Opinion
Les agriculteurs protestent contre la restriction des pesticides : quelle est l’efficacité des pulvérisations écologiques?

Une araignée tisse sa toile sur une feuille de betterave sucrière endommagée dans un champ à Saint-Christophe-sur-Conde, dans le nord-ouest de la France, le 11 août 2025.
Photo: JOEL SAGET/AFP via Getty Images
Depuis plusieurs années, des exploitants agricoles à travers l’Europe s’inquiètent pour leurs moyens de subsistance et se plaignent de réglementations trop restrictives de l’Union européenne sur l’utilisation de certains produits chimiques, craignant un impact négatif sur leurs rendements et leur compétitivité. En France, une pétition contre la réintroduction de l’acétamipride — pesticide soupçonné d’être cancérogène — a recueilli plus de deux millions de signatures.
Les agriculteurs tchèques ont adressé le 14 juillet 2025 une lettre au ministre de l’Agriculture Marek Výborný (KDU-ČSL) pour lui demander d’intervenir.
Demande d’autorisation d’exceptions
Le ministre du Parti populaire a réagi et confirmé avoir déposé le jour même, au nom de la République tchèque, une demande auprès du Conseil de l’UE pour l’agriculture et la pêche (AGRIFISH).
Celle-ci vise notamment à simplifier les règles européennes d’autorisation des produits phytopharmaceutiques. Vingt et un États membres de l’UE ont soutenu la demande. M. Výborný a déclaré vouloir que la Commission européenne « réagisse plus rapidement et autorise des dérogations dans les cas où il n’existe pas d’alternative au principe actif ». Aucune réponse de la Commission n’a encore été publiée.
Les agriculteurs dénoncent qu’à la suite des interdictions européennes, la disponibilité d’un nombre de pesticides réellement efficaces diminue. Dans le cadre du Green Deal, la Commission avait proposé en 2022 une réduction de 50 % de l’usage des pesticides chimiques dans l’Union d’ici 2030. Cette proposition a été retirée en 2024 après une forte opposition, mais le nombre de substances interdites dans les pesticides continue d’augmenter.
Selon le ministère tchèque de l’Agriculture, la consommation de pesticides a diminué de 10,4 % entre 2018 et 2023. D’après la Chambre d’agriculture, qui s’appuie sur la base de données de l’UE, sur 1465 produits initiaux, 974 sont désormais interdits, 68 autres sont en cours d’homologation, si bien que, dans la pratique, seuls 423 produits peuvent être utilisés.
« Nous ne pouvons pas exclure totalement du système des substances pour lesquelles il n’existe pas de substitution intégrale, tant qu’aucun effet démontrable et grave sur la santé humaine n’est établi, ce qui est le cas actuellement », a déclaré dans un communiqué M. Jan Doležal, président de la Chambre d’agriculture.
Risque de résistance accrue des parasites
La réduction de l’offre de pesticides augmenterait par ailleurs la probabilité de l’apparition de résistances. M. Doležal a cité en exemple la lutte contre le charançon du colza. Selon lui, l’UE n’autorise plus que deux des quatre insecticides initialement disponibles, et le ravageur développe progressivement une forte résistance, au point que « des produits qui étaient efficaces l’année dernière ne le sont plus cette année ».
Il a ajouté que, en raison des restrictions imposées sur les pesticides en République tchèque, la culture de productions exigeantes comme les fruits ou les légumes décline au profit de cultures « plus faciles » comme le blé. Le dirigeant de la chambre agricole est convaincu que
« la situation actuelle conduira à un déclin progressif de la production alimentaire nationale ».
« la situation actuelle conduira à un déclin progressif de la production alimentaire nationale ».
À son avis, si la situation perdure, les agriculteurs européens « ne seront plus en mesure de produire des aliments abordables dans les dix à vingt prochaines années ». Il note que, bien que la consommation de pesticides baisse, les interdictions favorisent l’apparition de résistances chez les ravageurs, les mauvaises herbes ou les moisissures, contraignant les agriculteurs à multiplier les traitements utilisés « autrefois deux à trois fois par saison, aujourd’hui jusqu’à huit fois », a-t-il déclaré, soulignant que ces pulvérisations plus fréquentes alourdissent les coûts pour les exploitants.
Dès octobre 2024, les betteraviers avaient averti que la culture de la betterave sucrière en République tchèque pourrait être abandonnée en l’espace de deux ans si les pesticides actuellement utilisés n’étaient plus disponibles.
Le « tueur d’abeilles » reste interdit en France
L’Assemblée nationale française avait adopté le 8 juillet 2025 une loi controversée visant à réautoriser l’acétamipride. Cet insecticide de la famille des néonicotinoïdes est interdit en France depuis 2018. Le gouvernement avait imposé des exigences plus strictes pour les pesticides que celles fixées par l’Union européenne.
Dans d’autres États membres, dont la République tchèque, l’utilisation est partiellement autorisée jusqu’en 2033. Des agriculteurs français affirment subir des pertes de récoltes et des handicaps concurrentiels en raison de l’interdiction. Les producteurs de betteraves sucrières, de noisettes et de cerises ont réclamé la réautorisation de l’acétamipride, estimant qu’il n’existe aucun substitut, a rapporté l’édition française d’Epoch Times en novembre 2024.
L’association locale des producteurs de noisettes s’est plainte que « 30 % des noisettes récoltées sont invendables ou impropres à la consommation » en raison d’attaques du charançon de la noisette, contre lequel il n’existerait pas d’alternative efficace à l’acétamipride.
Deux millions de signatures contre la réautorisation de l’acétamipride
Des écologistes, des apiculteurs et certains scientifiques estiment que la substance est toxique pour les abeilles et les écosystèmes environnants. Une pétition demandant l’abrogation de la loi réautorisant l’acétamipride — surnommé « tueur d’abeilles » — a récolté plus de deux millions de signatures en France et déclenché un vif débat public.
Le 7 août, le Conseil constitutionnel a statué : l’acétamipride reste interdit en France.
Le secrétaire général du syndicat Coordination Rurale, M. Christian Convers, a déclaré à la chaîne d’information SRF :
« La décision du Conseil constitutionnel met en péril tout un secteur agricole. Qui sait si les sucreries du Nord de la France seront demain dirigées par des Français ou des Allemands, ou si elles fermeront définitivement. Que l’idéologie l’emporte ici, je trouve cela très inquiétant. »
« La décision du Conseil constitutionnel met en péril tout un secteur agricole. Qui sait si les sucreries du Nord de la France seront demain dirigées par des Français ou des Allemands, ou si elles fermeront définitivement. Que l’idéologie l’emporte ici, je trouve cela très inquiétant. »
L’initiative Duha (Arc-en-ciel) indique dans son guide sur les pesticides que leur usage est associé à un risque accru de cancer et qu’il affecterait le système nerveux, la reproduction et la production hormonale.
« L’utilisation répétée de différents pesticides conduit à des mélanges (cocktails) de résidus dans les aliments. Aucun d’entre eux ne dépasse nécessairement la limite, mais ensemble ils peuvent nuire à la santé. Les données toxicologiques restent limitées à l’heure actuelle », indique le guide.
Un fabricant tchèque prêt à remplacer les fongicides chimiques
Les pesticides se répartissent en trois grandes catégories : herbicides contre les mauvaises herbes, fongicides contre les champignons et insecticides contre les ravageurs. Les fongicides représentent la part la plus importante, avec plus de 40 %.
Selon le fabricant tchèque de fongicides non chimiques Biopreparáty, la chimie n’a plus rien à offrir aujourd’hui. L’avenir appartiendrait à de nouvelles technologies capables de « remplacer totalement les fongicides chimiques ».
Les préparations de l’entreprise reposent sur le champignon algal Pythium oligandrum, parasite des champignons phytopathogènes. L’entreprise base son succès sur l’exportation : le marché tchèque représente seulement 3 % de son chiffre d’affaires. Outre les pays de l’UE, elle exporte aux États-Unis, au Brésil et en Chine.
M. Martin Suchánek, fondateur et directeur général de Biopreparáty, a expliqué à Epoch Times :
« Les produits chimiques actuels ne répondent plus aux besoins des agriculteurs. Les maladies fongiques ont tellement progressé que les produits chimiques ne sont plus efficaces contre elles. »
« Les produits chimiques actuels ne répondent plus aux besoins des agriculteurs. Les maladies fongiques ont tellement progressé que les produits chimiques ne sont plus efficaces contre elles. »
« Les agriculteurs poursuivent l’emploi des pesticides par habitude »
M. Suchánek cite en exemple le houblon, qualifié d’ « or tchèque ». Sa culture est menacée par le champignon Verticillium nonalfalfae, qui provoque le flétrissement et la mort du houblon. Aucun pesticide chimique n’est efficace contre cette maladie. Selon M. Suchánek, Biopreparáty dispose d’une autorisation pour le traitement du houblon et obtient « de très bons résultats, supérieurs à ceux obtenus avec des produits chimiques ».
Il estime que les agriculteurs continuent d’utiliser les pesticides chimiques par habitude. « Déjà dans les universités, où ils reçoivent leurs premières informations sur la protection des cultures, on les forme principalement aux produits chimiques, et les entreprises de chimie confortent cette opinion par une publicité ciblée », a-t-il souligné.
Il ajoute que leurs produits sont tout aussi abordables, sinon moins chers que les produits chimiques. Une hausse des prix alimentaires n’est donc pas à craindre. Le principal avantage pour le consommateur, selon lui, est l’absence de résidus de pesticides sur les aliments. Ils ne contamineront pas non plus l’eau.
M. Suchánek a également souligné la contradiction suivante : les principes actifs des pesticides actuels sont importés de Chine ou d’Inde, tandis que les préparations de son entreprise sont produites en République tchèque. La Chine reste un partenaire commercial majeur et reçoit d’importantes livraisons de son entreprise, mais l’Europe offre aussi un potentiel d’augmentation de la production. « Nous disposons des capacités pour remplacer immédiatement les fongicides chimiques dans l’ensemble de l’Union européenne », affirme-t-il. « De plus, nous sommes enregistrés et avons des distributeurs dans tous ces pays », a-t-il ajouté.
La stratégie commerciale des multinationales de la chimie
Pour recueillir un autre point de vue, Epoch Times s’est tourné vers l’Association pour l’agriculture privée (ASZ), qui représente surtout de petits exploitants. Si l’ASZ diverge sur de nombreux sujets avec la Chambre d’agriculture — où les grandes coopératives agricoles disposent d’un fort pouvoir d’influence —, elle rejoint néanmoins cette dernière sur la question des pesticides.
Le président de l’ASZ, M. Jaroslav Šebek, a critiqué la diminution rapide du nombre de principes actifs autorisés, sans qu’un produit de substitution ne soit disponible. C’est, selon lui, le constat majoritaire au sein de son association.
Il n’exclut pas les traitements écologiques, mais estime qu’ils sont moins performants : « Je pense que c’est définitivement la bonne voie à suivre, mais pour l’instant ils n’ont pas encore atteint le niveau des produits chimiques classiques. »
Il évoque en outre d’autres solutions — par exemple des techniques de binage contre les adventices.
M. Šebek a également pointé un autre facteur : la disponibilité des pesticides chimiques n’est pas seulement déterminée par la réglementation de l’UE, mais aussi par la politique commerciale des groupes chimiques multinationaux.
Ceux-ci refusent parfois d’enregistrer et de commercialiser certains produits dans des pays jugés trop petits ou peu attractifs. Selon lui, ce manque de disponibilité influence en retour les choix de cultures dans ces territoires. De la même manière, les fabricants d’engrais peuvent également influencer efficacement le choix et le lieu de production des cultures.
Les substances « bio » ne sont pas encore un remplacement complet
M. Jan Staněk, vice-président de l’ASZ et exploitant en Bohême du Sud, confirme que les traitements écologiques ne sont pas aussi efficaces et doivent être appliqués plus fréquemment, y compris les produits de M. Suchánek. « Ce n’est pas encore un substitut à part entière », a-t-il déclaré à Epoch Times.
Denisa Charvátová, de la société Zeva Bečov dans la région d’Ústí nad Labem, a indiqué employer depuis des années le produit Polyversum de Biopreparáty sur 1000 hectares. « Il n’est pas efficace à 100 %, mais son efficacité globale est tout de même assez élevée », observe-t-elle, en soulignant qu’elle varie selon le type de cultures : « Sur les céréales, il fonctionne bien et atteint une efficacité d’environ 80 % ».
Des semences plus riches en huiles sont, selon elle, plus exigeantes et peuvent nécessiter des traitements chimiques complémentaires. Cela pose toutefois une contrainte administrative : un agriculteur qui souhaite associer un produit biologique et un produit chimique doit demander une autorisation à l’Autorité centrale de contrôle et de vérification de l’agriculture, délivrée seulement après visite sur place, explique Mme Charvátová. Dans l’ensemble, elle se dit satisfaite de Polyversum, notamment pour son coût inférieur à celui des traitements chimiques.
Cet article s’inspire d’une publication d’epochtimes.cz sous le titre « Les agriculteurs se révoltent contre la restriction des pulvérisations chimiques. Quelle est l’efficacité des fongicides écologiques ? » (Zemědělci se bouří kvůli omezování chemických postřiků. Jak funkční jsou ekologické fungicidy? )
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

Rédacteur en chef d'Epoch Times en République tchèque.
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