En Californie, les riziculteurs bio mettent leurs canards au garde-à-vous

John Fredricks/ Epoch Times, avec l’aimable autorisation de Lopes Family Farms
Après quatre années de sécheresse et de restrictions d’eau, Bruce et Christopher Lopes ont eu du mal à sauver leur ferme de riz biologique de la vallée de Sacramento, au nord de la Californie.
Le père et le fils se sont lancés dans une mission : réinventer leur exploitation en adoptant de nouvelles méthodes de culture du riz, mais aussi, pour la première fois en plus de cent ans d’existence de la ferme, en transformant et en vendant eux-mêmes leur production.
Ils comptent parmi les rares riziculteurs biologiques à expérimenter la méthode japonaise qui associe riziculture et canards. Les canards permettent de désherber, d’économiser l’eau et de fertiliser les rizières sans recourir à des engrais azotés de synthèse, à des pesticides chimiques ou à des herbicides.
Les Lopes ont subit une grave sécheresse qui s’est étendue de 2019 à 2023 et pensaient qu’ils allaient perdre leur ferme.
« On pensait qu’on allait mettre la clé sous la porte, parce qu’il n’y avait plus d’eau depuis quatre ans et que les indemnités d’assurance arrivaient à leur terme. C’était terrifiant. Pour nous c’était la fin du monde, » raconte Christopher. « S’il y avait eu une année de sécheresse de plus, c’en était fini de la moitié des fermes de ce côté de la vallée. » A 68 ans Bruce est alors tombé dans une profonde dépression.
Ils ont essayé de creuser et de forer de nouveaux puits.
« Une banque m’a lâché. Une autre hésitait puis a fini par nous octroyer une ligne de crédit, » explique Bruce.
Par chance, ils ont décroché les deux derniers permis de forage du comté. Ils ont emprunté suffisamment d’argent pour financer chacun des puits, environ 150.000 dollars par puis, ainsi que l’installation d’une nouvelle pompe et d’un système d’irrigation, pour un coût total avoisinant 400.000 dollars (341.000 euros)
Ils ont mis l’un des nouveaux puits en service et ont évité la catastrophe, et la sécheresse a pris fin l’année suivante. Mais ils savaient qu’il leur fallait un nouveau modèle économique pour survivre à la prochaine.
Christopher, 37 ans, n’est pas épargné par cette inquiétude.
« On m’a toujours dit en grandissant que la ferme ne serait plus là quand je serais adulte, parce qu’on ferait faillite. Mon père me répétait : ‘Fais ce que tu veux, mais pas agriculteur.’ »
Mais Christopher voyait les choses différemment. Depuis le lycée, il cherche à sauver la ferme familiale en trouvant un moyen de la faire prospérer sur les 24 hectares dont il héritera.
Sans rien dire à son père, il a choisi un travail qui lui permet des horaires flexibles tout en continuant de se consacrer à l’agriculture.
« Je fais ça pour lui, » confie Christopher en jetant un regard à son père, « et pour toutes les générations qui nous ont précédés. Je veux continuer l’aventure — pas la laisser mourir avec moi. »

Bruce Lopes (à g.) et son fils Christopher (à dr.), riziculteurs bio, chargent des sacs de riz à Willows (Californie), le 4 septembre 2025. La famille s’est tournée vers le “riz–canard” en 2021, après la sécheresse et les restrictions d’eau. John Fredricks/Epoch Times
Christopher a découvert la riziculture avec canards il y a une dizaine d’années : une « révélation » qui lui a redonné espoir.
Il se souvient avec émotion de ces matins où il se levait avec le soleil pour réceptionner les canetons de deux jours, arrivés par la poste de l’écloserie, et les guider dans leur périlleux trajet de 90 mètres jusqu’aux rizières, depuis la cabane et l’étang construits pour eux.
La méthode repose sur une relation symbiotique entre les canards et les rizières. Relâchés dès l’âge de deux jours, les canetons mangent les mauvaises herbes, les insectes et les invertébrés nuisibles à la culture. Ils n’attaquent pas les jeunes pousses de riz, car celles-ci contiennent naturellement de la silice, une texture abrasive pour leur bec.
« Ils savent que ça ne se digère pas bien — c’est un instinct naturel, » explique Christopher.
Les paysans chinois élevaient déjà des canards dans leurs rizières il y a des siècles, bien avant l’arrivée des engrais azotés de synthèse et des produits chimiques de désherbage et de lutte antiparasitaire.
Avec l’engouement croissant des consommateurs pour le bio, certains agriculteurs reviennent à ces méthodes anciennes, en les adaptant avec quelques innovations modernes.
La méthode aigamo, pratiquée dans la Chine ancienne et modernisée par l’agriculteur japonais Takao Furuno dans les années 1980, offre une approche contemporaine : elle utilise des canetons issus d’incubateurs artificiels et des systèmes d’enclos modernes. Ces canards aigamo, croisement entre sauvages et domestiques, servent à lutter naturellement contre les parasites, fertiliser et désherber les rizières biologiques.

Des canards dans la riziculture biologique, à proximité des cultures, près de Willows (Californie), le 4 septembre 2025. La riziculture intégrée avec des canards repose sur la relation symbiotique entre les oiseaux et les rizières, aidant les agriculteurs à économiser l’eau, à contrôler les mauvaises herbes et à fertiliser le sol sans produits chimiques de synthèse. (John Freddicks/Epoch Times)
Erik Andrus, un agriculteur spécialisé dans le blé et l’orge, formé par Takao Furuno au Japon, a été un des premiers à expérimenter la riziculture avec canards aux États-Unis. Il est devenu un véritable mentor pour Christopher.
Dans l’agriculture biologique traditionnelle telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, les rizières sont ensemencées par avion. Mais cette méthode requiert environ 135 kilos de semence par acre, soit un coût total d’environ 150 dollars l’acre (à raison de 50 dollars le sac de 45 kilos). Les Lopes, eux, repiquent des plants de riz, réduisant ainsi la quantité de semences à 13 kilos par acre et le coût à 15 dollars.
« Les canetons ne peuvent pas circuler dans les rizières qui ont semées par voie aérienne, » dit Christopher. « Pour eux, c’est comme un mur. »
À la place, les Lopes ont appris la méthode japonaise consistant à faire pousser les jeunes plants dans des plateaux, puis à fixer une repiqueuse à un tracteur pour les planter en quadrillage. Cela crée des canaux qui permettent aux canetons de se déplacer librement entre les rangs.
Le riz est cultivé sur une surface de 370 m² dans des plateaux remplis d’eau à quelques centimètres de profondeur ; il faut environ 100 plateaux par acre. Cette année, ils ont planté 25 acres de riz avec canards.
« Grâce à la repiqueuse, on arrive à donner plus d’espace aux canards dans le champ, car elle plante les plants à environ 25 cm les uns des autres et à 30 cm entre chaque rang, » explique Christopher.
Cela permet aux canards de s’approcher des plants et de manger les mauvaises herbes et les insectes qui pourraient endommager la récolte de riz.


(Haut) Des canetons broutent les herbes dans les rizières biologiques de Lopes Family Farms, dans la vallée de Sacramento (Californie). (Bas) Le riz est semé en plaques avant d’être transplanté dans les rizières “riz–canard” près de Codora. Courtesy Lopes Family Farms
« On utilise dix fois moins de semences pour couvrir la même surface, » ajoute Christopher.
Le repiquage favorise aussi une croissance plus saine et de meilleurs rendements par plant, souligne Bruce.
Comme les plants de riz supportent bien l’inondation, dans la riziculture biologique traditionnelle, les rizières sont noyées sous l’eau afin d’étouffer les mauvaises herbes et d’éviter un désherbage manuel fastidieux.
Mais dans la riziculture avec canards, ce sont les canetons qui font le désherbage, tout en réduisant la consommation d’eau d’environ deux tiers, explique Christopher.
« Normalement, on a 25 cm d’eau dans ce champ, » dit Bruce. « Car si les mauvaises herbes poussent en même temps que le riz, c’est fini. »
Une fois relâchés, les canetons considèrent la rizière comme leur habitat et non pas juste comme de la nourriture, et les plants les protègent des oiseaux prédateurs, poursuit-il.
Leur activité dans l’eau aère les rizières, augmentant l’oxygène dissous et troublant l’eau, ce qui bloque la lumière du soleil et empêche les mauvaises herbes de croître par photosynthèse. Les canards mangent les herbes déjà sorties ainsi que les insectes, escargots et vers nuisibles à la culture, et leurs fientes restituent des nitrates au sol.
« Ils s’occupent de tout, » dit Bruce.
Cette année, les Lopes ont relâché environ 700 canetons de Barbarie, mais ils ont découvert que cette race est plus difficile à dresser et semble avoir moins l’instinct de fouille que les canards Pékins, qu’ils utilisaient auparavant.
Selon Christopher, les Barbaries sont davantage des canards forestiers et passent moins de temps dans l’eau que les Pékins : adultes, ils préfèrent rester sur la terre ferme ou perchés dans les arbres.



(Haut) Christopher Lopes, riziculteur bio, se prépare à entrer dans les cultures à Willows (Californie), le 4 septembre 2025. (Bas gauche) Les rizières inondées à Willows. (Bas droite) Des canards utilisés dans la riziculture biologique broutent près des champs. John Fredricks/Epoch Times
« Ils n’ont tout simplement pas fait aussi bien le travail, » reconnaît-t-il.
Au moment où le riz monte en graine, les canards sont retirés des rizières — généralement après huit à neuf semaines — afin qu’ils ne détruisent pas la récolte.
« Donc, ils ne mangent pas le riz, » souligne Christopher. « Ils ne voient jamais la graine. »
En effet, des canards adultes peuvent provoquer de véritables ravages s’ils restent trop longtemps dans les champs : de héros, ils deviennent alors des ennemis; ils mangent le riz, atterrissent sur les plants et finissent par les piétiner.
De plus, pour des raisons de sécurité alimentaire et afin de se conformer aux réglementations du département de l’Agriculture, les canards doivent être retirés des rizières 90 jours avant la récolte.
Les canards élevés en plein air et de façon éthique deviennent alors une culture secondaire, destinée aux restaurants.
Un travail de passion
Les Lopes ont lancé leur riziculture avec canards en 2021.
Le premier lot de 180 canetons est arrivé à la ferme en mai, soit environ deux mois avant la réception du matériel de repiquage commandé en Chine. À ce moment-là, il était trop tard dans la saison pour planter, alors ils ont élevé les canards et les ont donnés à des cuisines de secours pour nourrir les pompiers et les sinistrés des incendies de forêt.
Ce n’est qu’en 2022 que les Lopes ont obtenu leur première récolte réussie de riz cultivé avec canards.

John Fredricks/ Epoch Times, avec l’aimable autorisation de Lopes Family Farms
Concevoir l’étang, le système d’irrigation, les rizières et construire des digues n’a pas été facile, pas plus que d’apprendre à utiliser le nouveau matériel et à éduquer les canetons.
Ils ont appris en tatonnant, ont dû trouver des solutions créatives aux problèmes rencontrés et n’ont jamais abandonné leur rêve.
Lors d’une saison difficile, ils ont perdu 100 canards, dévorés par des coyotes.
« On n’abandonne jamais. On improvise toute la journée, » dit Christopher.
Il appelle cela « échouer en avançant ».
Pour le père comme pour le fils, l’agriculture est un véritable travail de passion.
Bruce tire environ 25.000 dollars (environ 21.000 euros) de bénéfices par an de la ferme.
« Je gagne environ 5 dollars de l’heure, » dit-il. « J’aime l’idée que je nourris les gens, alors je continue. C’est la seule chose que je sais faire. »
Il est fier des recherches, du travail acharné et de la ténacité de son fils, qui a permis de redonner vie à la ferme et de la rendre plus durable.
La nouvelle méthode est innovante, enthousiasmante et lui a redonné le goût de vivre, dit-il.
« J’ai cultivé du riz biologique pendant 24 ans et je le vendais pour une bouchée de pain. Puis il est arrivé avec la méthode du riz avec canards. Ça a complètement changé ma vie. Il n’y a pas de mots pour le dire. Je suis devenu un homme nouveau. »

Bruce Lopes, riziculteur bio, examine des échantillons de ses cultures à Willows (Californie), le 4 septembre 2025. John Fredricks/Epoch Times
Christopher, lui aussi, reconnaît que la riziculture avec canards a transformé sa relation avec la terre.
« On change en tant qu’être humain, » affirme-t-il.
Des racines profondes dans l’agriculture
Cela fait quatre générations que la famille Lopes cultive du riz sur une plaine inondable naturelle. La ferme a été construite sur pilotis, avant même que les digues du fleuve Sacramento ne soient achevées.
Le grand-père de Bruce, John Sylvester Lopes, a fondé l’exploitation en 1914. Originaire de l’île de São Jorge, aux Açores, il a émigré en 1899 avec pour seules possessions ses vêtements, deux morceaux de pains et quelques pièces dans ses poches. Arrivé à New York sans parler anglais, il a réussi à trouver du travail et à économiser assez pour rejoindre l’Ouest du pays par convoi jusqu’aux contreforts de Winnemucca, dans le Nevada, où il a rencontré Mary, également immigrée de São Jorge.
Après avoir perdu son troupeau de moutons, volé par d’autres éleveurs, et malgré une victoire en justice, le juge l’a averti que les tensions risquaient de s’aggraver et lui a conseillé de quitter la région. Le couple a alors traversé le Donner Pass et s’est installé sur la péninsule de Point Reyes, au nord de la Californie, avant de rejoindre Codora en 1910 pour se lancer dans la riziculture.
Leur fils Charles a hérité de la maison et des 82 hectares de terres, et il s’est associé en 1967 avec ses propres fils Richard, Larry et Bruce. La ferme a obtenu sa certification biologique en 2001.
Bruce se dit reconnaissant d’avoir eu des grands-parents qui, par leur travail acharné et leur simplicité, ont bâti cette exploitation. Ses parents, Charles et Rose, lui ont transmis des valeurs d’entraide : « Donne quand tu peux, aide quand tu peux, et laisse toujours les gens repartir mieux qu’ils ne sont arrivés. »

Bruce Lopes, riziculteur bio, feuillette de vieilles photographies à Willows (Californie), le 4 septembre 2025. John Fredricks/Epoch Times
Un héritage d’hospitalité
Pendant la Crise de 29, la réputation de générosité de la famille s’est répandue bien au-delà de Willows. Les « hobos », ces chômeurs itinérants venus des fermes du Midwest frappées par la sécheresse ou des grandes villes de l’Est après le krach boursier de 1929, s’arrêtaient souvent à la ferme.
Mary Lopes, affectueusement surnommée Vovó (« grand-mère » en portugais), les accueillait toujours avec un repas chaud. Les conducteurs de train allaient jusqu’à stopper leur locomotive près de la ferme, tant la nouvelle s’était propagée. « L’hospitalité a commencé avec grand-mère. Elle aimait cuisiner et aider les autres », raconte Bruce.
Avant de passer à table, les visiteurs se voyaient souvent confier de petits travaux – couper du bois, désherber le jardin – car ils refusaient d’accepter un repas sans contrepartie. « Ils ne voulaient pas d’aumône. Ils voulaient travailler. On les nourrissait, on les payait, puis ils reprenaient la route », se souvient-il.
Bruce a perpétué cette tradition, ouvrant sa porte et sa table à ceux qui avaient besoin d’un coup de main. « Je crois que chaque personne dans ta vie est là pour une raison », dit-il. Lopes Family Farms continue d’ailleurs de soutenir la communauté : dons de riz pour des collectes locales, aide aux sinistrés des incendies à Los Angeles, participation au marché fermier de Chico où Bruce reçoit volontiers des accolades de ses clients.

Un portrait de Mary Lopes, grand-mère de Bruce, domine les rizières biologiques de Willows (Californie), le 4 septembre 2025. Avec son mari John Sylvester, tous deux originaires de São Jorge (Portugal), elle a fondé la ferme en 1914. John Fredricks/ Epoch Times
Son fils Christopher a, quant à lui, organisé la vente de riz–canard aux écoles de Californie via le programme Farm to School. « C’est très important pour moi », confie Bruce, la voix nouée. Nourrir les enfants avec ce riz, qu’il considère comme « le meilleur », est devenu sa mission.
Des étudiants du programme d’échanges internationaux FLEX ont récemment visité l’exploitation, et la famille se dit reconnaissante envers la communauté de Chico et ses restaurateurs, qui mettent à la carte leurs produits Ducks n’ Rice.
Même la brasserie Sawtelle Sake, à Los Angeles, s’approvisionne désormais exclusivement auprès de Lopes Family Farms, qualifiant leur méthode de culture de « radicale et consciente », produisant un riz « exceptionnel ».

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