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Quand la science réveille notre soif de spiritualité

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Photo: Illustration de Lumi Liu

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Durée de lecture: 12 Min.

Une biologiste raconte ainsi une expérience inoubliable : celle de découvrir ce que cela fait de « devenir lumière. »
En pleine nuit, depuis son embarcation, elle a contemplé des millions de minuscules planctons illuminer l’océan d’un bleu-vert éclatant, s’étendant à perte de vue. Curieuse, elle s’est jetée à l’eau : son corps tout entier s’est mis à briller, chaque mouvement la transformant en une partie tourbillonnante de cette immense tapisserie scintillante. Autour d’elle, les poissons passaient et laissaient de longues traînées de lumière irréelle.
Interviewée dans le cadre des recherches du sociologue Brandon Vaidyanathan sur le rapport entre science et spiritualité, la scientifique témoigne d’un paradoxe frappant : même si elle connaissait parfaitement l’origine biologique de ce phénomène lumineux, cette connaissance n’a en rien réduit son émerveillement. Au contraire, elle l’a intensifié, lui donnant le sentiment profond de toucher à quelque chose de spirituel.
Ce récit remet en question une idée encore très ancrée dans nos sociétés : science et spiritualité seraient deux sphères distinctes. Or, les travaux de recherche montrent l’inverse. Loin d’éteindre l’élan spirituel, la science pourrait, au contraire, l’éveiller. Pour de nombreux chercheurs, le laboratoire devient ainsi bien plus qu’un lieu d’expérimentation rationnelle : il s’ouvre comme un portail vers l’émerveillement et une quête profonde de sens.
Le cosmos comme une cathédrale
L’opposition entre science et spiritualité trouve son origine dans la théorie du « désenchantement » de Max Weber. Selon lui, à mesure que la science progresse, le besoin de spiritualité recule nécessairement.
« La modernité dépouille la réalité, et plus encore la science, de son aura de magie et de mystère, explique au journal Epoch Times Brandon Vaidyanathan, sociologue. La pensée scientifique s’oppose à la pensée magique : elle réduit notre expérience du réel à des atomes, des molécules, des formules, etc. »
Pourtant, le sociologue affine cette vision depuis plusieurs années. Après avoir interrogé 104 biologistes et physiciens en Inde, en Italie, au Royaume-Uni et aux États-Unis, il a constaté que des chercheurs religieux, spirituels sans religion ou entièrement laïques expriment des élans spirituels étonnamment similaires. Son équipe a même utilisé des logiciels d’analyse de texte afin d’observer les associations de mots spontanément employés par les scientifiques.
Chez les chercheurs croyants, on retrouve des ensembles de mots comme « foi », « Dieu », « prière », « communauté », traduisant l’intégration naturelle de leur quête spirituelle dans une tradition religieuse. « Ce désir de rejoindre les étoiles nous permet aussi de mieux nous comprendre nous-mêmes », confie l’un d’eux. Pour ces scientifiques, la découverte devient ainsi une manière d’approcher plus intimement l’œuvre divine.
Les scientifiques « spirituels mais non religieux », eux, décrivent leur vécu comme une quête personnelle façonnée par des expériences transcendantes et des liens émotionnels. Leurs mots récurrents gravitent autour de « connexion », « expérience », « transcendance » et « nature ». La nature, en particulier, joue fréquemment le rôle de médiateur spirituel. L’un d’eux résume ainsi : « Au bord de la mer… pour moi, c’est extrêmement apaisant, même quand tout est froid, rude et désagréable, parce que c’est comme si l’on contemplait l’infini. Rien ne s’y trouve, et pourtant ça ne cesse de bouger. »
Quant aux chercheurs non religieux et non spirituels, on pourrait croire qu’ils échappent à ce type d’expérience. Mais Brandon Vaidyanathan a relevé chez eux des élans voisins, exprimés à travers la curiosité intellectuelle et les grandes questions existentielles. Leur quête de sens s’articule souvent autour du développement personnel, ou du lien à la nature et au cosmos. Les mots dominants ? « Curiosité », « sens », « connexion ». Ainsi, un scientifique explique son élan comme « le besoin permanent de poser des questions : c’est ainsi que nous nous orientons dans l’immensité de l’univers ».
Selon cette étude, ce qui rapproche tous ces profils est la capacité d’émerveillement. Pour Martin Nowak, professeur de biologie et de mathématiques à Harvard : « Science et spiritualité partagent une caractéristique fondamentale : toutes deux aspirent à la vérité. Toutes deux affrontent l’émerveillement et la stupeur », a-t-il rappelé à Epoch Times.
L’émerveillement, porte d’entrée du spirituel
Cette résonance entre science et spiritualité remonte loin. Galilée scrutait les étoiles en y voyant la trace de Dieu. Newton considérait les lois du mouvement comme les signes d’un ordre divin. L’écrivain britannique C. S. Lewis écrivait : « Les hommes se sont faits scientifiques parce qu’ils s’attendaient à trouver une loi dans la Nature ; et ils attendaient une loi, car ils croyaient en un législateur. » Pour nombre de grands savants, la foi n’a pas freiné la découverte : elle l’a inspirée.
Une étude publiée en 2023 dans le Journal of Personality and Social Psychology a même proposé le concept de « spiritualité de la science » : des sentiments de sens, d’émerveillement et de connexion découlant directement des découvertes scientifiques. Les chercheurs ont montré que cette forme de spiritualité favorise l’engagement, l’apprentissage et procure des bénéfices psychologiques comparables à la spiritualité religieuse — y compris chez les athées et les agnostiques.
Cela aide à comprendre pourquoi Einstein lui-même parlait d’un « sentiment religieux cosmique », qu’il considérait comme « le moteur le plus fort et le plus noble de la recherche scientifique ». Pour lui, science et spiritualité partageaient cette quête commune : vérité et émerveillement.
Des chercheurs contemporains reprennent ce flambeau. Ainsi, Sarbmeet Kanwal, physicien théoricien, explique : « L’émerveillement nous donne accès à une dimension de la réalité que nous n’avons pas encore solidement expliquée scientifiquement. » Or, cette porte ne se referme pas quand l’explication survient. Comme le rappelle le mathématicien et philosophe John Lennox, les explications peuvent coexister à différents niveaux sans s’annuler. À la question « Pourquoi l’eau bout-elle ? », une réponse décrit les transferts de chaleur et la rupture des liaisons hydrogène… Une autre dit simplement : « Parce que je veux une tasse de thé. » Les deux sont vraies, mais elles répondent à des registres différents. De la même façon, connaître la chimie du plancton bioluminescent n’ôte rien à son pouvoir d’émerveillement.
Du sacré, du macro au micro
L’expérience d’émerveillement se déploie à toutes les échelles de la recherche scientifique.
Pour Mario Livio, astrophysicien ayant supervisé le télescope spatial Hubble durant 24 ans, la dimension spirituelle a pris corps lorsqu’il a découvert les premières images du fameux « Hubble Deep Field », la vue la plus profonde de l’univers jamais captée à l’époque.
« Cela m’a laissé sans voix… Réaliser à quel point nous sommes petits. D’un point de vue physique, nous ne sommes qu’une poussière, mais ce sont nos connaissances humaines qui ont grandi et qui nous permettent désormais de comprendre le cosmos ».

Champ profond de Hubble. NASA et Agence spatiale européenne. Edité par Noodle snacks, (domaine public, via Wikimedia Commons.)

La dimension spirituelle n’est pas l’apanage de l’astronomie. BrandonVaidyanathan se souvient d’une biologiste indienne lui montrant des clichés de bactéries. Elle lui désigna l’aiguille d’une bactérie puis présenta un zoom où l’instrument ressemblait à une colonne sculptée d’un temple hindou vieux de 3000 ans.
« Si je ne précise pas qu’il s’agit d’une aiguille bactérienne, on pourrait croire que c’est un stambha, l’un de ces piliers ornementaux des anciens temples », dit-elle. « Si nous essayions d’en fabriquer un à la main, cela prendrait une éternité. Or ces bactéries le réalisent en quelques minutes. C’est une véritable œuvre d’art ».

Adapté de Schraidt et al., (PLoS Pathog 2010, CC BY 4.0., Shutterstock)

Un terrain commun
Bien sûr, tous les chercheurs n’éprouvent pas cette soif spirituelle. L’étude de Brandon Vaidyanathan reconnaît des limites : certains scientifiques restent attachés à une approche rationaliste classique, trouvent satisfaction dans des explications matérialistes et ne ressentent pas le besoin de transcendance. D’autres considèrent que la science révèle avant tout nos limites humaines plus qu’un sens cosmique.
Mais pour beaucoup, science et expérience spirituelle ne sont nullement en conflit. « La recherche scientifique permet d’ancrer nos expériences humaines dans un ordre naturel qui traverse tout l’univers », résume Sarbmeet Kanwal.
Et d’ajouter : « Peut-être qu’un jour, dans des siècles, nous aurons une explication scientifique complète de l’expérience spirituelle. Mais en attendant, nous devons la considérer comme un mystère… non pas comme une opposition à la science, mais comme un champ encore inexploré ».
Selon lui, si la science éveille naturellement cette quête de sens chez des profils de croyances très variés, alors le fameux conflit entre raison et transcendance n’est peut-être qu’un faux débat — une dichotomie artificielle qui restreint à la fois la science et la spiritualité.
En conclusion, comme le rappelle Brandon Vaidyanathan : « Même si certains scientifiques n’expriment aucun désir spirituel, la science peut toujours inspirer de nouveaux chemins de quête existentielle et proposer une ressource spirituelle unique — aussi bien pour les croyants que pour les non-croyants. »