Allemagne, ces réseaux datent des années 1950. Ils ont quasiment 70 ans », souligne‑t‑elle.
Conçu à l’origine pour des flux à sens unique — des grandes centrales vers les consommateurs —, le système doit désormais gérer des flux bidirectionnels, des millions de panneaux renvoyant de l’énergie sur le réseau, explique Mme Nies.
Selon elle, le réseau de demain devra combiner de grands « super‑réseaux » régionaux et des mailles locales capables de fonctionner en autonomie en cas d’urgence.
Harry Wilkinson, directeur des politiques à la Global Warming Policy Foundation, souligne que le défi tient aussi à l’ampleur de l’extension nécessaire pour raccorder des sources de production bien plus dispersées qu’autrefois.
« La quantité physique de câbles supplémentaires à ajouter pour tout connecter est, en soi, un énorme défi », note‑t‑il.
Surtensions et tensions en Espagne
La plupart des problèmes de tension en 2024 proviennent du gestionnaire suédois Svenska kraftnät, qui a déployé un reporting automatisé, tandis que les opérateurs en Slovénie, Moldavie et Roumanie ont également connu des hausses avec l’essor des renouvelables, selon Eurelectric.
D’autres s’en sortent mieux : MAVIR en Hongrie a réduit les incidents pour la deuxième année consécutive, et aucun n’a été signalé en Espagne, aux Pays‑Bas et en France.
En avril, toutefois, de vastes pannes ont touché l’Espagne et le Portugal, privant d’électricité des millions de foyers et d’entreprises. En Espagne, où le solaire fournit désormais environ 21 % de l’électricité — contre 8 % il y a cinq ans —, des mesures d’urgence ont été nécessaires pour éviter les black‑outs.
Mme Nies précise que, dans le cas espagnol, le réseau solaire n’était pas fautif, mais qu’il n’a pas été modernisé au rythme requis et que certaines de ses composantes gagneraient à être améliorées.
M. Wilkinson n’est pas d’accord : selon lui, les renouvelables sont intrinsèquement plus complexes à piloter.
Mme Nies ajoute que l’Espagne reste mal connectée à ses voisins, tandis que le réseau allemand est beaucoup plus intégré, avec quatre opérateurs de transport et près de 900 gestionnaires de réseaux de distribution qui gèrent les réseaux électriques locaux.
Selon la consultante indépendante Kathryn Porter, la localisation joue un rôle déterminant dans la vulnérabilité des réseaux : la fréquence est homogène sur une maille, mais la tension est un paramètre local qui doit être stabilisé par des équipements de proximité.
« La production conventionnelle espagnole est concentrée au nord et à l’est, tandis que le sud est dominé par les renouvelables, ce qui fragilise le réseau méridional et le rend de plus en plus difficile à contrôler », écrit‑elle sur son blog.
Investissements réseaux
Le solaire assure 22,1 % de l’électricité de l’UE, selon le think tank Ember Climate, contre 12,4 % en Chine.
Aux États‑Unis, cette part devrait atteindre environ 7 % en 2025, d’après l’Energy Information Administration.
Alors même que la production solaire explose, la demande d’électricité en Europe stagne : elle a reculé l’an dernier et ne se redresse que légèrement en 2025. Cette faiblesse complique l’équilibrage d’un système de plus en plus dominé par des renouvelables intermittents.
L’Agence internationale de l’énergie (AIE) alerte : l’investissement dans les réseaux de transport et de distribution devient critique, les modernisations ne suivant pas le rythme du déploiement des capacités à faibles émissions.
Les dépenses annuelles de réseau dans l’UE devraient dépasser 70 milliards de dollars en 2025, soit le double d’il y a dix ans, indique l’AIE dans un rapport publié en juin. Mais l’investissement reste en deçà de la croissance des projets « propres », provoquant files d’attente au raccordement et goulets d’étranglement pour acheminer l’électricité solaire bon marché du Sud vers les pôles industriels du Nord.
La Banque européenne d’investissement, bras financier de l’UE, a averti en septembre qu’un sous‑investissement chronique dans les réseaux génère des inefficiences en Europe et au‑delà, et que l’effort doit rester une priorité politique si le continent veut rester compétitif.
Sur le plan économique, a souligné M. Wilkinson, la facture de gestion du réseau et l’impact des taux de pénétration élevés des renouvelables — qui posent des défis de stabilité en tension et en fréquence — sont décisifs.
« Il faut être lucide sur le fardeau colossal de coûts qu’impliquent ces choix », dit‑il.
Nouvelles installations solaires
SolarPower Europe anticipe un léger repli des nouvelles installations en 2025, une première en dix ans. L’organisation attribue ce ralentissement aux contraintes de réseau, à l’érosion des subventions et aux retards d’autorisations.
Le reflux tient surtout au photovoltaïque résidentiel, notamment chez les particuliers.
« Dans des marchés résidentiels historiquement dynamiques comme l’Italie, les Pays‑Bas, l’Autriche, la Belgique, la Tchéquie et la Hongrie, les ménages repoussent leurs projets, l’effet de la crise énergétique de 2022 s’estompant », indique l’association.
Elle ajoute que le retrait de dispositifs d’incitation sans relais adéquats a entraîné un effondrement de plus de 60 % sur certains segments de toitures par rapport à 2023, tandis que la Pologne, l’Espagne et l’Allemagne enregistrent des baisses de plus de 40 %. Un mémo d’Ember avertissait déjà l’an dernier que l’essor des renouvelables était « freiné par des signaux de stress urgents » sur les réseaux européens.
Un autre rapport de Strategic Energy Europe estime que plus de 1 700 GW de capacités renouvelables potentielles restent en file d’attente de raccordement faute de capacité réseau suffisante.

Evgenia Filimianova est une journaliste basée au Royaume-Uni qui couvre un large éventail de sujets nationaux, avec un intérêt particulier pour la politique britannique, les procédures parlementaires et les questions socio-économiques.
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