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Vivre en zone rurale, une course d’obstacles pour les adolescentes

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Clémentine Avogadro, lycéenne française de seize ans, à son domicile de Saint- Aubin-le-Cloud, dans le département des Deux-Sèvres, le 4 juin 2025.

Photo: CHRISTOPHE ARCHAMBAULT/AFP via Getty Images

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Durée de lecture: 7 Min.

À la campagne, « si tu dis que tu veux être astronaute, on va te rire au nez ». Moins de formations, mobilité plus difficile : les adolescents des zones rurales s’autocensurent davantage, notamment les jeunes filles, selon plusieurs travaux.

Clémentine Avogadro, lycéenne de seize ans, à son domicile de Saint-Aubin-le-Cloud, dans le département des Deux-Sèvres, le 4 juin 2025. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT/AFP via Getty Images))

Clémentine Avogadro, lycéenne de 16 ans à Parthenay (Deux-Sèvres), ne savait pas quoi faire de ses bonnes notes. Ses discussions régulières avec son « mentor », rédacteur en chef d’une radio nationale, rencontré via l’association Rura, ont forgé ses ambitions : intégrer un Institut d’études politiques, devenir journaliste et travailler aux États-Unis.

Clémentine Avogadro, devant son lycée Ernest Perochon à Parthenay, dans le département des Deux-Sèvres, le 4 juin 2025. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT/AFP via Getty Images)

« On ne s’autorise pas à rêver haut et grand »
« Je ne savais même pas que Sciences Po existait ». « On ne s’autorise pas à rêver haut et grand », juge la jeune brune aux mèches bleues. Par « manque d’ambition », facilité ou « influence parentale », d’autres autour d’elles visent un CAP ou la faculté, plutôt que des formations sélectives.

Clémentine Avogadro, à son domicile de Saint-Aubin-le-Cloud, dans le département des Deux-Sèvres, le 4 juin 2025. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT/AFP via Getty Images)

Car la jeunesse rurale « souffre d’un mal silencieux », « l’atrophie des rêves », dénonce Salomé Berlioux, présidente de Rura (ex-Chemins d’avenir) et coautrice des « Invisibles de la République ».

Clémentine Avogadro, à son domicile alors qu’elle fait ses devoirs à Saint-Aubin-le-Cloud, dans le département des Deux-Sèvres, le 4 juin 2025. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT/AFP via Getty Images)

Selon un sondage Viavoice de janvier 2024 sur les inégalités en matière d’orientation scolaire, seuls 15% des élèves issus de catégories socio-professionnelles populaires se projettent dans une grande école, contre 48% des élèves urbains de CSP+.
Une question « d’autocensure et de manque de confiance en soi »
Or deux Français sur trois vivent dans les zones rurales et petites villes, qui concentrent 80% des ménages modestes, selon Rura. La fondatrice de l’association, qui a accompagné 13.000 collégiens et lycéens depuis 2016, évoque une question « d’autocensure et de manque de confiance en soi », s’ajoutant à « l’invisibilisation ».
En classe, « 7 jeunes filles sur 10 disent qu’elles veulent travailler avec les animaux ou les enfants. Mais pas pour être vétérinaire ou prof », pointe l’entrepreneure sociale, diplômée de l’École normale supérieure et de Sciences Po après avoir grandi dans l’Allier et la Nièvre.
Un manque « de figures d’incarnation »
Et l’ex-boursière, qui pointe un manque « de figures d’incarnation dans un certain nombre de filières ou de métiers » et des « formations d’enseignement supérieur, situées à 70% dans les métropoles », évoque même « un triple déterminisme » « si vous êtes une jeune fille, d’origine modeste et à la campagne ».
« Moins mobiles, autonomes, que les garçons du même âge »
« Qu’est-ce que j’aimerais être un garçon, avec un scooter », soupire une autre lycéenne Zoé Dinet, qui avec ses camarades du Campus jeunes de Parthenay, juge que les « garçons prennent beaucoup plus de place dans l’espace public ».

CANNES, FRANCE – 12 MAI : Une mouette assise sur un scooter, le 12 mai 2025 à Cannes. (Monica Schipper/Getty Images)

« Les filles sont moins autorisées à prendre un deux-roues que les garçons, donc moins mobiles, autonomes, que les garçons du même âge », pointe la sociologue Yaëlle Amsellem-Mainguy, autrice des « Filles du coin. Vivre et grandir en milieu rural ».
« Elles investissent aussi beaucoup plus les intérieurs »
Dépendantes des proches pour se déplacer, « elles investissent aussi beaucoup plus les intérieurs », où elles participent davantage aux tâches domestiques, résume cette chargée de recherche à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep).
« Rentrer à 19h00 le soir »
Nombre d’entre elles prennent le car scolaire. Félicie Meunier, 16 ans, fait ainsi 1H30 aller-retour pour aller au lycée. L’occasion de « finir sa nuit », « d’écouter de la musique et bidouiller ses productions musicales » pour cette fan de Billie Eilish ou de Maneskin, qui regrette quand même de « rentrer à 19h00 le soir ».
Ces kilomètres pèsent lourd dans le quotidien des jeunes ruraux et participent au sentiment d' »assignation à résidence » et à la « fracture territoriale », notamment en matière culturelle.
Félicie rêve d’assister à un premier concert. « Ici, on n’a pas grand-chose, même le Pass Culture, ils l’ont supprimé pour les 15-16 ans », râle-t-elle. L’accès au sport est aussi plus compliqué, par manque de sections féminines.
« Très liée à la respectabilité des familles »
Quant au bistrot, c’est « trop cher » et cela pose un problème de « réputation ». « Dans mon village, je suis toujours la fille de ma mère », raconte Oriane Pomeyrol, élève de première. Car « la réputation des filles est très liée à la respectabilité des familles », abonde Yaëlle Amsellem-Mainguy.
« On peut se traîner une réputation depuis le collège. Si une fille sort avec plusieurs garçons, elle a une réputation de ‘pute’ toute sa scolarité », pointe Zoé Dinet.
« Les grandes villes, ça me fait peur »
Malgré tout, certaines appréhendent de quitter ce petit monde. « Les grandes villes, ça me fait peur, la grosse pollution », assume Oriane Pomeyrol, qui veut étudier la psychologie et « a besoin de la nature » près de chez elle.
La plupart de ces jeunes sont en effet « très souvent attachées à leur territoire qu’elles veulent voir évoluer », selon la sociologue.