L’armée américaine accentue la pression sur Maduro au Venezuela : ce qu’il faut savoir
Les États-Unis ont envoyé dans les Caraïbes l'une des plus importantes forces militaires déployées depuis des décennies, comprenant notamment le porte-avions le plus sophistiqué au monde.
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Le Gerald R. Ford Carrier Strike Group de l’US Navy opère dans le cadre de la mission Operation Southern Spear du U.S. Southern Command, le 13 novembre 2025.
WASHINGTON — Il y a un mois, le président Donald Trump avait déclaré que les jours au pouvoir du président vénézuélien Nicolás Maduro étaient comptés. À l’époque, peu de monde imaginait que le régime socialiste qui dirige le pays depuis des décennies puisse être proche de l’effondrement.
Ces dernières semaines, la montée en puissance du dispositif militaire dans la région et les discussions sur de possibles frappes terrestres américaines au Venezuela ont ravivé les interrogations : Donald Trump cherche‑t‑il à provoquer un changement de régime ? Une intervention américaine pourrait‑elle, même indirectement, précipiter l’implosion du pouvoir en place ?
« Je ne vais pas vous dire quel est l’objectif. Vous devriez probablement déjà le savoir », a déclaré Trump aux journalistes le 25 novembre à bord d’Air Force One.
« Ils ont causé beaucoup de problèmes et envoyé des millions de personnes dans notre pays », a‑t‑il ajouté, en référence au régime Maduro.
L’administration Trump considère le pouvoir vénézuélien comme une menace majeure pour la sécurité nationale des États‑Unis, citant son rôle dans le narcotrafic, les flux migratoires massifs, ainsi que ses liens étroits avec l’Iran, la Chine et la Russie.
Ces dernières semaines, l’armée américaine a déployé dans les Caraïbes l’un de ses plus importants dispositifs en plusieurs décennies, incluant le groupe aéronaval du porte‑avions USS Gerald R. Ford, considéré comme le plus avancé au monde. Au total, près d’une douzaine de navires de guerre et environ 12.000 militaires sont stationnés dans la région, dans le cadre de l’opération baptisée « Operation Southern Spear » par le Pentagone.
Evan Ellis, professeur spécialiste de l’Amérique latine au U.S. Army War College, ne pense pas que cette montée en puissance militaire vise explicitement un changement de régime.
(Illustration par Epoch Times, la marine américaine, Getty Images, AP, Public Domain)
« Il ne s’agit pas de restaurer un gouvernement légitime ni de mener une croisade pour la démocratie en tant que telle. Il s’agit de mettre fin à une menace contre les intérêts américains », explique‑t‑il.
M. Ellis relève toutefois que d’éventuelles frappes terrestres américaines sur le territoire vénézuélien « déclencheraient probablement une chaîne d’événements » pouvant conduire à un changement de régime.
Si Maduro devait quitter le pays, le gouvernement légitime et démocratiquement élu conduit par le chef de l’opposition, Edmundo González, serait appelé à prendre le pouvoir. Les États‑Unis et l’Europe ont reconnu ce dernier comme président élu légitime du Venezuela à l’issue de l’élection contestée de 2024.
Donald Trump et plusieurs membres de son administration ont à plusieurs reprises accusé Nicolás Maduro de diriger un vaste réseau de narcotrafic, des accusations que l’intéressé rejette catégoriquement.
« Ni Maduro ni sa clique ne représentent le gouvernement légitime du Venezuela », a déclaré le 16 novembre le secrétaire d’État Marco Rubio.
Le plus grand porte‑avions du monde, l’USS Gerald R. Ford (CVN 78), franchit le détroit de Gibraltar, le 4 novembre 2025. (Mass Communication Specialist 2nd Class Triniti Lersch/U.S. Navy)
Une semaine plus tard, les États‑Unis ont officiellement inscrit le Cartel de Los Soles vénézuélien sur la liste des organisations terroristes étrangères, le tenant pour responsable de violences à travers l’hémisphère occidental et du trafic de drogue vers les États‑Unis et l’Europe.
Par cette décision, l’administration considère désormais Maduro comme membre d’une organisation terroriste étrangère.
Elle affirme que cette désignation permet aux États‑Unis d’élargir le champ de leurs opérations militaires au Venezuela.
Le Cartel de Los Soles est devenu la 14e organisation criminelle d’Amérique latine à être désignée comme organisation terroriste étrangère depuis le début du second mandat de Donald Trump. L’Argentine, le Pérou, l’Équateur, le Paraguay et la République dominicaine ont également reconnu ce groupe comme organisation terroriste.
Pete Hegseth a indiqué, le 21 novembre, que cette désignation offrirait « de nouvelles options » à l’administration, sans toutefois préciser lesquelles.
Le dirigeant vénézuélien Nicolás Maduro à l’issue d’une conférence de presse à l’hôtel Meliá Caracas, à Caracas, le 1er septembre 2025. (Jesus Vargas/Getty Images)
Un régime au bord de la rupture ?
Bien que le Venezuela dispose des plus importantes réserves prouvées de pétrole au monde, sa production s’est effondrée sous l’effet conjugué de la mauvaise gestion du régime socialiste et des sanctions américaines, provoquant une crise économique d’une extrême gravité. Nombre de Vénézuéliens, éprouvés depuis des années par l’hyperinflation, la pauvreté et une crise humanitaire ininterrompue, voient aujourd’hui se profiler une possible fenêtre de changement.
Selon Andres Martinez‑Fernandez, analyste principal à la Heritage Foundation, le régime « ne tient plus qu’à un fil », son assise militaire s’étant considérablement réduite.
« Ce n’est pas un régime qui bénéficie d’un soutien populaire significatif au Venezuela », souligne‑t‑il. « Même au sein de l’armée, la loyauté envers le pouvoir se concentre surtout dans les hauts rangs, ceux qui ont profité de leur implication dans le narcotrafic. »
„« Bien que le pays repose sur les plus grandes réserves prouvées de pétrole au monde, la production pétrolière du Venezuela s’est effondrée en raison de la mauvaise gestion du régime socialiste et des sanctions américaines. »
M. Martinez‑Fernandez n’anticipe pas de mouvement de contestation d’ampleur en cas d’effondrement du régime et de départ de Maduro.
M. Ellis met cependant en garde contre le risque de violences et d’instabilité après un changement de régime. Certains groupes, notamment au sein d’éléments radicalisés de la Garde nationale, pourraient tenter de déstabiliser le pays en recourant au terrorisme, en attaquant des raffineries ou en sabotant des infrastructures, ce qui entraverait les efforts du nouveau gouvernement pour rétablir l’ordre.
L’administration Trump a peu de chances d’engager massivement ses troupes au sol pour renverser le régime ou restaurer la stabilité au Venezuela, estime Brent Sadler, capitaine de l’US Navy à la retraite et chercheur principal à la Heritage Foundation.
Selon lui, l’objectif paraît plutôt de contenir la situation et d’empêcher toute escalade supplémentaire.
Des militaires vénézuéliens patrouillent aux abords du pont international Simón‑Bolívar, à la frontière entre la Colombie et le Venezuela, vus depuis Villa del Rosario, en Colombie, le 16 octobre 2025. (Schneyder Mendoza/AFP via Getty Images)
« Ce n’est pas une force d’invasion. C’est un dispositif plus chirurgical », explique M. Sadler.
« Il est conçu pour offrir au président des États‑Unis la possibilité de frapper de manière ciblée, ou de riposter, si les forces vénézuéliennes ou les cartels décidaient de s’en prendre aux troupes américaines. C’est un marteau en attente d’être utilisé. »
M. Sadler estime que les forces américaines resteront dans la zone tant que les cartels de drogue vénézuéliens n’auront pas été démantelés.
Il souligne que l’objectif principal de l’opération militaire est de couper les cartels de leurs deux principaux débouchés : les États‑Unis et l’Europe.
À mesure que la pression économique s’intensifiera, prévient‑il, les tensions internes devraient s’accroître, affaiblissant progressivement les cartels jusqu’à leur possible implosion.
Fondement juridique
Depuis septembre, l’armée américaine a mené au moins 21 frappes létales contre des embarcations soupçonnées de narcotrafic en mer des Caraïbes et dans l’est de l’océan Pacifique. Ces opérations ont coûté la vie à plus de 80 personnes, qualifiées de « narco‑terroristes » par l’administration Trump, qui les a ainsi désignées.
Pour la Maison‑Blanche, ces frappes s’inscrivent dans le cadre d’un « conflit armé non international », l’exécutif ne reconnaissant pas le gouvernement Maduro comme un pouvoir légitime.
M. Ellis explique que, si les États‑Unis attaquent un gouvernement qu’ils considèrent comme légitime, cette action peut être interprétée comme un acte de guerre. Mais si le groupe au pouvoir n’est pas reconnu comme un gouvernement légitime et qu’il est perçu comme une organisation armée occupant un territoire, l’exécutif peut soutenir qu’il ne s’agit pas d’une guerre entre États, mais d’un conflit armé non international.
L’administration soutient que ce cadre de « conflit armé non international » rend juridiquement possibles ces frappes contre les embarcations de narcotrafic au regard du droit américain, même lorsqu’elles ont lieu dans les eaux internationales.
« Cette logique s’inscrit dans l’argumentaire de l’administration, selon lequel il s’agit d’un état de conflit armé non international. Et il est clair que le gouvernement González a soutenu les actions américaines », relève M. Ellis, en soulignant que la qualification d’illégitimité du régime Maduro sert avant tout « l’argumentaire juridique de l’exécutif sur la légalité des frappes, plus qu’un plaidoyer en faveur d’un changement de régime ».
Plusieurs experts en droit international, responsables des Nations unies, élus du Congrès et organisations de défense des droits de l’homme jugent cette argumentation peu convaincante. Les critiques estiment que ces frappes en mer sont illégales et s’apparentent à des exécutions extrajudiciaires.
Pétrole, Russie, Chine
Si la Chine comme la Russie disposent d’intérêts dans la région, il est peu probable, selon les experts, qu’elles prennent le risque de s’impliquer directement dans un affrontement.
Fin octobre, un avion cargo russe a atterri au Venezuela, selon Defense News. Moscou a récemment envoyé 120 instructeurs pour former les forces vénézuéliennes, a rapporté ce mois‑ci le Kyiv Post.
Compte tenu de son engagement militaire en Ukraine, la Russie apparaît peu encline à prendre le risque de soutenir plus directement le régime Maduro et de détériorer davantage ses relations avec les États‑Unis.
La présence militaire américaine dans la région est perçue comme une garantie bienvenue pour le Guyana, l’un des plus petits États d’Amérique du Sud. Le pays fait face à une menace directe de la part du Venezuela, qui revendique la région pétrolifère de l’Essequibo, soit près des deux tiers du territoire guyanais. Parallèlement, la Chine accroît son influence économique au Guyana.
„« Compte tenu de l’engagement de la Russie en Ukraine, les experts estiment qu’il est peu probable qu’elle apporte son soutien au régime Maduro et prenne le risque de détériorer ses relations avec les États‑Unis. »
Le président colombien Gustavo Petro, critique envers la stratégie de pression de l’administration Trump sur le Venezuela, affirme que ces efforts visent davantage l’accès aux ressources pétrolières du pays que la lutte contre le narcotrafic.
Des groupes américains comme Chevron pourraient en effet tirer profit d’un accès élargi au marché vénézuélien, et M. Ellis reconnaît qu’une ouverture accrue du secteur pétrolier serait une conséquence positive d’un changement de régime, même si ce n’en est pas l’objectif premier.
Un avion russe livre des médicaments et du matériel médical à usage unique au gouvernement de Nicolás Maduro à l’aéroport international Simón‑Bolívar de Caracas, au Venezuela, le 29 mars 2019. (Eva Marie Uzcategui/Getty Images)
La voie facile ou la voie dure
Ces derniers jours, les signaux laissant présager une frappe américaine imminente sur le Venezuela se multiplient.
La semaine dernière, les États‑Unis ont mené des exercices militaires conjoints avec Trinité‑et‑Tobago, un État situé à seulement 12 km des côtes nord‑est du Venezuela.
Les plus hauts responsables militaires américains ont également renforcé leur présence dans la région. Le 24 novembre, le chef d’état‑major interarmées, le général Dan Caine, et son adjudant‑chef, David Isom, ont visité Porto Rico pour saluer les militaires impliqués dans les missions en mer des Caraïbes. Le lendemain, le général Caine s’est rendu à Trinité‑et‑Tobago, qui a apporté son plein soutien à l’opération américaine.
Le 26 novembre, le chef du Pentagone, Pete Hegseth, s’est envolé pour Saint‑Domingue, en République dominicaine, afin de rencontrer les plus hautes autorités du pays.
Plusieurs grandes compagnies aériennes ont par ailleurs suspendu leurs vols à destination du Venezuela après la publication, le 21 novembre, d’un avis de la Federal Aviation Administration (FAA) mettant en garde contre une « dégradation de la situation sécuritaire et une intensification de l’activité militaire » dans la région.
M. Martinez‑Fernandez ne voit guère de scénario dans lequel Maduro pourrait se maintenir durablement au pouvoir.
Selon lui, les allusions répétées de l’administration Trump à une possible intervention visent probablement à pousser l’armée vénézuélienne à renverser le régime de l’intérieur.
Le dirigeant vénézuélien pourrait également céder sous la pression, accepter de démissionner et de quitter pacifiquement le pays, ce qui simplifierait considérablement la tâche de l’armée américaine.
Donald Trump a laissé la porte ouverte à une issue négociée, indiquant qu’il pourrait engager des discussions avec Nicolás Maduro.
Le 25 novembre, le président américain a déclaré à des journalistes : « Si nous pouvons sauver des vies, si nous pouvons faire les choses par la voie facile, très bien, et si nous devons les faire par la voie dure, très bien aussi.»
Des forces spéciales de Trinité‑et‑Tobago et de la Jamaïque, à bord d’un hélicoptère UH‑60 Black Hawk du 1er bataillon, 169e régiment d’aviation de la Garde nationale du New Hampshire, mènent un exercice d’assaut aérien, le 7 mai 2025. (U.S. Army National Guard/Sgt. Timicia GeorgePetrus)
Emel Akan est journaliste spécialiste de la politique économique à la Maison-Blanche à Washington, D.C. Auparavant, elle a travaillé dans le secteur financier en tant que banquière d'investissement chez JPMorgan et en tant que consultante chez PwC. Elle est titulaire d’une maîtrise en administration des affaires de l’université de Georgetown.