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Revenu universel : le grand retour de l’esclavage moderne
Présenté comme une solution face à la disparition du travail, le revenu universel pourrait en réalité ouvrir la voie à une nouvelle forme de dépendance. Dans un monde dominé par l’intelligence artificielle et la monnaie numérique, l’autonomie individuelle risque de s’effacer au profit d’un contrôle technocratique des existences.

Photo: ThalesAntonio/Shutterstock
Le mal du manque d’objectifs
J’ai travaillé autrefois dans des communautés vivant principalement grâce à une forme de revenu universel (UBI). La plupart de leurs ressources provenaient de l’État, en échange d’un travail symbolique, ou de redevances minières, d’autres creusant la terre sur leurs terrains. Les murs y étaient noircis et grouillants de cafards, tandis que les enfants dormaient avec les chiens sur des matelas souillés, et que des bébés, couverts de gale pustuleuse, pleuraient pendant que leur mère se plaignait de douleurs au dos. Ce n’était pas la norme, mais ce n’était pas rare non plus. D’autres communautés, fortes et dynamiques, se distinguaient : leurs membres travaillaient dur pour vivre, souvent dans des métiers en accord avec leur culture – une économie d’un tout autre ordre.
Les hommes qui travaillaient autrefois dur pour subvenir aux besoins de leur famille perdent cette motivation lorsqu’elle ne change plus rien : quand les nécessités de la vie et les loisirs sont également accessibles à ceux qui travaillent et à ceux qui ne font rien. Ce n’est pas une question politique, mais humaine, comportementale et psychologique. Supprimer le besoin de travailler, c’est retirer la dignité que procure l’effort et la réussite – surtout devant sa famille. Cela mène à l’inaction, à la perte d’intérêt pour le monde, à la perte de rôle – donc de dignité – et à la dépression. L’alcool et la drogue viennent alors anesthésier le vide. Les épouses et les enfants subissent les coups d’hommes frustrés, ivres ou drogués. Et lorsque les deux parents sombrent dans l’alcool, les enfants grandissent dans la malnutrition et l’errance.
Ce constat n’a rien de théorique – on l’observe partout dans le monde, là où un peuple est submergé par un autre et réduit à la dépendance, à l’insignifiance économique et sociale, et à l’assistanat. Certains individus ou communautés parviennent à s’en extraire, souvent en développant leur économie locale et en retrouvant une part d’autonomie. Mais ces cas restent rares et nécessitent qu’une occasion se présente, qu’une possibilité d’émancipation existe.
Notre nouveau monde technocratique
Le monde « développé » suit aujourd’hui une trajectoire qui mène tout droit vers le revenu universel – mais sans possibilité d’y échapper. Ce mot « développé » doit ici être compris dans un sens technologique, non humain : il désigne la sophistication technique, pas la conscience. Le revenu universel sera présenté comme une panacée, à mesure que l’intelligence artificielle (IA) remplacera de nombreux emplois. L’IA séduit parce qu’elle accumule la richesse de façon plus fiable que les salariés. Les projets d’Amazon visant à substituer des robots aux travailleurs ne supprimeront pas seulement quelques centaines de milliers d’emplois au sein du groupe, mais provoqueront aussi la fermeture de commerces de proximité et la ruine de leurs propriétaires. Voilà pourquoi Amazon mise sur l’automatisation : pour augmenter les profits d’une minorité de bénéficiaires, en éliminant toute concurrence. Que l’IA soit surestimée ou non, cette stratégie sera largement imitée.
Les futurs chômeurs seront, pour la plupart, des citadins dépendant des commerces – ou d’Amazon – pour se nourrir. Il faudra donc leur fournir de l’argent ou des bons alimentaires. Les gouvernements s’en chargeront, car ils ne peuvent se permettre d’assumer la responsabilité d’une pauvreté de masse – et beaucoup d’élus, il faut le reconnaître, le feront avec de bonnes intentions. Peu à peu, ces citoyens loueront leur logement à Blackstone ou à d’autres conglomérats, au lieu de le posséder, accentuant encore leur dépendance. Un temps, certains tueront l’ennui en jouant en ligne, en dessinant ou en cultivant quelques salades sur leur balcon, tout en sachant qu’il ne s’agit que d’un trompe-l’œil. Puis, ils finiront comme les communautés décrites plus haut, entraînant dans leur chute familles et voisinages.
Le revenu universel d’État viendra – il existe déjà sous certaines formes, mais son déploiement sera beaucoup plus vaste. Ce ne sera pas de l’argent liquide, mais une monnaie numérique. Elle sera strictement contrôlée, sous la forme d’une monnaie numérique de banque centrale (CBDC), car l’État prétendra devoir encadrer l’usage des fonds qu’il distribue. La CBDC, en réalité, n’est rien d’autre qu’un système de bons alimentaires, conçu pour cela. Votre revenu universel ne sera à vous que tant que vous l’utiliserez selon les conditions fixées par le gouvernement.
Des personnes bien intentionnées préparent déjà le terrain pour rendre ce système socialement acceptable. Celles qui affirment aujourd’hui qu’une société vertueuse devrait interdire l’utilisation des bons alimentaires ou des allocations chômage pour acheter des boissons sucrées ou du tabac considèrent déjà que les individus dépendants ont perdu leur droit à l’autonomie. Là encore, ce n’est pas une hypothèse théorique : c’est précisément la finalité de ce type de monnaie. La majorité de la population verra son introduction comme une bonne chose, car beaucoup acceptent volontiers de restreindre la liberté des autres dès lors qu’on leur affirme que cela sert le « bien commun ».
Vivre « en toute sécurité » comme des esclaves
Dans des pays comme le Canada, manifester contre le gouvernement peut déjà vous faire perdre le droit d’acheter ou de vendre. Lorsque l’on doit obtenir une autorisation pour se procurer les biens essentiels, que l’on ne peut plus choisir librement la manière de poursuivre son bonheur, et que l’on est puni pour avoir simplement remis en question ceux qui imposent ces restrictions, on entre dans une relation de maître à esclave. Avec le temps, la majorité des individus deviendront, en réalité, les esclaves du fournisseur de revenu universel : l’État. Tel est le dessein du revenu universel et des monnaies numériques de banque centrale (CBDC). C’est aussi la raison pour laquelle les ultrariches – ceux qui possèdent les technologies d’IA et de robotique appelées à rendre le travail humain superflu – considèrent cette voie comme idéale.
Rien de tout cela ne paraîtra réellement dystopique. Les gouvernements justifieront le contrôle des populations au nom du salut collectif – « sauver le monde » est une noble cause – et convaincront aisément une majorité que ce salut est nécessaire. Nous aurons besoin que les États nous sauvent du désastre climatique en limitant nos déplacements, comme on le dit déjà à nos enfants. Nous aurons besoin que les grandes entreprises nous sauvent des pandémies, y compris de celles issues parfois de leurs propres laboratoires. Nous aurons besoin de médicaments toujours plus coûteux, injectés dans nos corps pour nous sauver de l’obésité – autrement dit, de notre incapacité à contrôler notre appétit. Et nous aurons certainement besoin d’être « sauvés » du chômage de masse et de l’incapacité d’une grande partie de la population à subvenir elle-même à ses besoins.
Sauver les gens, après tout, fait partie du rôle de l’État. Et comme les dernières années l’ont démontré, il est bien plus facile qu’on ne le croyait de persuader des populations de s’infliger elles-mêmes des privations, sous couvert d’être « sauvées ». Peu à peu, nous glisserons vers une nouvelle forme d’esclavage, vers un système féodal moderne – parce que la majorité des individus le choisira d’elle-même.
Une discussion que nous n’aurons sans doute jamais
Nous devons donc parler du revenu universel, car beaucoup y voient un signe d’avenir radieux – alors qu’il s’agit de tout autre chose. Certains croient que les gens s’épanouiront en ne faisant rien d’utile, en recevant de l’argent pour leur docilité, sans la moindre raison pressante de se lever le matin. Un filet de sécurité sociale temporaire est nécessaire pour protéger les membres d’une société et faire preuve de décence. Mais un revenu universel permanent versé à la majorité, c’est tout autre chose : cela garantit que la grande masse ne pourra jamais sortir de sa condition, ni retrouver la moindre autonomie économique indispensable à l’épanouissement collectif.
L’avenir promis par le revenu universel n’est qu’un retour à l’état naturel des sociétés humaines à travers les âges : le féodalisme – mais sans même le sens relatif qu’avait le paysan derrière sa charrue. La nature humaine pousse ceux d’en haut à vouloir y rester, et ceux d’en bas à s’enliser dans la dépression quand toute perspective de progrès disparaît. Dépression, drogue, violence, négligence – et le cycle recommence : tel est l’horizon du duo UBI–CBDC. C’est d’ailleurs une lecture classique en santé publique : le capital social est un déterminant fondamental de la santé et du bien-être. Rien de tout cela n’est controversé – seulement politiquement dérangeant.
Depuis quelques siècles, de nombreuses sociétés se sont affranchies du féodalisme. Cette liberté n’aura été qu’un court moment au soleil. Accepter ou rejeter le revenu universel comme solution à la disparition rapide du travail utile déterminera si ce soleil continue de briller – ou si nous retournons à notre condition sociale d’origine, oppressive et hiérarchique. Pour beaucoup, l’esclavage semblera plus simple que la lutte, et bien plus sûr. Une fois devenus dépendants, nous n’aurons même plus le luxe de résister. Il nous faut une véritable discussion avant de nous engager définitivement sur cette voie. Mais pour la majorité, elle n’aura sans doute jamais lieu.
Source : Brownstone Institute

David Bell, chercheur principal au Brownstone Institute, est un médecin de santé publique basé aux États-Unis. Après avoir travaillé en médecine interne et en santé publique en Australie et au Royaume-Uni, il a travaillé à l'Organisation mondiale de la santé en tant que chef de programme pour le paludisme et les maladies fébriles à la Fondation pour les nouveaux diagnostics innovants à Genève, et en tant que directeur des technologies de santé mondiale à l'Intellectual Ventures Global Good Fund à Bellevue, Washington. Il est consultant en biotechnologie et en santé mondiale.
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