Opinion
Entre mutation structurelle et blocage des réformes d’une économie fragile : l’Allemagne restera-t-elle le « malade » de l’Europe ?

Un aperçu de la construction de carrosseries dans l'usine automobile BMW à Munich.
Photo: Leonhard Simon/Getty Images
ANALYSE. Ni l’industrie automobile ni l’industrie chimique ne parviennent à masquer la faiblesse de la croissance. L’avenir de l’Allemagne en tant que site industriel va dépendre de la capacité du chancelier Merz à inverser la tendance grâce à des réformes.
L’économie allemande se trouve cette année à un tournant décisif. La sortie de Porsche de l’indice vedette DAX est plus qu’une simple anecdote sur les marchés financiers : elle symbolise la pression pesant sur l’industrie automobile, autrefois fleuron du pays.
« Les jours de forte croissance sont révolus », a récemment déclaré le président de l’ifo, Clemens Fuest, lors de la présentation des prévisions d’automne. Son diagnostic renvoie à un défi plus vaste : la force traditionnelle de l’industrie allemande ne suffit plus à maintenir le pays sur une trajectoire de croissance. La question est désormais de savoir si la politique menée par le chancelier Friedrich Merz parviendra à ouvrir de nouvelles perspectives ou si l’Allemagne restera engluée dans la stagnation.
Le gouvernement fédéral tente de stabiliser la situation par un mélange d’allègements et d’investissements. Au cœur du dispositif figurent des allégements fiscaux pour la restauration, l’industrie manufacturière et les navetteurs, la réduction des tarifs de réseau et la suppression de la taxe sur les stockages de gaz.
S’y ajoutent des engagements d’augmentation des dépenses dans les infrastructures, la défense et — à moyen terme — la numérisation et l’éducation. L’ancien Bundestag avait d’ailleurs, en mars, modifié la Constitution pour permettre la création d’un fonds spécial de 500 milliards d’euros destiné à financer une partie de ces mesures.
Le chancelier Merz parle de « nouveau départ »
Le chancelier Friedrich Merz (CDU) a souligné, lors de la Journée de l’industrie en juin à Berlin, que son gouvernement prenait un « nouveau départ ». « Nous devons avant tout améliorer de manière radicale la compétitivité de notre site allemand », a-t‑il ajouté. Il a insisté sur la nécessité du pays européen de « changer l’état d’esprit de notre société ».
Dans ses prévisions d’automne, les économistes de l’ifo indiquent que la politique budgétaire du gouvernement joue « un rôle décisif » pour la reprise : « Des mesures issues du contrat de coalition telles que des amortissements accélérés, des baisses de TVA pour la restauration et de la taxe sur l’électricité pour l’industrie manufacturière, des tarifs de réseau réduits et l’augmentation de l’indemnité kilométrique devraient soulager entreprises et ménages », écrivent-ils.
Cette année toutefois, les experts n’attendent pas d’impulsion budgétaire significative de la part du gouvernement. Avec une estimation de l’institut à 9 milliards d’euros, il ne s’agit que de premiers effets financiers. Le montant bondit à 38 milliards l’an prochain et retombe à 19 milliards en 2027. Si ces mesures sont mises en œuvre de manière cohérente et offrent davantage de sécurité de planification, la politique budgétaire pourrait, selon l’ifo, contribuer sensiblement à la relance économique.
Le produit intérieur brut pourrait alors croître jusqu’à 0,4 point par trimestre, permettant d’endiguer progressivement la phase de faiblesse actuelle. À partir de 2027, les spécialistes anticipent même un redémarrage suffisamment vigoureux pour conduire à une certaine « surcharge » de l’économie, écrit l’ifo. Dans leurs prévisions, les économistes parlent explicitement d’une « surcharge » de l’économie. Dans leurs prévisions, les économistes parlent explicitement d’une « surcharge » de l’économie.
« Si toutefois la politique économique reste au point mort, nous risquons de connaître encore plusieurs années de paralysie économique et d’érosion du site d’implantation des entreprises », prévient Timo Wollmershäuser, responsable conjoncture à l’ifo.
Pas de reprise économique avant 2027
Les principaux instituts brossent un tableau décevant de la situation économique allemande. L’ifo table pour 2025 sur une croissance de 0,2 %, l’Institut de Kiel pour l’économie mondiale (IfW) n’en prévoit que 0,1 % pour l’année en cours. Comme l’ifo, l’IfW ne voit une reprise modérée que pour 2027. « Les moteurs d’une reprise auto‑entretenue restent faibles », souligne Stefan Kooths, chef de la conjoncture à l’IfW. « Sans réformes structurelles ambitieuses, les impulsions budgétaires risquent de se résumer à absorber des effets conjoncturels de courte durée. »
En bref : l’économie allemande est aujourd’hui trop faible pour repartir d’elle‑même. Le gouvernement peut certes susciter un surcroît d’activité immédiat par des baisses d’impôts et des investissements, mais cet effet serait éphémère. Pour transformer ce regain en reprise durable, des réformes profondes — sur le marché du travail, la réduction de la bureaucratie ou la politique énergétique — sont nécessaires. Faute de quoi les aides publiques s’évaporeront rapidement.
Dès l’« ifo Standpunkt 254 » de 2023, le président de l’Ifo, Clemens Fuest, mettait en garde contre une politique qui chercherait à soutenir artificiellement certains secteurs ou à sélectionner de manière ciblée des « gagnants » futurs : « La politique pour le site industriel allemand ne doit pas s’accrocher à des structures qui ne sont plus compétitives », écrivait‑il. Il appelait plutôt à des cadres stables — prix de l’énergie prévisibles, moins de bureaucratie et une infrastructure numérique moderne.
Les moteurs de la croissance en crise
Les difficultés structurelles se manifestent plus fortement dans les secteurs énergivores et l’automobile. La chimie‑pharmacie est profondément touchée. Mercredi, le Syndicat de l’industrie chimique (VCI) a qualifié le second trimestre de « globalement décevant ». Le taux d’utilisation des capacités est tombé à 71,2 %, son plus bas niveau depuis plus de trois décennies. Le marché intérieur n’a pas apporté la reprise attendue ; le manque de commandes s’est même aggravé, indique le VCI. De nombreux clients industriels ont réduit leur production et commandé moins de produits chimiques, notamment des donneurs d’ordres issus de l’automobile et du bâtiment.
L’industrie automobile traverse une rupture profonde : Porsche a perdu cette année sa place dans le DAX — pour Clemens Fuest, un signe visible que « les jours de forte croissance dans l’automobile sont révolus ». La transition vers l’électromobilité et l’importance croissante du logiciel imposent d’énormes investissements aux constructeurs et à leurs fournisseurs, alors que les marges se contractent. La délocalisation de productions vers des pays offrant une énergie moins chère et des procédures d’autorisation plus rapides se généralise — un phénomène qui pèse sur l’attractivité du site Allemagne.
Selon le Verband der Automobilindustrie (VDA), le chiffre d’affaires du secteur a reculé l’an dernier pour la première fois depuis 2020 : les ventes ont diminué de 4 % en Allemagne comme à l’étranger. Le recul a été particulièrement marqué dans la zone euro (−7 %) ; hors Europe, les pertes ont été limitées à 3 %. Au total, le secteur réalise environ 70 % de son activité à l’étranger.
Stagnation des réformes ou réveil ?
Les perspectives peuvent être envisagées selon deux scénarios. Si les responsables politiques se contentent de réductions d’impôts et de programmes d’aides sans s’attaquer aux problèmes de fond, un immobilisme des réformes s’ensuivra. La conjoncture recevrait ponctuellement des impulsions, mais des obstacles tels que le coût élevé de l’énergie, une numérisation laborieuse ou la pénurie de main‑d’œuvre resteraient. Le résultat : des années de croissance atone et un risque accru de délocalisations — une désindustrialisation rampante.
L’ifo l’a déjà souligné en janvier : l’économie allemande vit selon lui la plus longue stagnation depuis la guerre. Depuis 2019, le PIB a à peine progressé ; pour 2025, les chercheurs n’anticipent que 0,4 % de croissance. « L’Allemagne traverse la plus longue phase de stagnation de l’histoire d’après‑guerre », a averti Timo Wollmershäuser. Sans réformes, investissements et production risquent de partir à l’étranger, tandis que productivité et compétitivité resteraient faibles.
Les freins majeurs sont le coût élevé de l’énergie, la fiscalité et la bureaucratie, la lenteur du développement des infrastructures et une pénurie aiguë de compétences. La Chine a notamment rattrapé son retard et les entreprises allemandes ont perdu des parts de marché dans l’automobile et la construction de machines. Des réformes ambitieuses pourraient toutefois ramener l’économie à un rythme de croissance supérieur à 1 %.
Un autre scénario est celui d’un « saut stratégique », auquel le chancelier Merz renvoie régulièrement. En réussissant à orienter le pays vers de nouveaux champs de croissance, l’Allemagne pourrait sortir renforcée de la transformation. Cela exigerait d’avancer résolument sur la réduction de la bureaucratie, la numérisation, la recherche et l’éducation. Le gouvernement affiche ces ambitions, mais leur mise en œuvre reste incertaine. Le scepticisme monte parmi les experts et dans l’opinion.
« Si le gouvernement veut augmenter durablement et sensiblement le taux de croissance potentiel, il doit mettre en œuvre des réformes structurelles beaucoup plus ambitieuses », estime, selon Reuters, Salomon Fiedler, économiste à la banque privée Berenberg. Il ajoute que les problèmes de l’économie allemande doivent être traités sans délai.
Pays industriel plutôt que « musée de l’industrie »
Les électeurs se montrent mécontents : dans le dernier « baromètre des tendances RTL/ntv », 41 % des personnes interrogées ont cité l’économie comme sujet prioritaire, le conflit en Ukraine n’étant mentionné que par 44 %. Sur les perspectives économiques, le pessimisme domine : 15 % anticipent une amélioration dans les années à venir — un point de pourcentage de plus que la semaine précédente — tandis que 60 % ne prévoient pas de changement. La part de ceux qui redoutent une détérioration augmente à 23 %.
Devant le groupe parlementaire Mittelstand de la CDU/CSU, le chancelier Merz a récemment formulé l’objectif : « Nous voulons rester un pays industriel et non devenir un musée de l’industrie. » Cette phrase résume l’enjeu central. Les prochaines années diront si la politique saura transformer annonces et intentions en réformes concrètes. Si tel est le cas, l’Allemagne pourra se réinscrire dans de nouveaux domaines de croissance ; à défaut, elle risque de perdre la puissance économique qui l’a caractérisée pendant des décennies.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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